Regard médical : Christophe Boulloud, interne en neurochirurgie

Après un externat de médecine à Paris, Christophe Boulloud est arrivé au CHU de Poitiers en 2014 pour faire son internat en neurochirurgie. Il souhaite se spécialiser dans la neurochirurgie fonctionnelle cérébrale (patients atteints de maladie de Parkinson, de tremblements essentiels, de dystonie…) et médullaire (patients atteints de douleurs chroniques), et la chirurgie du rachis instrumentée. Dans le cadre de son doctorat de médecine, il mène avec le professeur Benoît Bataille, neurochirurgien, en collaboration avec le service de psychiatrie du professeur Nemat Jaafari et de l’équipe d’imagerie CNRS DACTIM-MIS du professeur Rémy Guillevin, une étude intitulée Accumbens.

Docteur Boulloud, en quoi consiste l’étude Accumbens ?
Il s’agit d’une étude multidisciplinaire, à la croisée de la neurochirurgie, de la psychiatrie et de la radiologie, sur laquelle j’ai commencé à travailler dans le cadre de mes recherches de master 2 en 2016, et que je poursuis pour mon travail de thèse. Elle consiste à étudier, en imagerie par résonance magnétique (IRM), une structure du cerveau chez des patientes atteintes d’anorexie mentale ou de troubles obsessionnels compulsifs (TOCs), en comparaison avec une population de patientes saines. La région que nous étudions est ce qu’on appelle un faisceau de substance blanche, une entité qui permet entre autres la communication entre différentes aires du cerveau. Ce faisceau a déjà fait l’objet il y a quelques années d’une caractérisation anatomique pure (dissection) par le professeur Philippe Rigoard, neurochirurgien. Le but de notre étude est de caractériser les modifications, à la fois structurelles et fonctionnelles, de ce faisceau, ainsi que des deux zones de neurones qu’elle relie et qui leur permet de communiquer : le noyau accumbens d’un côté et le cortex orbito-frontal de l’autre. Ces deux zones sont impliquées dans les processus d’addiction et de motivation, et de régulation « consciente » de ces comportements. Notre hypothèse est que ces structures, ou la connexion entre ces structures, est potentiellement dysfonctionnelle dans l’anorexie et les TOCs. En plus d’une meilleure connaissance du fonctionnement cérébral normal et pathologique, le principal enjeu de nos recherches est de trouver, à terme, des cibles éventuelles d’interventions chirurgicales pour la prise en charge de ces pathologies psychiatriques.

Pouvez-vous nous expliquer ce que sont exactement les noyaux accumbens qui ont donné leur nom à votre étude ?
Dans le cerveau, il y a le cortex superficiel qui contient les neurones (la substance grise), et la substance blanche qui permet la connexion entre les neurones et les effecteurs périphériques (les membres, par exemple). Il y a également d’autres zones profondes du cerveau qui comportent des neurones que l’on appelle les noyaux gris centraux. Les noyaux accumbens font partie des noyaux gris centraux. Et ces structures sont responsables des comportements primitifs (fuite, alimentation, etc.), que l’évolution a progressivement placé sous la régulation du cortex.

Une partie de vos volontaires souffrent d’anorexie mentale. Qu’est-ce que l’anorexie mentale ?
L’anorexie mentale se définit comme une perte de poids pathologique, avec des malades qui présentent un poids inférieur à celui attendu pour l’âge et la taille. C’est une pathologie qui, en général, commence jeune, plutôt à l’adolescence, et qui a tendance malheureusement à se chroniciser. Elle peut être très grave non seulement d’un point de vue social mais surtout d’un point de vue métabolique puisque la dénutrition peut entraîner d’importantes complications.

Et les troubles obsessionnels compulsifs ?
Les troubles obsessionnels compulsifs, comme leur nom l’indique, associent à la fois des obsessions et des compulsions. Nous avons tous des rituels dans la vie, mais ils deviennent un problème le jour où ils empiètent tellement sur la vie des malades qu’ils ont des répercussions sociales et professionnelles.

Pourquoi n’avez-vous choisi que des femmes pour votre étude ?
Ce choix s’est fait parce que l’une des pathologies étudiée, l’anorexie mentale, touche essentiellement les femmes, dans une proportion d’environ 9 femmes pour 1 homme. Il nous a donc semblé plus pertinent de choisir exclusivement des femmes pour l’ensemble des populations étudiées. Ainsi, nous n’aurons pas de différences liées au sexe des patients dans nos résultats.

Comment se déroule l’étude pour les patientes volontaires ?
La première étape est une évaluation psychiatrique. Toutes les volontaires, qu’elles souffrent de TOC, d’anorexie mentale ou qu’elles soient non malades, remplissent des questionnaires qui permettent d’estimer le degré de sévérité de leur maladie ou d’éventuelles comorbidités psychiatriques, au cours d’une consultation dédiée avec un psychiatre (le Dr Ghina Harika-Germaneau, qui s’occupe de cette partie de notre étude), et signent un consentement. La seconde étape consiste à leur faire passer une IRM qui dure environ trois quarts d’heure, sans injection, et durant laquelle on enregistre plusieurs types de séquences : des séquences structurelles et des séquences fonctionnelles pour justement pouvoir caractériser le faisceau.

Quelle IRM utilisez-vous pour établir vos séquences ? Utiliserez-vous l’IRM 7 Tesla qui vient d’être installée au CHU ?
Nous utilisons l’IRM 3 Tesla mise en place il y a presque 2 ans maintenant. C’est un équipement très puissant. L’utilisation de l’IRM 7 Tesla n’est pas prévue pour l’instant dans le protocole de l’étude. Si nous trouvons dans les résultats des différences entre les populations étudiées, nous serons sans doute amenés à continuer à travailler sur ces populations de patientes en utilisant le potentiel de l’IRM 7 Tesla, qui est un outil magnifique. Je travaille actuellement avec Carole Guillevin, ingénieur, et Mathieu Naudin, spécialiste du traitement d’imagerie, au laboratoire DACTIM-MIS du CHU de Poitiers, qui développent un logiciel d’automatisation de l’analyse des imageries réalisées dans le cadre de notre étude. Les perspectives d’études de ce logiciel sur d’autres faisceaux ou d’autres noyaux sont extrêmement intéressantes tant sur le plan clinique que scientifique.

Avez-vous déjà obtenu des résultats ?
Les inclusions des patients saines et atteintes de TOC sont terminées ; les patientes anorexiques sont toujours en cours de recrutement. Les résultats ne sont pas encore disponibles.