Enseignement : évaluer pour progresser

Dans le cadre du diplôme d'études spécialisées complémentaires en chirurgie viscérale, les internes acquièrent les gestes de base en intervenant par simulation sur modèle animal. Le professeur Michel Carretier, chef du service de chirurgie viscérale du CHU, et le professeur Jean-Pierre Faure, qui ont développé cette méthode d'enseignement, ont aussi travaillé à la création d'outils d'évaluation.

Est-il toujours moins risqué d’être le premier passager d’un pilote que le premier patient d’un chirurgien ? Pour battre en brèche ce lieu commun, l’enseignement de la chirurgie a évolué au cours des quinze dernières années, s’inspirant du modèle industriel. L’évolution des techniques, des contraintes de temps et de rentabilité plus prégnantes au sein de l’hôpital ont modifié l’apprentissage classique des internes, basé jusqu’alors sur le compagnonnage. Au coeur du système aujourd’hui : l’apprentissage par simulation.

À Poitiers, le modèle d’enseignement par simulation animale pour les internes en chirurgie digestive a été élaboré par les professeurs Michel Carretier et Jean-Pierre Faure, du service de chirurgie viscérale du CHU. Cet enseignement innovant concerne désormais les étudiants des six hôpitaux universitaires du Grand Ouest (Hugo) : Poitiers, Brest, Rennes, Angers, Tours, Nantes, mais aussi Limoges. « La formation des internes doit être faite sur un modèle très proche de la réalité. Le modèle animal porcin reproduit les contraintes et les complications similaires à celles d’une intervention sur un jeune adulte, précise le professeur Faure. Les étudiants travaillent sur des tissus vivants ayant une structure proche des tissus humains, dans les mêmes conditions de stress. Le but est aussi d’éviter les situations critiques, comme l’hémorragie. Ils apprennent les gestes de base, qu’ils pourront ensuite reproduire dans tous les types d’interventions. »

L’enseignement se déroule à l’Ircad de Strasbourg. L’institut est une référence mondiale dans la formation des praticiens aux techniques de chirurgie endoscopique. Trente-cinq internes sont formés chaque année, à raison de deux sessions de trois jours par an. La première année est consacrée à la laparotomie : abord, sutures et dissection au programme. La deuxième année, les internes acquièrent les gestes de base sous coelioscopie, comme par exemple la maîtrise des noeuds. La coelioscopie avancée est abordée en troisième année, via « le court-circuit gastrique, un geste très technique de chirurgie de l’obésité qui compile la somme de tous les exercices précédents ». La mise en place de ce programme est le fruit d’un partenariat public-privé, contractualisé entre le CHU, l’Université et les laboratoires Covidien, Sanofi et Storz.

« Compliqué car subjectif »
Cet enseignement a débuté en 2008, d’abord avec des internes poitevins avant de s’étendre à l’ensemble des CHU du Grand Ouest. Dès 2010, la problématique de l’évaluation a été développée. « Un enseignement par simulation n’est efficace que s’il y a évaluation. Sinon, les apprenants stagnent. » Les professeurs poitevins ont planché pendant deux ans sur l’établissement d’outils d’évaluation, en collaboration avec les chirurgiens d’Hugo. « Évaluer un geste de chirurgie est compliqué car subjectif », rappelle le professeur Jean-Pierre Faure. Le professeur Denis Oriot, directeur du laboratoire d’enseignement par simulation de la Faculté de médecine de Poitiers, a également apporté son expertise en la matière.

Des grilles d’évaluation ont été élaborées. Chacune décompose un geste chirurgical sous forme d’items, entraînant une réponse positive ou négative, aboutissant à un score final. Le contenu est rédigé de manière précise, détaillée, sans source d’ambiguïté. « C’est un bel outil : il y a autant de grilles que de gestes, souligne le professeur Faure. Nous avons passé un an à utiliser ces grilles en double aveugle, avec deux examinateurs pour un interne. Le but ? Avoir une corrélation supérieure à 80 %. Nous avons ensuite modifié certains items, de façon à être encore plus précis et objectifs. » Une fiabilité dont on s’attache désormais à mesurer le résultat en pratique quotidienne, selon la pyramide de Kirkpatrick (degré de satisfaction des apprenants/acquisitions de connaissances/changements des pratiques/impact) : « Les internes acquièrent des compétences qui permettent une meilleure prise en charge des patients. Il s’agit désormais d’évaluer l’impact en pratique clinique. »

Ce modèle d’enseignement, qui fonctionne très bien dans le Grand Ouest, intéresse aussi au-delà. Le Collège français de chirurgie digestive s’est emparé du projet, afin d’étudier comment mieux systématiser cette pratique d’enseignement au niveau national.