La Maison de Freyja, une maison dédiée aux femmes victimes de violences, a ouvert en janvier 2023 sur le site de la Milétrie du CHU de Poitiers. Elle propose aux victimes un accompagnement médical, psychologique et social. Ses points forts : une prise en charge rapide, des personnes référentes et un suivi sur du long terme. Spécialiste des violences conjugales, le Dr Alexia Delbreil en est la responsable. Elle explique l’importance de la Maison de Freyja.
Qui êtes-vous, docteur Alexia Delbreil ?
Je suis médecin légiste et psychiatre de formation. Je suis responsable adjointe du service de médecine légale qui comprend l’unité médico-judiciaire (UMJ), au sein de laquelle nous accueillons toutes les victimes à la suite de leur dépôt de plainte. Cette unité comprend également d’une part la maison de Freyja, maison d’accueil des femmes victimes de violences qui a ouvert en janvier 2023, et d’autre part l’unité d’accueil pédiatriqe enfance en danger (UAPED), qui prend en charge tous les mineurs victimes de violences.
Quelles sont vos rapports avec les violences faites aux femmes ?
L’unité médico-judiciaire du CHU est ouverte depuis 2011. Depuis lors, nous accueillons de nombreuses victimes de violences, hommes, femmes ou enfants, afin de faire des certificats de constatation de blessures physiques et psychiques pour les procédures judiciaires. Cela concerne tous les types de violences ou d’accidents. De fait, par ce travail, nous sommes en contact régulier avec les femmes victimes notamment de violence conjugale. Personnellement, cela fait plus de 10 ans maintenant que je travaille sur ce sujet des violences conjugales et plus particulièrement sur le risque d’homicide au sein du couple. Il s’agit de mon axe de recherche principal depuis ma thèse de médecine. Pour cette étude, nous avons une collaboration ancienne avec la Cour d’appel de Poitiers qui nous permet d’étudier tous les dossiers jugés aux Assises depuis 1999. Cela fait vraiment longtemps que l’on travaille avec les magistrats de la Cour d’appel pour améliorer la prévention des homicides au sein du couple. En parallèle, je travaille sur d’autres études centrées sur les violences conjugales. Des recherches sont en cours sur les liens possibles entre la notion de déshumanisation du partenaire et l’explication du cycle de la violence conjugale. Je suis rattachée au laboratoire CERCA de l’université de Poitiers et je travaille avec le Pr Nemat Jaafari et le Pr Armand Chatard au sein de l’équipe cognition, clinique et comportement (CoCliCo).
Pourquoi avoir créer la Maison de Freyja ?
Suite au Grenelle des violences conjugales, le gouvernement a souhaité mettre en place, au sein d’établissements hospitaliers, des unités de prise en charge des femmes victimes de violences afin de mieux organiser leur parcours de soins et leur accompagnement. Nous avons souhaité en créer une au CHU de Poitiers. C’est pourquoi nous avons répondu en 2021 à l’appel à projet de l’Agence régionale de santé de la Nouvelle-Aquitaine. Nous avons eu une réponse positive fin 2021. Le premier budget reçu nous a permis de recruter du personnel et d’organiser l’unité.
Pourquoi le nom de Freyja ?
Nous avons cherché un nom qui puisse représenter ce dont la femme était capable pour se protéger et se reconstruire. La déesse de la mythologie nordique, Freyja est celle, qui à nos yeux, représente bien cela.
Comment se faisait la prise en charge des femmes avant la création de la Maison de Freyja ?
La prise en charge des femmes victimes de violences au CHU de Poitiers était plus limitée. Nous recevions les victimes sur l’UMJ pour un examen médico-légal puis nous l’orientions en fonction des besoins que nous avions pu identifier pendant l’entretien médical. Nous pouvions leur proposer des rendez-vous avec les psychologues de l’UMJ, permettant un suivi psychologique rapide après les faits d’agression ou d’accident. Toutefois, un accompagnement global n’était pas réalisé.
Quelles sont les missions de la Maison de Freyja ?
Les missions sont en lien direct avec les compétences des professionnels qui ont été choisis. Laurence Pineau, infirmière coordinatrice, reçoit la victime initialement. Elle va avoir un rôle d’évaluation. Elle pose un peu le contexte des violences pour comprendre la situation et elle fait une première évaluation des besoins, tant sur le plan médical que sur les plans psychique et social. L’aspect judiciaire est également exploré. Une fois qu’elle a pris connaissance de la situation, Laurence Pineau va pouvoir prévoir les différents rendez-vous, que ce soit en interne ou avec des partenaires extérieurs. Cécile Guignard, assistante sociale, est là pour répondre aux besoins sociaux des victimes. Toutes deux proposent à la victime un suivi avec elles, afin de voir comment évolue la situation dans le temps. Les victimes peuvent les contacter par téléphone ou par mail à la moindre question ou demande. Nous pouvons maintenant proposer aux victimes un accompagnement sur du long terme par une personne référente. Avoir des professionnels disponibles pour ce travail de soutien, d’accompagnement et d’écoute, c’est vraiment une plus-value à la Maison de Freyja. Laurence Pineau et Cécile Guignard peuvent être un peu comme des béquilles pour les victimes. Elles peuvent redonner de la force et de l’énergie, fixer des deadlines, fixer des objectifs, aussi petits soient-ils. On se sent moins seules quand on peut parler à quelqu’un, se reposer sur quelqu’un. Cela aide à avancer et à faire les choses.
