L’amylose est une pathologie liée au dépôt de protéines anormales, qui s’accumulent progressivement dans les tissus et les organes, perturbant leur fonctionnement. Il en existe différents types : certaines sont génétiques, d’autres en lien avec l’augmentation de la production de protéines formant l’amylose, comme la protéine SAA (amylose AA) au cours des maladies inflammatoires ou infectieuses chroniques, ou d’une chaine légère d’immunoglobuline produite par une prolifération anormale cellulaire dans la moelle osseuse (amylose AL). Au CHU de Poitiers, le service de néphrologie-hémodialyse et transplantation rénale fait partie de l’unique centre de référence en France pour l’amylose AL. Il s’agit d’une forme de la maladie qui survient principalement après 60 ans, qui touche majoritairement les reins et le cœur, et dont les premiers symptômes sont assez banals. Si le pronostic est plutôt bon lorsqu’elle est détectée tôt, c’est une pathologie qui évolue très vite et peut toucher quasiment tous les organes, notamment le cœur, et peut alors s’avérer très meurtrière.
Diagnostic : une course contre la montre
Le diagnostic est avant tout clinique, c’est-à-dire que le médecin repère certains signes caractéristiques de l’amylose. « Parfois, on sait que l’on a affaire à une amylose dès que l’on entre dans la chambre du patient », explique le Pr Frank Bridoux, chef du service de néphrologie-hémodialyse et transplantation rénale. Grosse langue, ecchymoses, ces signes cliniques spécifiques ne trompent pas, mais sont assez rares au début de la maladie. « Au départ, les symptômes sont assez banals : de la fatigue, des essoufflements. Comme les patients atteints d’amylose AL sont pour la plupart âgés, ces symptômes passent souvent assez inaperçus ». C’est l’un des axes de recherche autour de cette pathologie : réussir à la détecter plus rapidement, et éviter l’errance diagnostique. En effet, la pathologie, en se développant, risque de toucher le cœur, entraînant une insuffisance cardiaque ou des troubles du rythme et le décès du patient.
Analyse des biopsies au laboratoire
Si le médecin soupçonne une amylose à l’examen clinique, une biopsie est réalisée pour confirmer le diagnostic. On privilégie pour cela un prélèvement le moins invasif possible, dans la lèvre ou dans la graisse abdominale, afin de limiter les risques de complication. Ces biopsies sont ensuite analysées au sein du laboratoire d’anatomie et cytologie pathologiques du CHU. « Nous analysons les biopsies prélevées au sein du CHU de Poitiers, mais également des biopsies provenant de toute la France, et même de l’étranger », indique le Pr Jean-Michel Goujon, praticien au sein du laboratoire. Des réunions pluridisciplinaires nationales ont lieu tous les 15 jours, en visio-conférence. Les praticiens d’autres structures peuvent y présenter des dossiers patients afin d’obtenir l’éclairage de nos experts pour le diagnostic et le traitement. Le cas échéant, des biopsies sont envoyées de la France entière et même des pays étrangers (environ 5% de l’activité) afin d’être analysées dans les laboratoires du CHU de Poitiers.
Une fois prélevée, la biopsie doit être préparée afin d’être analysée dans de bonnes conditions. Le CHU de Poitiers est équipé de l’ensemble des techniques nécessaires à la préparation et à l’analyse des échantillons, mais ce n’est pas le cas pour la plupart des centres. Il faut alors trouver des solutions pour transporter les biopsies dans les meilleures conditions. « C’est au cas par cas, selon les centres et les biopsies », explique Cécile Ory, ingénieure en microscopie électronique au sein du laboratoire d’anatomie et cytologie pathologiques. Une fois arrivés au CHU de Poitiers, ces prélèvements subissent plusieurs traitements afin de garantir leur bonne conservation.
