Le CHU de Poitiers est le centre d’allogreffe pour le Poitou-Charentes. Quelque trente allogreffes y sont réalisées chaque année. Cette technique consiste en la réinjection de cellules souches provenant d’un donneur sain et compatible avec le patient, après destruction complète de la moelle du greffé par une chimiothérapie intensive et/ou de la radiothérapie. Les cellules souches sont issues de la fratrie ou de dons anonymes. Elles concernent des sujets adultes avec une dérogation de l’Agence régionale de santé (ARS) pour procéder à des greffes à partir de 16 ans. Cette procédure vise essentiellement au traitement d‘hémopathies malignes et aux aplasies médullaires sévères, incurables par d’autres approches. L’amélioration des pratiques permet aujourd’hui d’élargir les indications à des patients de plus en plus âgés. Les résultats s’améliorent avec 50% de survies à long terme pour les hémopathies malignes.
« L’indication principale de l’allogreffe reste la leucémie aiguë avec près de 50% des greffes réalisées pour cette indication », rappelle le docteur Natacha Maillard, en charge de l’activité au sein du service d’oncologie hématologique et thérapie cellulaire du CHU de Poitiers. « Toutefois dans d’autres hémopathies, la donne a changé. L’exemple le plus frappant est celui de la leucémie myéloïde chronique (LMC). Elle représentait une indication très classique mais est devenue marginale depuis l’introduction, au début des années 2000, des inhibiteurs de thyrosine kinase (ITK), traitement permettant désormais pour une grande majorité de patients de maintenir une rémission durable d’excellente qualité. » On observe également une diminution des indications dans le myélome car les résultats s’avèrent globalement décevants. Le service, avec l’arrivée du Pr Xavier Leleu, participe à la réflexion actuelle des médecins impliqués dans la prise en charge de ces patients et des équipes de greffe, visant à définir, pour l’avenir, le profil des patients les mieux à même de tirer bénéfice de cette procédure.
Des conditionnements d’intensité réduite
Depuis plusieurs années, les conditionnements se sont modifiés : après les conditionnements « standard », très toxiques et donc réservés à des patients jeunes, sont apparus les conditionnements dits « d’intensité réduite » permettant de proposer cette procédure à des sujets plus âgés et/ou comorbides. « Au CHU de Poitiers, nous procédons désormais à des greffes sur des sujets âgés de plus de 65 ans, en particulier dans le cadre des myélodysplasies, une pathologie du sujet âgé. C’est d’ailleurs désormais l’indication la plus fréquente après les leucémies aiguës. Il faut toutefois une véritable adhésion du patient à la procédure : il ne s’agit pas de se faire greffer pour faire plaisir à son entourage car cela peut être un vrai parcours du combattant et il faut avoir une réelle motivation pour y faire face. Il est nécessaire également, mais cela est vrai aussi pour les plus jeunes, que le patient soit bien entouré », poursuit le Dr Maillard. « La fatigue, les contraintes post-greffe, ne serait-ce qu’en matière d’hygiène ou d’alimentation, les allers-retours à l’hôpital pour le suivi et la prise en charge des complications éventuelles, nécessitent absolument un accompagnement logistique et un soutien psychologique… » Au CHU de Poitiers, une infirmière coordinatrice post-greffe est l’interface entre le patient et le greffeur. « Le dispositif est très apprécié par les patients. La coordinatrice, qui les connaît bien car elle prépare avec eux la sortie et assiste à toutes les consultations ensuite, est joignable toute la journée par téléphone, ce qui est très rassurant pour le greffé et son entourage. »
En principe, l’allogreffe est une thérapeutique de consolidation dans les hémopathies malignes à haut risque de rechute. Les patients se présentent à la greffe en rémission. Depuis une dizaine d’années, les conditionnements séquentiels se sont développés dans les cas de leucémies aiguës chimio-réfractaires et de myélodysplasies avec un excès de blastes important, qui ne peuvent bénéficier d’un traitement permettant de réduire la blastose médullaire pré-transplantation. « Sachant que le pronostic post-greffe est fortement corrélé au pourcentage de blastes pré-allogreffe, ces conditionnements consistent à administrer une chimiothérapie de type “induction”, permettant de nettoyer la moelle de ses blastes, puis de débuter le conditionnement à proprement parler et de réinjecter le greffon en aplasie. Cela évite une induction et, dans certains cas, une consolidation avec leur phase d’aplasie prolongée, source de complications, notamment infectieuses, qui peuvent empêcher la réalisation de la transplantation ultérieurement. »
Développement des greffes alternatives
