Télémédecine en cardiologie : regard médical du Dr Benoit Lequeux

Le Dr Benoit Lequeux, cardiologue spécialisé dans l’insuffisance cardiaque, a répondu à nos questions sur l'utilisation de la télémédecine dans le cadre des insuffisances cardiaques.

Quelle forme prend la télémédecine en insuffisance cardiaque ?

Nous utilisons plusieurs pans de la télémédecine. Nous avons été pilotes dans le développement de la télésurveillance au CHU de Poitiers. Nous avons mené une étude en 2015 mais la mise en œuvre a pris du retard. Nous sommes aujourd’hui pleinement opérationnels avec une centaine de patients suivis par ce biais. Nous avons également mis en place un système de téléconsultation à destination des EHPAD qui, pour des raisons liées à la crise sanitaire, ne nous ont pas encore sollicités.

À qui s’adresse la télésurveillance ?

Lorsqu’un patient est hospitalisé pour une insuffisance cardiaque, le risque qu’il revienne dans les six mois est très important, de l’ordre de 30 %. La télésurveillance s’adresse à tous les gens qui ont été hospitalisés pour une insuffisance cardiaque. Ils se voient proposer de la télésurveillance sur une période de six mois renouvelable, au moyen d’équipements qui permettent de contrôler à distance différents paramètres (poids, tension artérielle, questionnaire EPOF). Nous pouvons ainsi agir dans les temps pour éviter que le patient ne soit à nouveau hospitalisé. Elle prend fin lorsque l’état du patient est stabilisé ; celui-ci rentre alors dans un suivi classique de la pathologie. La télésurveillance en complément de l’optimisation du suivi assuré par l’unité de prévention cardiologique fait que nous avons très peu de réhospitalisations. La télésurveillance est vraiment un outil supplémentaire. Quand je vois un patient en consultation, je me sers des données de la télésurveillance qui peuvent m’aider notamment à bien adapter le traitement.

Quels outils faut-il pour assurer la télésurveillance ?

Pour la télésurveillance en insuffisance cardiaque, nous mettons à la disposition du patient un kit composé d’un pèse-personne, d’un tensiomètre et d’une tablette fournis par notre prestataire. Le poids étant l’indicateur le plus évident de la pathologie, le patient doit se peser régulièrement. La tablette lui permet de répondre à un questionnaire de suivi des principaux symptômes depuis le logiciel gratuit de notre prestataire. S’il y a le moindre souci, nous recevons une alerte. Les données sont consultables sur une plateforme commune et conservées sur un serveur sécurisé. Dans le cas de patients porteurs de prothèse cardiaque, la télésurveillance utilise les données fournies par le dispositif. La prise en charge est entièrement remboursée par la caisse primaire d’Assurance maladie.

Comment se fait cette télésurveillance ?

A la moindre alerte, l’unité est avertie et elle rentre en contact avec le patient pour contrôler et modifier les traitements, si nécessaire. Les alertes sont heureusement triées par notre prestataire car les ¾ d’entre elles ne sont pas médicales. Elles concernent des patients non observants qui ne se sont pas pesés ou bien qui n’ont pas répondu au questionnaire. Nous gérons les alertes médicales. Nous en avons trois par semaine environ. Il s’agit dans la plupart des cas d’adapter les traitements à distance afin que les patients ne soient pas de nouveau hospitalisés. La télésurveillance nous permet également de faire de l’accompagnement thérapeutique à distance. Sur cette tranche de six mois, nous sensibilisons nos patients à être attentifs aux signes cliniques de l’insuffisance cardiaque, à s’alimenter sainement. Nous savons qu’en période de fête, il y a beaucoup d’excès. La télésurveillance nous permet de faire un suivi très précis et d’agir rapidement.

Y-a-t’il eu des réticences de la part de vos patients ?

C’est vrai que c’est contraignant mais en leur expliquant que nous avons besoin de ces outils pour ne pas qu’ils reviennent à l’hôpital, ils acceptent, à l’exception des personnes âgés pour qui c’est compliqué. Nos patients sont majoritairement âgés et se peser peut se révéler extrêmement compliqué tout comme utiliser une tablette. Ils ne maitrisent pas forcément les nouvelles technologies. Cela concerne entre 15 et 20% de nos patients. Nous travaillons étroitement avec la CPAM pour utiliser le dispositif Prado[1] pour la télésurveillance en insuffisance cardiaque. Il s’agirait de proposer l’aide d’une infirmière aux patients.

Quelle est la prochaine étape de la télémédecine dans votre unité ?

Ce sera la mise en place de la téléexpertise. Des médecins généralistes nous demandent notre avis très régulièrement. Ces échanges seront formalisés grâce à la téléexpertise. Nous pourrons acter et tracer cette prise en charge parce que nous faisons actuellement cela par téléphone. Le fait de donner des avis sur lesquels nous passons du temps sera ainsi valorisé.

[1] Le service de retour à domicile des patients hospitalisés (Prado) est proposé par l’Assurance Maladie depuis 2010, pour anticiper les besoins du patient liés à son retour à domicile et fluidifier le parcours hôpital-ville.