Le Dr Fanny Bernard est anesthésiste-réanimatrice au sein du service d’anesthésie-réanimation-médecine périopératoire du CHU de Poitiers. Elle a reçu en septembre dernier le prix du concours des résidents lors du congrès annuel de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR), pour son étude sur la diffusion cérébrale du linézolide, antibiotique efficace contre certaines bactéries résistantes. Elle exerce depuis novembre 2021 en tant que chef de clinique dans le service de neuroréanimation.
Un prix prestigieux
Plus de 1000 candidats soumettent leurs abstracts de projets de recherche chaque année pour le prix du concours des résidents. Ils sont examinés par un jury composé de médecins anesthésistes-réanimateurs qui effectuent une première sélection d’environ 500. Parmi les abstracts retenus, seuls 12 seront présentés au concours des résidents lors du congrès. La sélection s’effectue grâce à une notation, basée sur de nombreux critères : « le caractère innovant du projet, son originalité, la qualité de la recherche menée et la rigueur de sa méthode, la qualité de rédaction et l’impact de l’étude sur les pratiques », tout est passé au crible. Les 12 candidats ayant reçu la meilleure note doivent ensuite présenter leur projet en 10 minutes, avec l’appui d’un diaporama, puis répondre aux questions pointues du jury, le tout devant un public. Chaque année, le département d’anesthésie-réanimation-médecine périopératoire du CHU de Poitiers soumet une quinzaine d’abstracts dans le cadre du congrès de la SFAR.
D’autres prix sont délivrés lors du congrès, pour chacune des spécialités d’anesthésie et de réanimation, mais le prix du concours des résidents est le seul à se présenter sous la forme d’un concours. « C’est le prix le plus prestigieux du congrès, nous sommes très fiers que le Dr Bernard l’ait remporté », souligne le Pr Claire Dahyot-Fizelier, anesthésiste-réanimatrice au sein du service de neuro-réanimation du CHU de Poitiers. Par sa victoire, le Dr Bernard a également gagné une invitation au congrès de l’American Society of Anesthesiologists (ASA), qui devrait avoir lieu au printemps 2022 au Québec.
Améliorer l’efficacité des antibiotiques
L’objet de l’étude clinique du Dr Bernard est d’étudier la concentration et la diffusion du linézolide, un antibiotique, dans le liquide céphalo-spinal (LCS) et dans le plasma de patients hospitalisés en neuro-réanimation. « Nous mesurons les concentrations du linézolide et calculons sa diffusion après une dose, pour ensuite adapter les doses et le rendre plus efficace », précise-t-elle. En effet, les infections liées aux soins représentent l’une des principales causes de complication en réanimation. Cela est dû à la fois à l’affaiblissement du système immunitaire du patient, de par sa pathologie, mais aussi à l’utilisation de dispositifs médicaux invasifs qui peuvent se coloniser. Il est parfois nécessaire, par exemple, d’utiliser un drain de dérivation ventriculaire externe pour recueillir le LCS, en cas d’hémorragie méningée sur rupture d’anévrysme, de traumatisme crânien grave ou encore d’AVC hémorragique ou d’infection neuroméningée. « Chez ces patients, près d’un sur sur dix développera une méningite liée aux soins, pouvant aggraver son devenir neurologique voire vital, notamment en cas de bactérie résistante. », explique le Dr Bernard.
L’étude du Dr Bernard s’inscrit dans le cadre du protocole d’étude PK-pop-LCR, PHRC national obtenu en 2016 par le Pr Dahyot-Fizelier et l’équipe INSERM U1070, dont le CHU de Poitiers est promoteur. Cette étude a pour objectif d’étudier la diffusion de 9 antibiotiques à large spectre afin de déterminer la meilleure posologie pour agir efficacement sur les bactéries résistantes. Les recommandations posologiques actuelles pour ces antibiotiques sont pour la plupart basées sur des études menées chez des patients hors du contexte de la réanimation. L’objectif de l’étude est donc d’inclure un total de 175 patients de réanimation. Il s’agit d’une étude multicentrique nationale, à laquelle participent 21 centres. Depuis l’été 2019, plus de 130 patients ont été inclus.
Le liquide céphalo-spinal est particulièrement intéressant à étudier car les antibiotiques y pénètrent plus difficilement en raison des protections mises en place par l’organisme pour préserver le cerveau. Cette diffusion varie selon les antibiotiques d’où l’intérêt d’en étudier plusieurs, selon leurs propriétés physico-chimiques mais aussi selon les bactéries visées. Le liquide céphalo-spinal est prélevé via le système de drainage déjà en place pour le traitement de la pathologie cérébrale amenant le patient en réanimation, et les concentrations d’antibiotiques sont comparées à celles obtenues dans le sang pour avoir une estimation de la diffusion cérébrale.
Réanimation et laboratoire : un travail d’équipe
Le Dr Fanny Bernard s’est particulièrement investie dans ce projet de recherche, à la fois pour l’inclusion des patients, mais aussi au sein du service, avec l’aide de Carine Marie Dominique, interne d’anesthésie-réanimation, qui travaille quant à elle sur un autre antibiotique, le méropénème. « Le Dr Bernard venait dans le service après ses horaires de stage pour réaliser des prélèvements, puis pour les préparer et les congeler avant analyse », souligne le Pr Dahyot-Fizelier, « ce travail lui a demandé un investissement considérable en terme de temps ». Comme les patients qui pouvaient être inclus était très peu nombreux, il leur fallait être très mobilisées et réactives.
Une fois les prélèvements réalisés, c’est l’équipe INSERM U1070 (pharmacologie des antibiotiques et antibiorésistance) du Pr William Couet et du Pr Sandrine Marchand qui entrent en jeu, avec l’aide d’Hélène Mirfendereski, ingénieure analytique, et les Dr Alexia Chauzy et Nicolas Grégoire, pharmacocinéticiens spécialisés en modélisation. Leur rôle est de mesurer les concentrations d’antibiotique d’ensuite créer une modélisation mathématique permettant de déterminer la dose la plus efficace pour venir à bout des bactéries, en ce qui concerne le linézolide, les staphylocoques résistants. « C’est un réel travail d’équipe entre la réanimation et les pharmaciens du labo ».
La conclusion de l’étude du Dr Bernard est que les doses administrées actuellement seraient insuffisantes pour traiter efficacement les méningites à staphylocoques. En France, ces bactéries ne sont cependant pas très fréquentes, par rapport à d’autres pays, comme par exemple les Etats-Unis, ce qui s’explique en partie par la politique de gestion des antibiotiques de chaque pays.
Infection liée aux soins : une course contre la montre
Hors contexte d’étude clinique, le laboratoire de bactériologie a pour mission d’identifier les agents responsables lorsqu’un patient présente une infection. Cependant, l’identification précise de la bactérie demande généralement entre 48 et 72h de travail, un délai trop important pour laisser le patient sans traitement.
On débute donc l’antibiothérapie « à l’aveugle », avec pour objectif de parvenir à administrer une dose efficace le plus précocement possible, en tablant d’emblée sur des bactéries résistantes. C’est un traitement « probabiliste ». Les résultats de l’analyse permettent ensuite d’adapter le traitement.
L’étude du Dr Bernard est déterminante dans ce type de prise en charge, puisqu’elle permet d’adopter dès le départ une posologie efficace contre les bactéries les plus dangereuses, et d’améliorer ainsi le pronostic pour le patient.