Soins palliatifs : pour le respect de la vie

Depuis le début de la crise sanitaire, les services de soins palliatifs sont fortement sollicités. Mais connaissons-nous vraiment cette spécialité ? Le Dr Laurent Montaz, chef du service des soins palliatifs du CHU de Poitiers nous l’explique.

Pensez-vous que les soins palliatifs soient suffisamment connus du grand public ?

Les gens savent qu’il y a des soignants qui font du soin palliatif mais cela reste très flou pour eux. Récemment, je me suis rendu chez un patient qui me signifiait qu’il attendait ma venue avec beaucoup d’inquiétude et d’angoisse parce qu’il associait les soins palliatifs à la mort. Je pense que les personnes ne savent pas de quoi il s’agit vraiment. Les soins palliatifs continuent à prendre soin des personnes et non pas de la mort.

Alors, que sont exactement les soins palliatifs ?

Les soins palliatifs concernent des gens atteints d’une maladie grave, une maladie incurable que nous allons accompagner. Nous allons prendre soin de ces personnes sur le plan médical, social, psychologique et spirituel afin que cette période de la vie soit le plus confortable possible. Cet accompagnement effectué par une équipe interdisciplinaire, s’adresse aussi bien aux patients qu’à leurs familles. Il ne faut pas oublier que les proches sont également impactés dans cette vie qui n’est plus et ne sera plus jamais pareil. Cet accompagnement de fin de vie peut durer quelques jours comme deux ans. Nous sommes parfois appelés tardivement ce qui est regrettable.

A partir de quel moment peut-on faire appel aux soins palliatifs ?

La question est très délicate. Il est souhaitable d’être interpellé assez tôt parce pour nous permettre de mieux connaitre la personne et ses souhaits, ses directives. Ainsi nous suivons son cheminement sans qu’elle ne s’y s’égare. Mais pour de tels accompagnements, ce n’est pas de moyens techniques que nous avons le plus besoin.

Nous sommes souvent appelés très tardivement par nos confrères qui suivent des patients depuis longtemps. Je pense que cela peut être parfois difficile pour eux de faire appel aux soins palliatifs sans avoir un sentiment d’abandonner des patients qu’ils connaissent bien et/ou d’accepter l’impuissance. Mais, ils comprennent, de mieux en mieux, notre rôle et ils hésitent de moins en moins à nous solliciter.

Existe-t-il des problèmes de recrutement pour les services de soins palliatifs?

Il y a une disparité dans l’offre de soins palliatifs sur le territoire national. Au CHU de Poitiers, nous n’avons pas eu de problème jusqu’à maintenant même si nous percevons une petite baisse dans les demandes de formation médicale en soins palliatifs. La situation est assez catastrophique dans les hôpitaux périphériques. Cela est le cas pour beaucoup d’autres spécialités qui sont en difficultés actuellement.

N’est-ce pas une spécialité trop difficile moralement ?

C’est comme toute chose, il faut y croire. Il nous faut croire en l’apport et la richesse de ce que nous pouvons offrir aux patients. Il y a toute l’approche sur le confort, sur la douleur sur les symptômes physiques. Mais il y a aussi la volonté d’accompagner sur le plan psychologique ;  ce qui n’est pas donné à tout le monde effectivement. Chacun a une place dans la prise en charge médicale selon les pathologies des patients, tout au long de leur vie. A nous de reconnaitre la compétence, l’importance des uns et des autres.

Comment est composé le service de soins palliatifs du CHU de Poitiers ?

Le service de soins palliatifs est composé d’une unité de dix lits d’hospitalisation et d’une équipe mobile qui va dans tous les services de l’hôpital de Poitiers. Il compte également sur une petite équipe de territoire qui se déplace sur tout le département de la Vienne.

Des médecins du service de soins palliatifs de Poitiers assurent des consultations deux jours par semaines à l’hôpital de Châtellerault et une fois tous les 15 jours à l’hôpital de Loudun.

Présentez-nous cette équipe de territoire ?

L’équipe de territoire est une petite équipe composée uniquement d’un médecin et d’un infirmier. L’équipe intervient au domicile des patients, domicile qui peut être un EHPAD. Notre activité en EHPAD est très importante.

L’objectif de l’équipe de territoire est de couvrir tout le département de la Vienne mais nous sommes trop peu pour répondre aux demandes. Nous intervenons très peu dans le Nord-Vienne. Nous intervenons souvent en collaboration avec le service d’hospitalisation à domicile.

Beaucoup de personnes souhaitent-elles mourir à domicile ?

