Simulation en santé : apprendre de ses erreurs

Pour la première fois, le CHU de Poitiers a proposé, le 31 mai 2021, une conférence sur le thème de la simulation en santé, ouverte à tous les personnels du CHU dans le but de faire connaître aux professionnels du CHU les initiatives existantes au sein de l’établissement et de les développer. Cet événement a été organisé par le Dr Marie-Cécile Dubois, médecin dans le service d’anesthésie-réanimation du CHU, en collaboration avec le Pr Denis Frasca, chef du service d’anesthésie-réanimation, et le Dr Pierre-Marie Saulais, médecin dans le service d’anesthésie-réanimation.

Au programme, une présentation des fondamentaux de la simulation en santé, par le Pr Denis Oriot, une présentation de la simulation « in situ » anesthésie et urgences, par le Dr Marie-Cécile Dubois et le Dr Nicolas Marjanovic, une présentation du dispositif de simulation chirurgicale SimLife par le Pr Jean-Pierre Faure, et une présentation de l’apport du débriefing dans la compétence du cadre par Marlène Arbutina, cadre supérieure de santé et formatrice au sein de l’Institut de formation des cadres de santé du CHU de Poitiers.

Jamais la première fois sur le patient

Le besoin d’avoir recours à la simulation dans la formation en santé naît du besoin de ne pas apprendre directement sur le patient : « Primum non nocere », disait Hippocrate, « d’abord, ne pas nuire », adage qui a inspiré par la suite l’un des principes fondamentaux de la Haute Autorité de santé (HAS) : « Jamais la première fois sur un patient ». Or, la mémorisation est plus efficace lors d’un apprentissage praxique que lors d’un apprentissage théorique. La simulation apporte donc une réponse à cette problématique, puisqu’elle permet de pratiquer les gestes à apprendre sans risque, avec du matériel et des scénarios de plus en plus réalistes, grâce aux progrès de la technologie, gage de l’efficacité de la formation.

Un autre avantage de la simulation est la possibilité de former à la fois sur des compétences techniques et non-techniques, comme la communication et le travail d’équipe, qui constituent des causes fréquentes d’erreurs médicales. L’intérêt de la simulation est de pouvoir former ensemble ceux qui travaillent ensemble, afin de pouvoir répondre efficacement aux situations de crise et d’urgence.

Différents modes de simulation

L’apprentissage par simulation existe sous de multiples formes, avec des degrés plus ou moins importants de réalisme, selon l’apprentissage visé.
Pour les gestes purement techniques, les dispositifs sont des « task-trainers », dits basse fidélité, en opposition avec les dispositifs haute-fidélité, qui permettent une interaction avec l’apprenant (simulation de la respiration, clignement des yeux, parole), comme lors des simulations « in-situ », c’est-à-dire « sur site ». Il existe également des modèles très haute fidélité, comme par exemple des mannequins capables d’arborer plusieurs expressions faciales.

D’autres dispositifs peuvent également être mis en place pour former les apprenants sur des compétences non-techniques, comme la simulation de consultation, ou d’annonce de mauvaise nouvelle. On parle alors de « patients simulés », joués par des acteurs ou par des apprenants.

En ce qui concerne la formation aux situations d’urgence de grande ampleur, avec de nombreuses victimes, le CHU de Poitiers est le seul centre en France à proposer des dispositifs d’apprentissage par jeux de briques et de plateau, afin de travailler l’organisation des moyens. En effet, réaliser des exercices en situation réelle pour ces scénarios est nécessaire, mais très lourd à organiser, et reste donc très ponctuel. Le rappel des procédures par la miniaturisation proposé par le Dr Lorraine Marchal permet une formation plus régulière.

Enfin, le laboratoire de simulation de la faculté de médecine de l’Université de Poitiers, l’ABS-lab, dispose d’un modèle de simulation unique en Europe appelé Simlife, développé au sein-même du laboratoire par les professeurs Jean-Pierre Richer et Jean-Pierre Faure et le Dr Cyril Brèque. Il permet de revasculariser, ventiler et recréer les pulsations du cœur sur un modèle cadavérique humain, afin de reproduire un sujet de bloc opératoire avec des constantes physiologiques plus vraies que nature.

Se former « in situ »

Bien que la plupart des simulations se déroulent à l’heure actuelle dans les locaux de l’ABS-lab, pour les professionnels du CHU de Poitiers, de plus en plus d’apprentissages sont réalisés au sein-même des services, avec l’aide de l’ABS-lab.

Depuis 30 ans, à l’initiative du Pr Denis Oriot, le service de pédiatrie du CHU a développé des formations par simulation (formation à la réanimation du nouveau-né à la naissance, formation aux urgences vitales de l’enfant) destinées aux internes et à tous les professionnels de l’enfance en Poitou-Charentes, ainsi qu’aux médecins urgentistes de tout le territoire français. Chaque interne en pédiatrie réalise une vingtaine de scénarios de simulation haute-fidélité lors de son semestre aux urgences pédiatriques.

