Après des études de médecine, un internat et un post-internat en région Île-de-France, Anne-Cécile Pizzoferrato a exercé au centre hospitalier universitaire de Caen Normandie. Cette gynécologue-obstétricienne, qui a rejoint le CHU de Poitiers en juillet 2022, a fait de la sensibilisation à la santé pelvi-périnéale son cheval de bataille.
Pourquoi avoir choisi la pelvi-périnéologie comme surspécialité ?
Je me suis passionnée pour la pelvi-périnéologie dès mon internat en gynécologie-obstétrique lorsque j’ai fait un diplôme inter-universitaire en urodynamique. Durant mon post-internat, je me suis spécialisée dans ce domaine en faisant notamment des bilans urodynamiques qui sont des examens permettant de mieux comprendre certains symptômes urinaires. À la fin de mon clinicat, j’ai eu l’opportunité d’être praticien hospitalier au sein du service de gynécologie de l’hôpital de Caen où j’ai vraiment été reconnue comme référente en pelvi-périnéologie. J’animais des réunions de concertations pluridisciplinaires, des cours et des enseignements post-universitaires. C’est d’ailleurs l’encadrement des internes et la pédagogie nécessaire qui m’ont menée à m’orienter vers une carrière universitaire. Je suis arrivée au CHU de Poitiers en juillet pour une prise de fonction le 1er septembre 2022. Je prends la suite du Dr Bertrand Gachon qui s’intéressait à la pelvi-périnéologie autour de l’accouchement, évènement susceptible de provoquer des lésions au niveau du plancher pelvien et, par conséquence, des dysfonctionnements pelvi-périnéaux. Je me suis orientée sur la prévention de ces troubles et leur prise en charge. Il existe plusieurs facteurs expliquant les dysfonctionnements pelvi-périnéaux comme la grossesse et l’accouchement, ainsi que le vieillissement et la ménopause. Malheureusement, ce que les gens ne savent pas, c’est que notre mode de vie a également un impact sur l’apparition de ces troubles. Beaucoup n’ont pas conscience que des gestes du quotidien mal exécutés peuvent altérer notre périnée, même si nous n’avons pas tous le même capital périnéal. Par exemple, lorsque nous soulevons de lourdes charges sans contracter le périnée ou lorsque nous ne nous asseyons pas convenablement sur les toilettes. Certains gestes sportifs peuvent également avoir des effets délétères. Les dysfonctionnements pelvi-périnéaux sont très fréquents et concernent l’ensemble de la population, femmes et hommes (environ 30 à 40 % de la population générale). Ils sont plus fréquents que l’on ne le croit chez les adolescentes, touchant probablement 20 à 30 % d’entre elles. Et bien plus encore chez les sportifs et sportives de haut niveau (entre 40 et 80 % selon le type de sport pratiqué). Les personnes voient souvent cela comme une fatalité alors que des solutions peuvent être apportées. Les fuites urinaires sont extrêmement banalisées, notamment à la télévision qui propose des couches ou des culottes protectrices. Ce n’est pas ce que nous devons véhiculer auprès des personnes concernées puisque l’incontinence urinaire n’est pas une fatalité et qu’elle peut être traitée.
Sur quoi portent vos recherches ?
Mes recherches portent sur les dysfonctionnements pelvi-périneaux et se déclinent en trois axes : l’axe compréhension, l’axe traitement et l’axe éducation. Le premier axe consiste à comprendre la physiopathologie des troubles pelvi-périnéaux dont on ne connait pas très bien tous les facteurs de risques et les mécanismes : comment ils surviennent, comment ils évoluent. La rééducation permet de faire disparaitre ces troubles qui sont susceptibles de réapparaître par la suite. L’autre axe concerne la prise en charge thérapeutique de ces troubles, notamment la rééducation et la chirurgie. Très fréquentes, les chirurgies sont des chirurgies à risques de complications potentiellement graves pour les patientes. Elles entraînent des séquelles fonctionnelles très invalidantes, par exemple des douleurs et des infections urinaires à répétition. Je participe au registre VIGI-MESH, coordonné par le CHU de Poitiers, qui collecte les complications relatives à la chirurgie du prolapsus génital et de l’incontinence urinaire. D’autres chirurgies pelviennes comme les chirurgies de l’endométriose, les chirurgies gynécologiques et les chirurgies cancérologiques (gynécologique, urologiques, digestives) peuvent provoquer des dysfonctionnements du périnée avec des symptômes invalidants pour les patientes. Avec les améliorations de la prise en charge des cancers et l’allongement de l’espérance de vie, une attention particulière doit être portée à la qualité de vie et aux symptômes périnéaux des femmes après chirurgie, radiothérapie et/ou chimiothérapie. Mon troisième axe de recherche, l’axe éducation, porte sur la sensibilisation et l’information auprès du grand public.
Comment allez-vous sensibiliser aux dysfonctionnements pelvi-périnéaux ?
Mon objectif est de développer, en collaboration avec Véronique Blanchard, kinésithérapeute à Tours, et l’école de sages-femmes de Poitiers, un programme national de prévention en santé pelvi-périnéale avec pour objectif de diminuer la prévalence des troubles pelvi-périnéaux. Rendre service à la population est le rôle même de la médecine. La prévention est très peu développée, aucun programme n’existant actuellement en France. Ce n’est pas facile parce que le sujet est encore trop tabou dans notre société et que beaucoup de fausses idées circulent encore. Nous nous sommes constitués en un collectif qui s’appelle « Education et prévention en pelvi-périnéologie » (E3P) et accueillons des étudiants en santé dans le cadre de leur thèse ou mémoire (internes de gynécologie, de médecine générale, élèves sages-femmes…). Nous avons des messages importants à diffuser et nos ateliers d’information sont plutôt ludiques, basés sur des messages simples et forts. Toucher le monde du sport où la prévalence est très forte est également l’une de nos priorités. Nous avons eu l’opportunité de commencer nos ateliers auprès des danseuses professionnelles de l’opéra Garnier l’année dernière. Ensuite, nous l’avons proposé au centre sportif de Normandie puis à celui de Rouen. Nous allons prochainement les proposer à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance pour les athlètes de haut niveau. Nous avons prévu début 2023 une session de formation qui sera proposée au niveau national pour les étudiants sages-femmes grâce au soutien de l’école de sages-femmes de Poitiers. Nous aimerions pouvoir proposer ces sessions au personnel de l’hôpital, ce que je faisais déjà au CHU de Caen. L’année dernière, nous avons déposé le projet d’une séquence pédagogique à l’Éducation nationale par le biais du rectorat de Caen. Nous souhaitons, en effet, mettre en place de l’information sur la santé pelvi-périnéale dans le cadre des séances d’éducation à la sexualité à laquelle elle est étroitement liée. Ces campagnes d’information, de prévention et de sensibilisation sont le projet de ma vie. Je suis énormément soutenu par mes collègues du service de gynécologie et par Marc Paccalin, le doyen de la faculté de médecine. C’était important pour moi d’autant plus que ce n’est pas un projet facile à vendre.