Don d’organes : parlons-en

La pénurie d’organes constitue aujourd’hui un véritable problème de santé publique. La 20e journée nationale de réflexion sur le don d’organe, qui aura lieu le 22 juin 2020, permettra de rappeler aux gens l’importance du don d’organe.

Greffe d’organe : acte chirurgical de la dernière chance

La greffe d’organe est la thérapeutique de choix lors de la défaillance irréversible aigue ou chronique d’un organe.  De nombreuses maladies peuvent conduire à une greffe d’organe : insuffisance rénale terminale, malformation ou maladie cardiaque, maladie du foie, mucoviscidose, certains cancers, etc. Le rein est l’organe le plus greffé suivi par le foie, le cœur et les poumons. Il est également possible de greffer des tissus tels que la cornée, la peau ou les artères.

Tout le monde peut être donneur quel que soit son âge car le don d’organe repose sur l’état physiologique du corps. La majorité des organes, soit près de 85%, sont prélevés sur des donneurs en état de mort cérébrale dont le nombre diminue avec les progrès de la médecine. Le rein et le foie – en partie seulement – peuvent être prélevés sur des donneurs vivants[1]. Le prélèvement d’organes dit Maastricht III sur patients décédés suite à un arrêt circulatoire se développe de plus en plus en France. Le CHU de Poitiers fait partie des hôpitaux autorisés à réaliser ce type de prélèvement qui obéit à un protocole unique et national. L’Agence de la biomédecine, qui supervise les prélèvements et les transplantations, a annoncé pour 2019 au moins 5 876 greffes, tous organes confondus soit 92 de plus que l’année précédente. Malheureusement, parallèlement à une hausse de 1,6% de greffe, une baisse des donneurs vivants et décédés a été constatée. Le nombre d’organe disponible ne permet pas de répondre à la liste, de plus en plus longue, des personnes en attente de greffe. Des patients meurent faute d’avoir un organe.

[1] Le prélèvement sur un donneur vivant est encadré par la loi de bioéthique révisée en juillet 2011.

Tous donneurs potentiels

Nous sommes tous des donneurs consentants dit la loi Cavaillet de 1976. Ainsi, depuis près de 50 ans, toute personne est considérée comme consentante au don d’organes et de tissus après sa mort dès lors qu’elle n’a pas exprimé un refus de son vivant. D’après des enquêtes d’opinion, 8 français sur 10 acceptent de se faire prélever après leur décès. La personne qui ne souhaite pas être prélevée après sa mort doit s’inscrire sur le registre national des refus géré par l’Agence de de biomédecine. Les inscriptions sont possibles à partir de 13 ans. Elle peut également le faire par écrit – daté et signé – confié à une proche ou l’exprimer devant témoin. Le taux de refus au don d’organe est d’environ 30% depuis plusieurs années.

Avant tout prélèvement, les équipes médicales cherchent à savoir quelles sont les volontés du patient décédé en vérifiant tout d’abord sur le registre national des refus ou bien auprès des proches. Il est donc important que chaque personne s’exprime clairement sur le sujet, que ce soit pour accepter ou refuser, afin que soit respectées ses propres volontés.

Consulter la brochure sur le don d’organes de l’agence de biomédecine

Interview du docteur Thomas Kerforne, responsable de l’unité de réanimation cardio-thoracique et vasculaire et coordonnateur de l’unité de prélèvements d’organes du CHU de Poitiers. Pour faire face à la pénurie d’organe, le docteur Kerforne travaille actuellement au développement d’un outil d’évaluation pré et post-transplantation du greffon offrant aux transplanteurs un ensemble de paramètres pertinents sur la viabilité et la qualité du greffon.

Pouvez-vous nous présenter l’unité de prélèvements d’organe dont vous êtes le coordonnateur ?

Il s’agit d’une unité qui comprend deux docteurs, le docteur Thierry Bénard et moi-même, et quatre infirmiers, deux à temps plein et deux à temps partiels. Notre unité a trois missions bien précises : le prélèvement d’organes et de tissus avec l’identification et la connexion avec les équipes de réanimation de donneurs potentiels ; la relation avec les proches du donneur et  une mission pédagogique et d’information auprès des soignants – sur l’état du prélèvement, l’état de la greffe, comment cela se passe – et auprès du grand public. La journée du 22 juin nous permettra de maintenir l’effort de sensibilisation et d’information de la population sur cette problématique importante et pour lequel, persiste le problème de pénurie.

La crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur l’activité de l’unité ?

Elle a eu un impact important que nous sommes parvenus à juguler en partie. L’effort de guerre s’est concentré sur la gestion et le traitement des patients covid. L’équipe de coordination de l’unité a été mobilisée en partie à la création de nouvelles unités de réanimation dédiées au covid. Malgré la situation sanitaire, nous avons continué à gérer et à prélever des donneurs décédés de mort encéphalique mais de façon moins active parce que le protocole national prévoyait d’arrêter toute greffe d’organe non vitale, notamment la greffe de rein. Nous n’avons pas pu effectuer des prélèvements de rein sur certains patients éligibles puisque les greffes n’étaient pas autorisées. Nous avons également arrêté provisoirement le programme Maastricht III, parce nous avons mis nos circuits d’assistance circulatoire à la disposition des patients covid.

