19 octobre 2020, entrée du premier patient covid en gériatrie. « Je m’en souviendrai longtemps de cette journée... », soupire Mélanie, infirmière de gériatrie. Elle sonne le début de la seconde vague, tant augurée à travers les médias et bien loin d’être une agréable ritournelle. Les unités A et D du pavillon Rodin, à la cité gériatrique, se sont alors armées pour faire face. Mélanie et ses collègues ont mené une bataille contre l’inconnu, ou presque.
« On n’a pas vraiment été impactés par la première vague. Là, on a pris la seconde de plein fouet. C’était dur, parce qu’on ne connaissait pas la maladie, ni les protocoles. Nos patients sont très fragiles et très âgés, 80 ans en moyenne », décrivent tour-à-tour Mélanie, Emilie, Louissa et Armelle. Deux d’entre elles, Emilie et Louissa, avaient déjà prêté main forte à d’autres équipes lors de la première vague. Leur expérience a été précieuse pour « les ailes A et D ». Mais cela n’enlève pas l’appréhension, humaine, souvent irrépressible. « J’avais une trouille bleue, je me demandais même si j’allais pouvoir venir travailler. J’avais peur de contaminer nos patients, ma famille… Et puis, il a fallu se jeter à l’eau », confie Mélanie. Et pour les rassurer, les écouter, les motiver, Marie Sylla, cadre de santé, reste présente avec bienveillance : « Elles ont vécu des choses pas faciles, on leur a beaucoup demandé et elles ont toujours répondu à l’appel ». Au pic de l’épidémie, la gériatrie a pris en charge plus de 70 patients. Quand nous les avons rencontrées, il n’en restait plus que 17 : « Mais on sait que cela peut repartir à tout moment. On nous demande de rester armés et en alerte. » Seule l’aile A reste ouverte. La seule différence, peut-être, avec le début de la seconde vague, ce sont les décorations de Noël qui ornent désormais les couloirs.
« Le pire ? Les décès »
Les visages trahissent aujourd’hui une fatigue que le masque peine à dissimuler. Quand on lui demande quel moment a été le plus bouleversant, Armelle, infirmière, n’hésite pas longtemps : « Les décès. C’était terrible. On devait prendre des photos des patients décédés pour la chambre mortuaire, puis fermer la housse qu’on ne pouvait plus jamais rouvrir. Parfois, on nous disait que les photos n’étaient pas bonnes… Il fallait recommencer. Oui, ça me marquera à vie bien sûr ». Et Mélanie d’ajouter : « On ne pouvait pas faire la dernière toilette, ni attendre les familles qui habitent loin. Il fallait faire vite partir le corps à cause du risque de contagion et nettoyer la chambre rapidement. Ca aussi, c’était dur, comme voir leur état de santé se dégrader très vite. Ils peuvent partir en quelques jours ». Autres situations délicates, les contacts avec les familles : « Quand elles appellent, on fait ce qu’on peut pour leur répondre vite, quand on a un moment entre deux soins. Elles sont inquiètes et on les comprend car on arrive à se mettre à leur place. Ce virus touche tout le monde. »
Se serrer les coudes
Pour supporter le quotidien, tout le monde s’est serré les coudes. Les binômes infirmière aide-soignantes se sont renforcés. « Nous sommes toujours par deux, et une troisième, volante, reste dans le couloir pour nous faire passer du matériel. Cela nous évite d’avoir à nous changer », explique Emilie. Le protocole d’hygiène est rigoureux et exige des soignants de se changer à chaque entrée en chambre. Pendant quelques semaines, ces unités ont exclusivement pris en charge des patients covid. « On peut enfiler nos tenues de cosmonaute entre 10 et 15 fois par jour ! Nos patients sont très dépendants, très demandeurs d’une présence auprès d’eux. C’est normal… On fait au mieux mais cela nous demande une certaine gymnastique ! », plaisante Mélanie. Elles ont aussi pu compter sur le renfort des collègues de la clinique chirurgicale, de la cardiologie ou encore de la Vie la Santé et des étudiants en médecine. « On ne les remerciera jamais assez. Il faut se mettre à leur place. Certains ne connaissaient pas la gériatrie, encore mois le coronavirus. Il a fallu les former à quelque chose que nous ne connaissions que depuis quelques semaines. Et les étudiants en médecine jonglaient entre les cours et le travail ici. On ne sait pas comment ils tiennent. Sans parler des référentes logistiques qui se démènent au quotidien pour nous trouver des consommables et du matériel », assure Marie Sylla. Heureusement, les bons moments se comptent aussi : les conjoints qui récupèrent leurs époux, les enfants, leurs parents, en meilleure santé… Et les patients tristes de partir aussi : « Il y en a un qui ne voulait pas nous quitter ! Il était ému de partir… Ce sont ces petits moments comme ça qui nous redonnent le sourire. » La crise n’est pas terminée. Au 15 décembre, 23 patients covid étaient hospitalisés dans l’aile A.