Depuis presque 2 ans maintenant, le service d’anesthésie-réanimation accueille quant à lui un programme de simulation en santé in situ, directement au bloc opératoire, coordonné par le Dr Dubois, le Dr Saulais et le Pr Frasca. Ce dispositif a été mis en place suite à une demande de la direction de la qualité du CHU et de l’Agence régionale de santé (ARS), qui a financé une partie du projet, dans le but d’améliorer la prise en charge des patients et de réduire le risque d’erreurs, notamment médicamenteuses, au bloc opératoire.

Des scénarios de simulation sont ainsi joués dans une vraie salle de bloc opératoire avec des participants qui, la plupart du temps, sont dans leur rôles propres, et appartiennent au corps médical comme au paramédical :  médecins, infirmiers, internes, infirmiers anesthésistes… Ces dispositifs sont le fruit d’un travail d’équipe avec les médecins urgentistes, ainsi qu’avec les infirmiers anesthésistes diplômés d’Etat (IADE), par le biais d’Alain Charre et Laurent Guignard, responsables de la formation à l’école d’IADE du CHU. « Sans les IADE, recréer fidèlement les situations n’aurait pas été possible, et cela permet également d’étendre cette formation aux paramédicaux », ajoute le Dr Dubois.

Les problématiques posées par ce dispositif sont nombreuses : lieu, prêt de matériel, dont le mannequin haute-fidélité Sim Man 3G grâce à l’aide de l’ABS-lab, budget alloué, moyens humains. « La mise en place de ce dispositif a été un travail de longue haleine ! », souligne le Dr Dubois

Aujourd’hui, une vingtaine de scénarios différents sont disponibles, « et nous sommes en train d’en rédiger de nouveaux actuellement pour élargir notre panel de thèmes abordés en simulation », ajoute le Dr Dubois. Certains demandant une organisation parfois plus compliquée pour permettre un réalisme fiable, comme par exemple le choc hémorragique avec la nécessité de faux sang transfusable. Ce type de formation est également réalisé bimensuellement dans le service des urgences et hebdomadairement en pédiatrie.

Des formations conjointes de simulation haute-fidélité in situ se développent également, en collaboration avec les équipes d’urgentistes et avec les sapeurs-pompiers du service départemental d’incendie et de secours (SDIS86), notamment grâce au Dr Bertrand Drugeon.

La recherche en simulation au CHU et à l’ABS-lab
 
60 thèses et mémoires rédigés en pédiatrie et en médecine générale au cours des 10 dernières années.
 
2 thèses portant sur la simulation en anesthésie ont été réalisées :
             – sur l’intérêt de la simulation dans l’apprentissage des blocs d’anesthésie locorégionale (Dr Pierre-Marie Saulais),
             – et l’apprentissage de la préparation des drogues d’urgence en anesthésie grâce à la simulation (Dr Benault-Cimier).
 
Deux autres thèses sont également en cours via la simulation in situ haute fidélité afin de montrer:
              –  l’aide que cela apporte sur l’amélioration des transmissions médicales de patients graves (Jonathan Larson).
              – et sur l’amélioration des compétences médicotechniques principalement sur une complication rare et grave qu’est l’intoxication aux anesthésiques locaux (Cédric Desplanques).
 
Lors des 5 dernières années, à l’ABS-lab :
–          1 thèse d’université en simulation
–          1 livre sur le débriefing
–          3 brevets internationaux
–          44 publications internationales
–          35 présentations dans des congrès internationaux

Former les formateurs

Une simulation se décompose en trois grands volets : le briefing, au cours duquel sont présentés les principes de la simulation, le scénario, les participants, le rôle de chacun et le matériel, puis le scénario est déroulé, et enfin, la séance se clôture par le débriefing, étape essentielle à ce mode de formation. Il permet de revenir sur le déroulé du scénario, sur ce qui a fonctionné ou non. « Le débriefing est essentiel au transfert des connaissances acquises lors du scenario », souligne le Pr Denis Oriot, expert de la formation par la simulation, et responsable pédagogique du diplôme d’université (DU) « Débriefing en simulation » à l’Université de Poitiers. « Le formateur va amener l’apprenant à verbaliser lui-même ce qui n’a pas fonctionné pendant la mise en situation, ce qui est l’un des meilleurs moyens de mémorisation », ajoute le Dr Nicolas Marjanovic, co-responsable du DU de débriefing et chargé d’enseignement à l’ABS-lab.

Comme dans tout dispositif pédagogique, la formation du formateur est fondamentale, car c’est lui qui définit les objectifs, conduit la séance, et facilite le débriefing qui s’ensuit. A Poitiers, en plus du DU de Débriefing, une attestation universitaire de formation par simulation est proposée à l’ABS-lab, pour devenir formateur en simulation.

Développer la simulation et l’étendre à de nouvelles disciplines

Au CHU, la simulation est déjà pratiquée dans de nombreux services : urgences, anesthésie, pédiatrie, chirurgie, microbiologie, psychiatrie, maïeutique et gynécologie-obstétrique.

Pour 2021-2022, l’objectif est de poursuivre les formations entreprises et d’étendre les simulations à d’autres domaines, notamment à la réanimation, discipline pour laquelle de nombreux scénarios sont réalisables et formateurs, et de développer les formations conjointes entre les services hospitaliers.