Le plan greffe 2017-2021 établi par le ministère de la Santé prévoit la réalisation de 7 800 transplantations par an.  Cela vous semble-t-il réalisable ?

Trois axes permettraient d’améliorer le nombre de donneurs prélevés. Il y a deux catégories de donneurs : les donneurs vivants et les donneurs décédés. Pour augmenter le nombre de greffons, il faudrait travailler sur les donneurs vivants mais en France, nous sommes en retard sur le sujet par rapport à d’autres pays. Nous pouvons également augmenter le nombre de donneurs décédés après arrêts circulatoires de type Maastricht III. En ce qui concerne le donneur décédé après une mort encéphalique, nous avons probablement atteint un plateau. Aussi l’objet de ma recherche a pour but d’améliorer l’identification et la qualification des organes pour pouvoir augmenter le nombre de donneurs potentiels. Il y a à peu près 10 heures entre le décès d’un patient en mort encéphalique et le prélèvement. Pendant cette durée, nous ne sommes plus dans la réanimation de la personne décédée mais dans la réanimation les organes : nous mettons en place des protocoles spécifiques qui permettent d’améliorer les conditions de fonctionnement des futurs greffons. Mais augmenter ce nombre de donneurs semble un peu difficile à l’heure actuelle et notamment dans la région Ouest où notre niveau de donneurs en mort-encéphalique identifié par millions d’habitants est en adéquation avec la cible du plan greffe.

Qu’en est-il du don d’organes ?

Nous sommes toujours dans une pénurie de greffons. Il y a plus de patients en attente de transplantation que greffons disponibles. Différents facteurs expliquent cela. Il y a tout d’abord le fait que le nombre de demandes augmente plus vite que le nombre d’organes que nous pouvons prélever. De plus, nous avons des patients de plus en plus âgés atteints de pathologies cardio-vasculaires qui présentent des défaillances d’organes terminales, notamment rénale. Pour terminer, le taux de refus au prélèvement d’organe au niveau national est de 30% de refus rapporté par les proches ou exprimé par le donneur. Sur ce point-là, nous devons respecter les volontés de chacun. Mais ce que nous pouvons améliorer, c’est l’information auprès des personnes qui ne se sont pas prononcées. Parce d’après la loi, nous sommes tous donneurs de manière implicite et donc ce que l’on exprime, c’est le fait de ne pas vouloir être prélevé à sa mort. Ce mode d’expression a été réaffirmé par le décret d’aout 2016 qui a placé le registre national des refus au centre de ce processus. Il ne s’agit pas de dire aux gens qu’il faut donner mais bien plutôt qu’ils se positionnent sur ce qu’ils veulent après leur décès. Les enregistrements sur le registre national des refus peuvent se faire à partir de 13 ans.

Avant tout processus de prélèvement nous interrogeons le registre national de refus. Ensuite, nous nous adressons aux familles. Certaines d’entre elles sont mises en difficultés après le décès de leur proche soit parce qu’elles ne savent pas celui-ci voulait ou bien parce qu’elles expriment leurs propres volontés. Mais il s’agit avant tout de respecter les volontés de la personne. Nous sommes formés pour aborder ces sujets avec les proches. C’est un métier de savoir comment parler aux familles dans de telles situations.

La loi qui fait de nous des donneurs consentants est encore trop méconnue. Que peut-on améliorer pour une meilleure connaissance de cette loi ainsi que du don d’organes?

La loi sur le don d’organes date de 1976 et pourtant elle est encore très mal connue du grand public d’où l’intérêt de journées de sensibilisation comme celle du 22 juin. Cette journée permet de rappeler l’intérêt et le processus de don d’organe ainsi que le fait que nous soyons tous donneurs implicites. Nous avons encore beaucoup d’information à faire sur la loi et sur la possibilité de chacun d’exprimer son refus au prélèvement.

Pourquoi cette loi est-elle si peu connue ? Peut-être est-ce dû au fait que la mort reste en France encore un sujet tabou. L’Espagne, où le taux de refus est très bas, est au contraire très en avance sur le sujet. Elle est souvent citée en exemple. La population espagnole est particulièrement bien informée au don d’organes. Ils ont fait un énorme travail d’information et de sensibilisation. C’est le travail que nous faisons au quotidien avec l’agence de la biomédecine et l’association France Adot 86. Il est essentiel de présenter aux plus jeunes les problématiques de santé publique. Avec France Adot 86, nous organisons des journées d’information auprès des collégiens et des lycéens. Il faut leur expliquer de manière simple et adaptée parce que même si jeunes, ils sont aptes à comprendre. Cela fait partie des missions de notre unité qui intervient surtout auprès des lycéens. Ceux-ci sont très curieux et posent beaucoup de questions. Pour eux, c’est souvent une découverte que de savoir que nous sommes tous donneurs implicites.