La Maison de Freyja a-t-elle des spécificités ?
Nous avons une particularité par rapport aux autres structures du même type sur le territoire ; celle d’être au sein de l’unité de médecine légale. Ce type d’organisation plutôt originale fait que l’on a, par le biais de l’UMJ, l’UAPED et la Maison de Freyja, une proposition d’accompagnement très globale de prise en charge des victimes ainsi qu’un accès facilité aux soins et aux structures partenaires.
Quels sont les principaux enjeux pour vous ?
Le premier enjeu est de pouvoir accueillir les personnes le plus rapidement possible, de leur proposer un rendez-vous le jour même ou, en tout cas, dès qu’elles sont disponibles. Le second enjeu est de proposer d’autres types d’accompagnements correspondants aux besoins et aux envies des victimes, sous forme d’ateliers, de groupes de paroles… Nous souhaiterions, à terme, pouvoir également proposer un service plus étendu sur le territoire de la Vienne.
Quel est votre rôle au sein de la Maison de Freyja ?
J’organise le fonctionnement de l’unité et j’ai un rôle de supervision de l’équipe. Avec Laurence Pineau et Cécile Guignard, nous réfléchissons aux missions que l’on donne à l’unité, à leur rôle, leurs manières d’accompagner les victimes, à nos partenariats. Nous réfléchissons ensemble aux différents projets de services que l’on pourrait mettre en place. J’apporte également mes connaissances et mon expérience dans les domaines médico-judiciaire, clinique et psychiatrique, sur les violences faites aux femmes.
Que voulez-vous pour cette maison ?
Nous ne sommes pas une unité d’hospitalisation. Nous souhaitons pouvoir proposer aux femmes victimes un espace agréable et accueillant qui ressemble un peu moins à l’hôpital ; un lieu confortable qui permette aux femmes et aux enfants de pouvoir s’y poser tranquillement, surtout lorsqu’ils sont amenés à y passer plusieurs heures. Le CHU de Poitiers nous a proposé d’intégrer un pavillon à l’extérieur du bâtiment central, ce qui est positif pour les victimes. Elles ne sont pas obligées de rentrer directement dans l’établissement hospitalier qui peut être anxiogène. Elles rentrent dans une unité qui leur est entièrement dédiée. Les locaux sont entourés d’espaces verts avec la possibilité de pouvoir sortir pour prendre l’air ou se promener, de déjeuner sur une table extérieure. C’est agréable.
Vous avez beaucoup de partenaires. Quels sont leur rôle ?
Nos partenariats sont très importants pour notre activité. Lorsque nous avons déposé le projet auprès de l’ARS, nous avons reçu les soutiens de la mairie de Poitiers, de la Cour d’appel de Poitiers et du centre hospitalier Henri Laborit. Ensuite, nous avons une longue liste de partenaires constituée de partenaires de santé et d’associations de victimes notamment. Travailler en collaboration avec les partenaires est essentiel parce que l’objectif n’est pas de proposer des choses qui existeraient déjà et qui fonctionnent parfaitement. Il s’agit de nous rendre complémentaires les uns et les autres. Il faut que l’on puisse, chacun à notre niveau, participer à la prise en charge des victimes sans être redondants. Il ne s’agit pas d’une concurrence mais bien d’une collaboration, avec la différence que la Maison de Freyja propose en plus une prise en charge médicale. Nous avons pour objectif dans les mois qui viennent de travailler différents projets avec nos partenaires.
Qu’en est-il des enfants ?
Quand il s’agit de violence intra-familiale, les enfants sont bien considérés comme victime. Nous pouvons proposer aux mères victimes de violences la prise en charge de leurs enfants par l’unité pédiatrique enfance en danger. Ils peuvent ainsi bénéficier du même type d’accompagnement que les femmes à la Maison de Freyja.
Et les hommes victimes ?
L’appel à projet lancée par l’ARS ne concernait que les femmes, qui sont les plus touchées par les violences. Les hommes violentés sont reçus au sein de l’unité médico-judiciaire où ils peuvent aussi bénéficier d’un accompagnement psychologique et/ou social. L’UMJ, l’UAPED et la Maison de Freyja étant mutualisées, nous bénéficions des apports des unes et des autres, tout en dédiant la dernière aux femmes.
Que voulez-vous dire aux femmes ?
J’aimerais leur dire qu’elles ne sont pas seules. Nous pouvons les accueillir à la Maison de Freyja du lundi au vendredi, en continu de 9h à 17h. Il y aura toujours quelqu’un. Le numéro du secrétariat est également joignable sur ces plages horaires. Elles peuvent venir pour n’importe quelle raison, n’importe quel conseil ou tout simplement pour parler.
La maison de Freyja est ouverte du lundi au vendredi de 9h à 17h, avec ou sans rendez-vous. Vous pouvez joindre l’équipe au : 05 16 60 41 18. En dehors de ces horaires, se rendre aux urgences du CHU pour une prise en charge médicale. Un numéro national est disponible pour les femmes victimes de violences conjugales, le 3919. En cas d’urgence, composez le 17. |