Soigner le myélome multiple grâce aux CAR T-cells, une immunothérapie innovante

Jean-Pierre Dewitte, directeur général du CHU, le Pr Xavier Leleu, chef du service d'oncologie-hématologique, et Alain Claeys, président du conseil de surveillance du CHU.

Le centre hospitalier universitaire de Poitiers a reçu l’autorisation d’utiliser les CAR T-cells dans le traitement du myélome multiple, une forme de cancer de la moelle osseuse. Ce traitement est en cours d’essai clinique sur des patients, porteurs du myélome multiple, au sein du service d’oncologie-hématologique du CHU de Poitiers, sous la direction du Pr Xavier Leleu et de son équipe. Le 3 juin 2019, le service d’oncologie hématologique et thérapie cellulaire du CHU de Poitiers a réalisé le premier traitement par CAR T-cells. Il s’agit du premier patient en France, à bénéficier de ce traitement par immunothérapie. Cette immunothérapie a été présentée lors d’une conférence de presse, le vendredi 18 octobre, en présence d’Alain Claeys, président du conseil de surveillance du CHU de Poitiers, de Jean-Pierre Dewitte, directeur général et du Pr Xavier Leleu. Ce dernier revient sur cette immunothérapie innovante.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’immunothérapie par CAR T-cells ?

« L’immunothérapie à base de CAR-T cells est un nouveau traitement très efficace pour lutter contre les formes graves de plusieurs cancers. Cette thérapie consiste à modifier génétiquement, en laboratoire, certaines cellules immunitaires appelées les lymphocytes T, afin de les munir d’un récepteur, le CAR (chimeric antigen receptor), pour traquer les cellules cancéreuses et les détruire. Dans le système immunitaire, ces lymphocytes ont déjà ce rôle. Cette technique ne fait que leur offrir une nouvelle arme pour détruire plus efficacement les cellules cancéreuses, une fois réinjectées. »

Concrètement, comment ça se passe ?

« Les lymphocytes du patient sont prélevés dans le sang à partir d’une ponction de leurs veines. Ces lymphocytes sont ensuite envoyés aux Etats-Unis où ils subissent une modification en laboratoire. Ensuite les lymphocytes T sont multipliés de manière à pouvoir disposer d’une grande quantité reprogrammés. Ces temps de reprogrammation, puis de multiplication, durent environ trois semaines à un mois. Au terme de cette multiplication, le patient recevra une chimiothérapie de préparation dont l’objectif est de réduire le nombre de lymphocytes T du patient (ceux qui fonctionnent mal). Quelques jours après, les lymphocytes T reprogrammés (CAR-T) sont reinjectés au patient. Ils vont alors, au contact de la tumeur, reconnaître spécifiquement les cellules tumorales et s’activer pour détruire ces cellules malignes. En plus de leur redoutable efficacité, ces cellules ont une longue durée de vie ce qui leur permet d’éradiquer des cellules cancéreuses qui réapparaitraient après plusieurs mois, voire plusieurs années. » 

A quel(s) type(s) de patients s’adresse cette thérapie ?

« Le traitement par CAR T-cell est réservé exclusivement aux patients dont la maladie est réfractaire aux traitements habituels, ou en rechute après des traitements intensifs et dont la probabilité de survie est faible (< 10%). Ce traitement est en cours de tests et sera évalué à tous les stades de la maladie. »

Pourquoi le premier traitement par CAR T-cells a-t-il été réalisé sur un patient du CHU de Poitiers ?

« Le CHU de Poitiers compte parmi les trois centres en France qui ont été autorisés en 2018 à réaliser les CAR T-cells. En 2019, il participe à l’essai de phase 2 dans le traitement du myélome multiple par CAR T-cells. Le premier patient à en bénéficier est atteint d’un myélome multiple, en phase très avancée. Depuis plusieurs années, son état de santé s’est dégradé au fil des différents traitements qu’il a pu recevoir. Ces traitements semblaient lui convenir, mais les phases de réponse étaient de plus en plus courtes et les phases de rechutes de plus en plus fréquentes et nombreuses. Quand ce patient a été pris en charge au CHU de Poitiers en septembre 2018, il était très affaibli et douloureux. Il avait reçu tous les traitements disponibles au sein du centre hospitalier de sa région, mais la maladie avait malheureusement progressé. Son état était particulièrement inquiétant. Il remplissait les différents critères d’éligibilité au CAR T-cells, mais à cette date, le CHU de Poitiers n’était pas encore autorisé à pratiquer cette thérapeutique. La décision a donc été prise d’inscrire ce patient d’urgence à un essai disponible à Poitiers, pour améliorer sa santé et dans l’attente de l’autorisation d’effectuer le traitement par CAR T-cells. Aujourd’hui, six patients de toute la France sont inclus dans l’essai clinique. »

Comment le traitement s’est-il déroulé ?

« L’étude a été signée par le patient le 20 mars 2019. Le prélèvement a eu lieu le 16 avril 2019 par le Dr Christine Giraud, du service d’oncologie hématologique et thérapie cellulaire. Pendant toute la phase de transformation des cellules qui a été réalisée aux Etats-Unis, le patient a pu retourner chez lui. A son retour, le 29 mai, il a été hospitalisé pendant cinq jours, avant de recevoir le traitement, afin de subir une lymphodepletion, une chimiothérapie de préparation qui vise à détruire la fonctionnalité des lymphocytes du patient, avant l’injection des CAR T-cells. Cette destruction évite que les lymphocytes humains ne détruisent les lymphocytes modifiés qu’ils considéreraient comme un corps étrangers à cause de leur transformation. L’injection des CAR T-cells a eu lieu le 3 juin 2019. Après une hospitalisation de deux semaines, le patient a pu quitter l’établissement, le 20 juin dernier. Il s’est installé quelques semaines à Poitiers pour une surveillance médicale. »

Quelles sont les suites du traitement par CAR T-cells pour le CHU de Poitiers ?

« Au CHU de Poitiers, le CAR T-cell est inscrit dans le cadre d’un essai thérapeutique. Plusieurs patients de Poitiers mais aussi d’autres régions de France sont demandeurs et éligibles à ce traitement d’avenir en cancérologie. Le coût de la prise en charge d’un patient traité par CAR T-cells est de 350 000 euros, financé aujourd’hui par l’industrie pharmaceutique. Bien que ce montant semble important, il reste malgré tout inférieur au coût d’un traitement en cancérologie sur plusieurs années, qui peut parfois atteindre les 200 000 euros par an et par patient. Le CAR T-cell se réalise lui avec une seule injection, dont l’action est unique et dix fois plus active et efficace que les traitements connus. Elle serait également active sur plusieurs mois, voire même plusieurs années, ce que les essais cliniques doivent confirmer. »