Jean-Pierre Faure, professeur d’anatomie et de chirurgie viscérale, spécialisé dans la chirurgie de l’obésité et de la paroi, a été l’un des premiers à utiliser le robot Da Vinci* pour ses interventions. Enthousiaste comme au premier jour, il explique tous les bénéfices de la chirurgie robotique aussi bien pour les patients que pour les chirurgiens.
Vous faites référence à deux révolutions importantes dans le domaine chirurgical avant même l’apparition de la robotique. Quelles sont-elles ?
La première, dans les années 1950, est le développement de l’anesthésie-réanimation qui a permis de réaliser des opérations impossibles jusqu’alors. Puis, dans les années 1990, l’introduction de la cœlioscopie a profondément modifié les pratiques chirurgicales. Auparavant, la chirurgie était synonyme de grandes cicatrices douloureuses, d’un alitement prolongé, d’une reprise d’activité retardée et de risques de complications tardives comme les éventrations. Nous avons essayé de réduire l’impact de ces contraintes avec la chirurgie mini-invasive. Les abords vidéo-assistés permettent d’opérer en ne faisant que de petites incisions. Cela paraît simple mais c’est une grande révolution dans le domaine chirurgical et toutes les spécialités chirurgicales ont développé cette nouvelle approche.
Mais la cœlioscopie n’est pas si facile. Pourquoi ?
La chirurgie cœlioscopique n’est pas si simple. Lorsque nous « ouvrons un ventre », nous pouvons glisser les mains à l’intérieur et bouger librement car nous avons toute la mobilité des poignets pour intervenir. En chirurgie cœlioscopie, nous utilisons des instruments relativement rigides nous faisant perdre cette mobilité, mon vieux maitre comparait cela à « des baguettes chinoises ». L’autre difficulté se retrouve dans notre positionnement : nous opérons la tête tournée vers un écran vidéo (vision en 2 dimensions) alors que nous travaillons dans un milieu à trois dimensions. Il faut passer par un apprentissage soutenu et progressif qui se fait tout au long de l’internat et du clinicat.
Quelles sont les améliorations apportées à la cœlioscopie ces dernières années ?
Les bénéfices de la chirurgie coelioscopique pour nos patients sont immenses. Nous constatons très nettement la différence en termes de douleur, de durée de séjour et de récupération. Des ingénieurs ont cherché à améliorer la cœlioscopie en proposant des caméras 3D avec une qualité d’image meilleure d’année en année. L’autre point de progression concerne les instruments qui, à l’image des fameuses « baguettes chinoises », ne sont pas simples à manier. Certains gestes restent encore très difficiles à réaliser en cœlioscopie. Il nous fallait des instruments articulés qui nous permettent de travailler à l’intérieur du ventre de façon à reproduire le mouvement de nos doigts et poignets. Pour cela, des ingénieurs ont réussi à créer un robot, le robot Da Vinci Xi que le CHU de Poitiers a acquis en 2015. Nous étions le premier hôpital de la région Poitou-Charentes à disposer d’un tel équipement.
Quel est l’intérêt de la chirurgie robotique ?
Ce qui est intéressant et important, c’est l’aspect outil multidisciplinaire du robot Da Vinci. Il est employé au quotidien par plusieurs spécialités : l’urologie, la cardio-thoracique, la gynécologie, l’ORL, la chirurgie digestive et exceptionnellement par la pédiatrie. Pour le grand public, un robot, c’est un dispositif autonome. En pratique, le robot Da Vinci ne sait rien faire tout seul. En fait, il s’agit d’un instrument qui va nous aider dans nos pratiques chirurgicales. Il permet au chirurgien de voir en trois dimensions. C’est très immersif, cela donne l’impression d’être dans le ventre du patient. De plus, les instruments manipulés reproduisent exactement les gestes des doigts et des poignets. Le robot redonne une certaine autonomie au chirurgien qui est à la fois opérateur, aide et caméraman. C’est un outil que l’on arrive à maîtriser plus rapidement que la cœlioscopie : la courbe d’apprentissage est plus rapide. La chirurgie robotique est aussi bénéfique pour les patients que la chirurgie mini-invasive cœlioscopique dont elle reprend tous les avantages. Mais elle permet en plus de faire des gestes chirurgicaux difficiles voire impossibles en cœlioscopie. De plus, le robot bénéficie d’un certain prestige auprès du public, permettant d’attirer les patients. Ainsi en chirurgie bariatrique, nous avons augmenté le nombre d’interventions qui était de plus de 250 en 2021. Cette augmentation est confirmée aussi dans les autres spécialités. La technologie robotique attire également les jeunes chirurgiens, qui, au sortir de leur formation choisissent préférentiellement une installation dans une structure possédant un robot.
Quel est l’avenir de la chirurgie robotique ?
La chirurgie robotique, c’est le futur ! J’en veux pour preuve la volonté de nos hôpitaux à vouloir s’équiper et la question n’est plus de savoir si un établissement acquiert un robot mais plutôt de savoir combien il faut en mettre en place pour développer cette activité. A chaque réunion de société savante de chirurgie, les sessions robotiques se multiplient montrant des perspectives d’activité intéressantes. C’est cette révolution en chirurgie mini-invasive qui doit se développer au sein du CHU de Poitiers, la chirurgie robotique est devenue incontournable et ce n’est que le début. En chirurgie viscérale, notre prochaine étape est de développer la prise en charge robotique du cancer de l’œsophage, de l’estomac et du pancréas. Actuellement, ces interventions très agressives imposent d’importantes cicatrices, des hospitalisations longues et une récupération difficile. La robotique permet une telle avancée technique dans les blocs opératoires que ces gestes compliqués pourront être faits par voie mini-invasive sans « passer » par la case cœlioscopie. Avec le Dr David Soussi Berjonval, nous sommes les premiers en Nouvelle-Aquitaine à mettre en place la chirurgie de la paroi abdominale (éventrations complexes) robot assistée. Au CHU de Poitiers, le caractère multidisciplinaire de l’utilisation du système robotique est un élément fort et nous avons allègrement franchi la première étape en nous appropriant et en utilisant avec succès le robot. Nous sommes prêts à développer cette activité pour de nouvelles procédures, à former les internes, docteurs juniors et chefs de clinique, et ainsi proposer une offre de soins de qualité pour nos patients.
*D’un montant de 2,2 millions d’euros et pensant 1,4 tonnes, le robot chirurgical Da Vinci est arrivé au CHU le 25 septembre. Deux mois après, le Dr Olivier Celhay, urologue, réalisait la première intervention.