Nous sommes beaucoup sollicités pour cela. De plus en plus de personnes veulent mourir chez elles mais c’est quelque chose qui n’est pas toujours facile à assurer dans de bonnes conditions. Tout d’abord parce qu’elles ne peuvent pas être seules mais doivent compter sur la présence en permanence d’un aidant, que ce soit un proche ou toute autre personne. En effet, dans cette période de la vie, les patients sont fatigués avec des symptômes d’inconfort. Il faut qu’il y ait au moins une personne pour interpeler les équipes médicales. Il faut, d’autre part, que l’aidant ait les moyens financiers qui lui permettent de se libérer pour cela. Sans compter l’aspect psychologique de la situation. Actuellement, la société continue  à mettre des moyens pour les aidants. Les équipes mobiles de soins palliatifs et les services d’hospitalisation à domicile sont là pour accompagner les patients et les aidants.

Lors de son 26e congrès qui a eu lieu début septembre, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) a souligné l’inventivité et l’adaptabilité des équipes de soins palliatifs pendant la crise sanitaire. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, nous avons été sollicités pendant cette période. Nous nous sommes adaptés. Nous nous sommes mis à la disposition des services hospitaliers qui étaient en première ligne comme les maladies infectieuses, la réanimation ou la gériatrie par exemple. Nous avons participé à la collégialité des décisions, aux choix de traitements pour soulager les patients, à la recherche d’une solution pour des médicaments en pénurie, etc.  Nous avons mis en place un numéro de téléphone unique à destination du personnel soignant des unités covid pour répondre à leurs questions ou se rendre disponible. Les psychologues du service étaient joignables via un numéro de téléphone unique pour soutenir les familles des patients. D’autre part, nous avons été sollicités par l’agence régionale de la santé pour la mise en place d’une réponse à apporter dans les EHPAD. Nous avons travaillé au développement d’une trousse médicamenteuse proposée à l’ensemble des EHPAD de la Vienne dans l’éventualité où ces établissements  prendraient en charge des patients résidents dont l’état ne permettait  pas, ne gagnerait pas à  l’hospitalisation au CHU de Poitiers tout en garantissant soins et traitements pour leur confort. Ces trousses sont accompagnées des protocoles comme ceux de prise en charge de détresse respiratoire ou de sédation appliqués par le service des soins palliatifs. Si au CHU de Poitiers, notre intervention était évidente, notre volonté était d’apporter des réponses et d’être à disposition également de la population au-delà de l’institution cela avec le soutien de l’institution. Ce que nous avons réalisé peut-être réactivé si les circonstances le nécessitent.

La SFAP a pointé les points négatifs de cette période pour les équipes de soins palliatifs  comme le manque de produits de sédation ou la limitation de visite pour les patients. Y-a-t’il eu des points positifs ?

Un point positif de cette période est l’accélération de l’utilisation de la téléconsultation. Nous étions dans le balbutiement de la prise en charge en télé expertise et d’un seul coup, nous sommes passés à la téléconsultation. Cela a eu l’avantage de nous mettre en accord avec ce nouvel outil ; de dédramatiser certains points concernant la téléconsultation. C’est un outil qui ne remplace rien ; il est juste un outil en plus. Cela a constitué une belle découverte. La téléconsultation nous a permis de répondre à notre volonté de continuer la prise en charge et le suivi des patients.

On parle beaucoup de droit de mourir dans la dignité. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Je ne peux pas répondre en quelques mots à cet élément si important. Il faudrait que l’on s’entende sur la signification même du mot dignité. J’ai plus d’une remarque à faire sur le sujet. Le mot « dignité » est dans le premier article des Droits de l’homme : « tous les hommes naisssent libres et égaux en dignité et en droits ». La dignité de la vie d’une personne n’a pas de prix ; elle a une valeur bien au-delà d’un prix, valeur intouchable. A partir de là, nous devons respecter cette valeur. Quand la vie est très blessée, dans un état compliqué nous devons nous questionner. Pour respecter cette vie fragilisée par la maladie, nous ne devons ni accélérer ni retarder sa fin. C’est pour cela que les soins palliatifs reposent sur tout un travail en amont auprès des patients. Nous devons les connaitre, savoir  quelles sont leurs volontés propres. Nous devons les écouter et les rassurer parce qu’ils ont peur de ce que sera leur fin de vie. Certains ont peur qu’on les laisse souffrir, d’autres craignent l’acharnement thérapeutique. Petit à petit nous construisons les contours de la prise en charge avec le patient lui-même pour qu’il reste acteurs et décideurs de sa fin

Souvent nous sommes amenés à harmoniser les souhaits des patients différents des demandes des proches. Ainsi cherchons-nous à respecter les volontés du patient, à le soulager et garder sur lui un regard que nous tous aimerions avoir.

Pour en savoir plus sur l’unité de soins palliatifs