C'est l'histoire d'une petite fille à qui l'on dit que tout est possible dans la vie si elle travaille dur et qu'elle croit en elle. L'histoire d'une petite fille qui voulait devenir médecin... Une petite fille qui, une fois devenue grande, a compris que travailler dur ne suffisait pas pour réussir dans ce métier quand on est une femme: obligée de donner une photo de sa poitrine pour rentrer en cours de médecine, obligée de se taire quand elle entend dire que les « hommes sont plus fiables », obligée d'affronter des regards réprobateurs quand elle annonce à son employeur qu'elle est enceinte... Cette histoire, c'est celle du Dr Karoline Lode-Kolz, qui exerce dans le service de neurophysiologie clinique du CHU de Poitiers (précisons que ce qu'elle décrit ne s'est pas passé à Poitiers).
D’origine norvégienne, elle a été choquée par le sort réservé aux femmes qui travaillent en France. Elle a donc décidé d’agir dans son milieu, celui de l’hôpital. « « Cela fait un an que je travaille sur cette problématique. J’ai eu un déclic vers 40 ans, car c’est là que j’ai compris ce qu’était le plafond de verre. J’ai voulu initier des projets professionnels, poursuivre avec une thèse, mais on m’a fait comprendre que tout cela était difficile pour une femme et qu’il valait mieux que je reste tranquillement à ma place. Si on veut que cela évolue, il faut abandonner ce type de discours et avoir une attitude plus volontariste pour permettre aux femmes médecins d’accéder à des postes à responsabilité ». Or, seulement 18 % des professeurs universitaires sont des femmes.
Karoline Lode-Kolz a alors pris contact avec la direction du CHU qui l’a aidée à réaliser une enquête auprès des praticiens de l’établissement sur l’égalité professionnelle. Le sujet a eu de l’écho et les retours ont été nombreux. Le Dr Lode-Kolz a alors organisé d’une conférence sur les carrières médicales des femmes à l’hôpital. Elle a eu lieu le 17 mars au CHU en présence, notamment, de Jean-Pierre Dewitte, directeur général du CHU, de Séverine Masson, directrice générale adjointe, de Pascal Roblot, doyen de la faculté de médecin et de pharmacie de Poitiers, et d’Élisabeth Morin-Chartier, députée au Parlement européen.
Difficultés à concilier vie privée et vie professionnelle
La question latente de cette conférence concernait le plafond de verre : se brisera t-il naturellement, sous l’effet de la pression démographique ou faut-il dès à présent trouver des voies et des moyens pour le faire voler en éclats ?
Isabelle Pujade-Lauraine, conseillère technique auprès de Danielle Toupillier, directrice générale du Centre national de gestion, a posé les bases du débat en présentant la répartition homme/femme dans le domaine hospitalier, spécialité par spécialité, au niveau national. Elle a souligné que les femmes étaient majoritaires en internat (72 % d’étudiantes en première année à Poitiers), mais que certaines disciplines sont encore très masculines (médecine nucléaire, chirurgie générale, neurochirurgie…), et que si la parité était presque atteinte chez les praticiens hospitaliers, seulement 28,5% des femmes sont des hospitalo-universitaires (professeurs et maitres de conférence). On retrouve ce déséquilibre aux plus haut niveau : moins d’un quart des présidents de CME (23 %) sont des femmes et sur 22 doyens, seules six sont des femmes.
Le Dr Virginie Migeot, chef de pôle adjointe en santé publique, et le Dr Marie-Pierre Peltier, médecin du travail, ont ensuite présenté les résultats de l’enquête menée au CHU de Poitiers. Ce qui en est ressorti, c’est qu’il est difficile de concilier vie privée et vie professionnelle pour les femmes… comme pour les hommes (94 % des femmes et 88 % des hommes). Quant à savoir si la parité chez les PU-PH est atteignable un jour, 33 % des femmes n’y croient pas alors qu’ils sont seulement 23 % chez les hommes. Alors les femmes, pessimistes ou réalistes ? Pour répondre à cette question, deux femmes aux parcours brillants ont accepté de venir témoigner de leur expérience.
Création d’un club des Femmes hospitalo-universitaires au CHU de Poitiers
Tout d’abord, Rose-Marie Van Lerberghe, 68 ans, directrice générale de l’AP-HP de 2002 à 2006 et présidente du conseil d’administration de l’Institut Pasteur, a fait un constat : « Je trouve qu’il n’est pas plus facile pour une femme d’accéder aux poste de direction maintenant que quand j’étais jeune. Les métiers se féminisent, mais pas les postes de direction. » Pour elle, les causes sont multiples. « Il y a des raisons qui tiennent aux femmes elles-mêmes : elles ne s’autorisent pas à avoir des ambitions, elles pensent ne pas être capables, elles sont réticentes à utiliser leur réseau et parfois même elles ne veulent pas passer pour des femmes autoritaires. Mais il y a aussi des causes externes : on entrave parfois la carrière d’une femme car son parcours ne correspond pas tout à fait au modèle, toutes ne rentrent pas le moule. » Très opposée à l’idée des quotas quand ils ont été imposés dans les conseils d’administration, elle est en maintenant une ardente partisane : « Quand on cherche des femmes, on en trouve, et des compétentes en plus ! L’arrivée des femmes à ces responsabilités a finalement professionnalisé les conseils d’administration et amené un progrès de gouvernance. »
Francine Leca, professeure en chirurgie cardiaque, a ensuite ramené les débats dans l’univers médical. « Un médecin est un médecin, quel que soit son sexe. Les patients ne sont pas réticents face aux femmes médecins, il y a un rapport de confiance qui s’instaure. C’est un métier difficile pour un homme comme pour une femme, il faut être passionné. Je regrette cependant que les femmes, qui à mon avis sont souvent meilleurs que les hommes, soient plus modestes, qu’elles laissent parfois tomber. »
Toutes deux sont plutôt confiantes sur le fait que les femmes vont finir par briser un plafond de verre qui se fendille petit à petit. C’est d’ailleurs pour soutenir les jeunes femmes médecins du CHU de Poitiers à s’orienter et à persévérer dans des choix institutionnels ou universitaires, que le club des Femmes hospitalo-universitaires du CHU de Poitiers a été créé. Pour le Dr Karoline Lode-Kolz, « c’est la possibilité de tisser un réseau, de réfléchir à ce qu’on peut faire pour que les compétences de nos hommes et femmes médecins soient reconnues et exploitées pour le bien de tout le monde, et ainsi arrêter la fuite de matière grise féminine ».