Lors des interventions chirurgicales, les patients sous anesthésie générale peuvent subir une baisse dangereuse de la pression artérielle appelée hypotension. L’hypotension est une préoccupation majeure des équipes soignantes du bloc opératoire car elle peut être responsable de complications graves pour les patients. Depuis fin avril, un dispositif non invasif, intégrant un algorithme d’intelligence artificielle et permettant de prédire l’hypotension avant sa survenue, est testé par quatre de nos praticiens anesthésistes-réanimateurs : les docteurs Matthieu Boisson, Kamel Chellali, Thomas Kerforne et Corentin Lacroix.
Évolution de la technologie de monitorage.
Traditionnellement, la pression artérielle au bloc opératoire est surveillée de façon intermittente par un brassard positionné au niveau du bras. En cas de chirurgie majeure, le monitorage continu est souvent nécessaire et peut être réalisé par deux types de dispositif. Le premier, communément utilisé, est l’insertion d’un cathéter dans une artère. Le deuxième est un capteur que l’on positionne au bout du doigt du patient et qui a l’avantage d’être non invasif. Ils permettent tous les deux d’identifier la survenue d’une hypotension de manière fiable et donc la mise en place d’un traitement adapté après la survenue de la complication. Un dispositif associé à un algorithme d’intelligence artificielle a été développé pour le cathéter artériel. Il s’agit d’un algorithme appelé indice de prédiction de l’hypotension (HPI) et développée par la société Edwards Lifesciences. Cependant, le caractère invasif du cathéter artériel peut bloquer son utilisation pour certains patients ayant des fragilités vasculaires. La société Edwards a donc fait évoluer son dispositif non invasif afin de lui intégrer la technologie innovante HPI. Ce dispositif n’est pas encore commercialisé et le CHU de Poitiers est le premier centre en France à avoir été sollicité par cette société pour une mise à l’essai de ce dispositif.
Une prédiction de l’hypotension à adapter
Le dispositif Acumen IQ Cuff, développé par la société Edwards Lifesciences, intègre un algorithme basé sur l’intelligence artificielle qui analyse en temps réel 23 éléments de la courbe de pression artérielle et évalue la probabilité de survenue d’une hypotension dans les minutes à venir. Il peut prévenir un événement entre 5 et 30 min avant qu’il ne survienne ; c’est un réglage qui se fait manuellement, en fonction de la volonté du médecin. « Plus le temps est proche de 5 minutes, plus la prédiction est précise mais moins on a le temps d’agir » précise le docteur Matthieu Boisson. « C’est pourquoi, pour cette expérimentation, nous avons sélectionné une alerte à 15 min ». Le temps est couplé à une évaluation en pourcentage prédisant le pourcentage de risque pour le patient de faire une hypotension. La société a configuré l’alerte à 85 %. Lorsque l’intelligence artificielle identifie une forte probabilité d’hypotension à venir, elle prévient l’anesthésiste-réanimateur par le biais d’un écran de surveillance. Celui-ci peut alors évaluer la situation et décider de contre-mesures avant même que l’incident ne se produise en mettant en place un traitement ciblé, préventif.
« Au départ nous avions tendance à ne pas croire le dispositif » réagissent les docteurs Boisson et Chellali. « Il y a une phase d’apprentissage nécessaire, puis nous observons que le dispositif est un très bon outil prédictif et nous modifions alors nos pratiques ».
Modification de l’axe de réflexion des équipes médicales
L’utilisation de cette technologie innovante, permettant de coupler l’intelligence artificielle a un dispositif non invasif, trouve ses premières indications dans le cadre de chirurgies majeures comme les chirurgies vasculaires, du pancréas ou du rectum. Mais il pourrait également trouver un intérêt certain dans des chirurgies mineures pour des patients identifiés à haut risque. « Il faut se rendre compte que l’intérêt est de permettre l’optimisation du parcours patient en permettant le bon traitement au bon patient, au bon moment » indique le docteur Thomas Kerforne. « Pendant cette phase de test, j’ai pu utiliser le dispositif dans le cadre d’une opération de la hanche mais sur une patiente âgée ayant un terrain vasculaire très fragile pour laquelle l’insertion d’un cathéter artériel aurait été déconseillé ». Et le docteur Boisson de rebondir : « C’est une technologie qui fait sens chez les patients très âgés pour lesquels les risques d’une hypotension entrainent de la confusion et de la perte de mémoire ». Au-delà de l’indication dans le cadre de chirurgie ou de patient à risque, ce dispositif change la réflexion de l’ensemble du corps médical présent au bloc opératoire, anesthésiste-réanimateur, chirurgien, infirmière anesthésiste, interne, etc. L’habitude jusqu’à présent est de traiter la complication au moment de sa survenue et l’ensemble des professionnels est formé en ce sens. Désormais, il s’agit d’intervenir alors qu’il ne s’est encore rien passé. Il s’agit de traiter la cause de l’événement et non l’événement en lui-même, ce qui permet d’autres manières de traiter les patients. « Au départ nous avions tendance à ne pas croire le dispositif » réagissent les docteurs Boisson et Chellali. « Il y a une phase d’apprentissage nécessaire, puis nous observons que le dispositif est un très bon outil prédictif et nous modifions alors nos pratiques ».
La mise à l’essai de cette technologie innovante au sein du CHU de Poitiers est prometteuse, et les équipes du service d’anesthésie-réanimation et médecine péri-opératoire souhaiteraient désormais acquérir le dispositif et procéder à une étude scientifique. De plus, évoluer sur une nouvelle méthode de réflexion correspond parfaitement au rôle scientifique et pédagogique d’un CHU. Le recours à cette innovation s’inscrit dans la volonté du CHU de s’engager dans l’amélioration de la qualité des soins en permettant à ses patients de bénéficier du plus haut niveau de sécurité.