Identifier le type d’amylose : une technique de pointe
L’échantillon prélevé est ensuite analysé, tout d’abord par la technique d’immunofluorescence, qui se réalise sur des prélèvements congelés dans l’azote liquide ou sur tissus déparaffinés en dernier recours. Grâce aux anticorps ajoutés à l’échantillon, les dépôts de protéines apparaissent en surbrillance au microscope. « Une vingtaine d’anticorps, tous dirigés vers des amyloses différentes, sont disponibles dans notre centre de référence. Cette étape permet de confirmer la présence ou non d’amylose et d’en identifier la nature précise, ce qui conditionne le traitement », précise Alexia Rinsant, ingénieure du centre de référence au sein du laboratoire d’anatomie et cytologie pathologiques.
Mais des méthodes plus sophistiquées sont parfois nécessaires. En effet, la microscopie électronique permet d’observer l’ultrastructure de ces dépôts de protéines à fort grossissement (x 100 000). Dans certains cas, afin de mieux préciser la nature des dépôts observés, la technique d’immunogold est utilisée, reposant sur l’utilisation d’anticorps couplés à des billes d’or opaques aux électrons. C’est une technique très complexe, qui demande une grande minutie, et qui n’est réalisée que dans très peu de centres. « Nous avons acquis une expertise très spécifique. C’est problématique lorsque l’une de nous est absente, par exemple pour un congé maternité. Il faut former nos remplaçants sur ces techniques et équipements particuliers, ce qui prend du temps. », explique Sihem Kaaki, ingénieure en microscopie électronique au laboratoire d’anatomie et cytologie pathologiques. Et le temps est très précieux au sein du laboratoire, puisque l’analyse d’une biopsie demande plusieurs jours de travail. Un nouveau microscope électronique en transmission, plus récent et plus performant, doit par ailleurs être livré prochainement dans le laboratoire de microscopie électronique du service d’anatomie et cytologie pathologiques.
Traitements : stopper la production de protéines toxiques
Une fois le type d’amylose identifié, le traitement peut commencer. Dans le cas de l’amylose AL, les traitements ont pour objectif de stopper la production de protéines par les cellules anormales de la moelle osseuse grâce à la chimiothérapie. Notre organisme est ensuite capable d’éliminer par lui-même, avec le temps, les dépôts de protéines qui s’étaient formés. Si la maladie est détectée suffisamment tôt, les pronostics sont très bons. Si toutefois le diagnostic est porté tardivement, certaines atteintes d’organe sont irréversibles. En situation d’insuffisance rénale sévère, la dialyse ou une greffe rénale peuvent être proposées.
Lorsqu’une atteinte cardiaque est détectée, le patient est pris en charge en collaboration avec le service de cardiologie du CHU. La filière d’amylose cardiaque au CHU s’y développe de plus en plus, afin de proposer aux patients un circuit de prise en charge simplifiée, avec pour conséquence une amélioration importante du pronostic, à condition que le diagnostic soit porté tôt.
Plusieurs axes pour la recherche
Le CHU de Poitiers travaille en étroite collaboration avec le CHU de Limoges pour la recherche autour de l’amylose AL, en partenariat avec l’INSERM et le CNRS. Le CHU de Limoges est positionné sur la recherche fondamentale et les protocoles de chimiothérapie. Le CHU de Poitiers, quant à lui, est spécialiste du diagnostic et du traitement des manifestations rénales, et notamment des greffes rénales dans cette maladie.
Dans le viseur des chercheurs : simplifier l’analyse des biopsies grâce à l’analyse protéomique. Il s’agit d’une nouvelle manière d’analyser les prélèvements afin d’identifier le type d’amylose. Les avantages ? La préparation des biopsies et leur acheminement sont simples (pas de congélation nécessaire), et l’analyse du type d’amylose est très précise.
De nouveaux traitements sont également développés, notamment pour les formes d’amylose qui étaient auparavant incurables. C’est le cas notamment de l’amylose génétique, pour laquelle les chercheurs ont découvert un traitement qui permet de bloquer la production des protéines dans le foie.
Les axes de recherche demeurent nombreux autour de cette pathologie, autour des objectifs d’amélioration du diagnostic, d’accélération de l’analyse des biopsies, et de mise en place de nouveaux traitements, notamment pour les formes les plus graves.