Dans le cadre d’une greffe en intrafamilial, il y une chance sur quatre d’avoir un donneur HLA-compatible dans sa fratrie, statistique qui tombe à une sur un million avec les donneurs fichés sur le registre international des donneurs volontaires. Une réalité qui a conduit à développer les greffes dites « alternatives » : greffes de sang placentaire (la compatibilité HLA minimale étant moins sévère qu’avec un donneur « sur pied ») et greffes avec donneur non apparenté dites « mis-match » (c’est-à-dire 9/10e et non pas 10/10e). « Il faut souligner l’augmentation constante de greffes à partir de donneurs non apparentés (60%), fait savoir le docteur Christine Giraud, en charge de la thérapie cellulaire au CHU de Poitiers. Cependant, malgré les objectifs du dernier plan greffe qui préconisait que, en 2015, 50% des patients soient greffés avec des donneurs français, 75% des greffons proviennent de donneurs étrangers. Et 65% sont des femmes alors que le meilleur donneur est un homme. » En 2015, le CHU de Poitiers a débuté la réalisation d’un 3e type de greffe alternative : les greffes dites « haploidentiques « . Le greffon provient dans ce cas d’un donneur familial qui n’est que semi HLA-compatible (au minimum 5/10e). Ce type de transplantation augmente de façon très significative la chance de trouver un donneur (fratrie, parents, enfants, cousins…) et, en cas d’urgence, d’avoir un greffon très rapidement. Cette procédure, qui n’est pas nouvelle, avait été délaissée du fait de nombreuses complications infectieuses, de rejets fréquents ou de GvH (maladie du greffon contre l’hôte) très sévères. Depuis quelques années, les modalités ont été revues, en particulier le schéma immunosuppresseur postgreffe. Il a été modifié, avec l’administration d’Endoxan à forte dose dans les trois à cinq jours suivant la greffe, ce qui a fait diminuer de façon drastique ces complications. « Les études récentes laissent apparaître des résultats très prometteurs, parfois comparables aux greffes HLA compatibles, cependant, si la GvH n’est plus au premier plan, le taux de rechute reste préoccupant et c’est sur ce point que tendent les efforts actuels, en particulier en modifiant les conditionnements pour les rendre plus anti-tumoraux sans augmenter trop la toxicité », pointe le Dr Maillard.
Depuis l’émergence des greffes haploidentiques, les greffes de sang placentaire, qui avaient connu une forte croissance dans les années 2000-2010, sont en légère régression. Il y a aussi un avantage financier : le prix de certaines unités de sang placentaire, achetées à l’étranger, peut être considérable – plusieurs de dizaines de milliers d’euros.
Prophylaxie de la rechute
Les résultats en termes de survie s’améliorent, essentiellement du fait de l’optimisation des traitements de support et de la meilleure prise en charge des complications infectieuses, mais les rechutes restent un sujet de préoccupation majeur pour les équipes médicales. L’effet immunologique de la greffe n’étant pas immédiat, des traitements d’entretien sont désormais mis en place après l’allogreffe chez des patients dont on connaît le risque élevé de rechute précoce, en particulier ceux qui ne sont pas en rémission parfaite avant la transplantation et qui ont une pathologie rapidement évolutive (comme les leucémies aiguës). « Dès que la reconstitution de l’hématopoïèse le permet, des drogues à visée anti-tumorale et immunomodulatrice, administrées en ambulatoire, sont introduites, éventuellement en complément de réinjection de lymphocytes du donneur (DLI) pour booster l’effet du greffon contre la maladie (GvL). On utilise, pour se guider, des techniques de biologie moléculaire qui permettent de détecter une maladie résiduelle très faible et de suivre son évolution quantitative », indique le docteur Maillard.
Prise en charge de la GvH
Parmi les thérapeutiques proposées dans le traitement de la GvH, la photophérèse extracorporelle se développe, que ce soit dans les formes aiguës ou chroniques de cette complication immunologique parfois redoutable. Ce traitement immunomodulateur a l’intérêt majeur de ne pas aggraver l’immunosupression des patients allogreffés, source de complications infectieuses et de rechutes. Le laboratoire de thérapie cellulaire du CHU de Poitiers est engagé, en collaboration avec les centres hospitalo- universitaires de Nancy, Grenoble et Clermont-Ferrand, dans un protocole visant à améliorer la tolérance et le coût de cette technique.
Autre tendance récente, même si elle reste marginale en termes statistique : le recours à une deuxième allogreffe, procédure jusqu’alors réservée aux cas de rejet ou de non-prise de greffe. Désormais, la deuxième greffe peut être envisagée, dans les cas de rechute tardive, chez un patient jeune et sans comorbidités importantes et qui répond au traitement de rattrapage préalable. A noter : « Les résultats des allogreffes s’améliorent au fil des années. Les centres rentrés dans la démarche d’accréditation JACIE*, qui définit des standards européens de bonnes pratiques pour la greffe de moelle osseuse, ont de meilleurs résultats. Le CHU de Poitiers est accrédité depuis 2015. C’est un gage de qualité », souligne le Dr Giraud.
* Joint Accreditation Committee-ISCT & EBMT ou comité d’accréditation de la société internationale de thérapie cellulaire et du groupe européen de transplantation de moelle osseuse.