Nommée professeur des universités en septembre 2019, Blandine Rammaert est originaire de Lille, où elle a suivi un internat de pneumologie avant de rejoindre Paris pour se spécialiser en maladies infectieuses et tropicales. Elle est arrivée au CHU de Poitiers en 2015, en tant que maître de conférences universitaire-praticien hospitalier, au sein du service de maladies infectieuses et tropicales. En arrivant à Poitiers, elle a rapidement rejoint l’unité Inserm U1070 de pharmacologie des antiinfectieux du Pr William Couet.
Professeur, pouvez-vous détailler votre clinique au sein du service de maladies infectieuses et tropicales ?
Depuis 2015, j’ai mis en place des consultations spécifiquement dédiées aux patients aspléniques. L’asplénie se définit par l’absence de rate fonctionnelle : soit le patient n’a plus de rate, soit cette dernière ne fonctionne pas. Et c’est très problématique car la rate possède un rôle important dans l’immunité cellulaire car elle intervient dans la régulation des infections dites « encapsulées » telles que les méningocoques et les pneumocoques. Sans rate, le patient perd ainsi sa mémoire immunitaire et est exposé à un risque infectieux. Je reçois donc ces patients, leur explique comment vivre sans rate, et nous mettons en place une vaccination adaptée. Mon champ d’action concerne toute l’ancienne région Poitou-Charentes.
Sur quelle thématique des maladies infectieuses travaillez-vous particulièrement ?
Les infections fongiques invasives, et en particulier l’aspergillose pulmonaire. Cette infection est due à des moisissures que l’on trouve très facilement dans l’environnement puisque ce sont des spores que l’on respire tous les jours. Rassurez-vous, vous ne tomberez pas malade demain ! L’aspergillose se déclare très majoritairement chez des patients atteints de maladies du sang. L’infection se répand à partir poumon par les vaisseaux sanguins et peut toucher plusieurs organes. Je donne des avis pour ces patients et pour tous les patients atteints d’autres infections au pôle régional de cancérologie. Par ailleurs, une fois par semaine, je travaille avec les mycologues et les pharmaciens sur le bon usage des antifongiques prescrits dans l’hôpital. Nous dressons un état des lieux de la situation et ajustons, si nécessaire, certaines prescriptions. A terme, l’objectif serait de pouvoir donner en temps réel des conseils en antifongiques aux professionnels du CHU et du Poitou-Charentes.
Pouvez-vous nous parler de votre activité de recherche clinique ?
Un de mes projets s’attache à décrire les facteurs de risque des complications qui peuvent survenir chez les patients aspléniques. Environ 6000 patients issus de dix centres de références en France vont être suivis pendant 10 ans . Le but est de prévenir les complications et de voir si les mesures de prévention, comme la vaccination, sont efficaces. D’autre part, je travaille avec le Dr Mathieu Puyade, interniste sur un projet d’onco-hématologie avec une cohorte de 150 patients atteints de leucémie aiguë myéloïde et de lymphome. L’étude porte sur la vaccination de ces patients contre le pneumocoque. Nous souhaitons mieux définir l’utilité de ce vaccin chez ces personnes.
Votre projet ACACIA vient d’être retenu par le programme hospitalier de recherche clinique. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette étude ?
Le titre exact de cette étude est « amoxicilline-clavulanate seul ou en association avec la ciprofloxacine dans la neutropénie fébrile à bas risque de l’adulte : étude de phase III, prospective, multicentrique, de non-infériorité, randomisée, en double aveugle ». Ici, on s’intéresse aux patients atteints de cancers solides et de lympome. Ces patients peuvent, dans certains cas, développer ce que l’on appelle une neutropénie, à savoir une diminution de neutrophiles circulants, un type de globules blancs issu de la moelle osseuse. Si cette neutropénie est sévère, le risque et la gravité des infections bactériennes augmentent de facto. De façon très simple, le but de cette étude est de démontrer si deux antibiotiques sont nécessaires chez ces patients plutôt qu’un seul, l’amoxicilline-clavulanate. En effet, à l’heure actuelle, il n’est probablement plus utile de donner la ciprofloxacine. De nombreuses bactéries y sont résistantes alors qu’elles restent sensibles à l’amoxicilline-clavulanate. De plus, la ciprofloxaine entraîne elle-même beaucoup de résistances bactériennes. Nous allons ainsi administrer deux traitements : un binôme amoxicilline-clavulanate et ciprofloxacine et un binôme l’amoxicilline-clavulanate et placebo. Il s’agit d’une étude multicentrique, qui allie 15 centres d’onco-hématologie en France, et nous venons d’obtenir plus 780 000 euros de financement.
Vous travaillez aussi sur une étude en recherche fondamentale…
Oui, en particulier sur les mucormycoses pulmonaires, une infection fongique agressive et très résistante aux traitements. Cette pathologie touche en partie les patients d’hématologie. A ce jour, je travaille avec l’unité ISERM U1070 sur les facteurs de risque de cette infection comme la prise de corticoïdes. Je cherche également à optimiser le traitement antifongique de référence de cette infection, l’amphotéricine B. Le problème de ce traitement est qu’il peut causer une insuffisance rénale. Plutôt que de traiter le patient par voie intraveineuse, nous essayons des traitements par aérosol diffusé dans les poumons afin de limiter le risque de toxicité rénale.