Neurostimulation médullaire : des chirurgiens du monde entier viennent se former à Poitiers

Neurostimulation médullaire : des neurochirurgiens du monde entier viennent se former à Poitiers

"La douleur, vous la savez (sic), mais nous, on la sent..." C'est parce qu'il rencontre chaque jour des patients qui souffrent, se sentant abandonnés par la médecine, que le Pr Philippe Rigoard, neurochirurgien au sein de l’unité rachis, neurostimulation et handicap du CHU de Poitiers, forme des confrères originaires du monde entier à une technique d'implantation d’électrode de stimulation médullaire multicolonnes pour traiter la douleur lombaire post-opératoire. Les 3 et 4 septembre derniers avait lieu un des ateliers qu'il organise au CHU et à la faculté de médecine et de pharmacie de Poitiers.

Ramesh Sahjpaul

Ramesh Sahjpaul, neurochirurgien, a étudié à Toronto et exerce à Vancouver (Canada), au Lions Gate Hospital. C’est un pionnier de la neurostimulation dans son pays. Il s’est formé à la chirurgie vertébrale mini-invasive à l’Université du Tennessee, à Memphis, puis il s’est consacré au traitement des troubles de la colonne vertébrale et de la moelle épinière. Il est actuellement chef du département de chirurgie à l’hôpital Lions Gate. Il pratique la neurochirurgie générale et s’est spécialisé dans les troubles rachidiens complexes. « Je connaissais la réputation du Pr Rigoard et j’étais intéressé par sa technique de neuromodulation. J’opère déjà des patients éveillés, mais je voulais découvrir les trucs et astuces du Pr Rigoard. »

Durant deux jours, les participants ont pu apprendre à définir la population cible, les indications et à maîtriser la technique qu’il a mise au point en 2010 et publiée en 2013*. Celle-ci consiste à implanter par voie chirurgicale mini-invasive les électrodes de stimulation médullaire multicolonnes qui vont délivrer un faible courant électrique à la surface de la moelle épinière des patients afin d’empêcher le signal de la douleur d’atteindre le cerveau, soulageant ainsi la douleur. Pendant l’implantation de l’électrode, effectuée en étroite collaboration avec les anesthésistes, le patient est réveillé et aide les équipes médicales et paramédicales à localiser le territoire douloureux couvert ou pas par la stimulation, juste mise en route. Il utilise une cartographie tactile interactive, développée par l’équipe de recherche du Pr Rigoard (N3Lab) pour dessiner ses douleurs et partager ses sensations pendant l’intervention, grâce à un procédé breveté. Ceci permet ainsi une optimisation du positionnement de l’électrode dans le but d’améliorer l’effet antalgique de la stimulation.

« Savoir-faire chirurgical d’équipe »
En 2013, devant l’intérêt que ses confrères manifestent pour cette technique innovante, le Pr Rigoard décide de créer des ateliers internationaux alliant pratique et théorie, en partenariat avec l’European Continuing Medical Training (ECMT), un organisme de formation médicale continue accréditant au niveau Européen. En l’espace de deux ans et de quatre sessions, le nombre de participants par session est passé de huit à une vingtaine, et les chirurgiens qui se déplacent à Poitiers pour se former ont des cursus toujours plus impressionnants (voir encadrés).

Nozipo Macaire, neurochirurgienne

Nozipo Macaire, neurochirurgienne, exerce à Harare (Zimbabwé), au Parirentyatwa Hospital. A 51 ans, Nozipo Macaire, a déjà vécu plusieurs vies. Née au Zimbabwé, elle a 8 ans quand son père obtient une bourse pour partir étudier et travailler aux Etats-Unis. Tout en menant à bien des études en sciences de l’éducation, il trouve un emploi dans un magasin pour gagner de l’argent et faire venir sa famille. La famille de Nozipo le rejoint un peu plus tard et vit alors successivement aux Etats-Unis, au Canada puis en Jamaïque avant de retourner vivre au Zimbabwé. La jeune fille a alors 17 ans. Elle repart aux Etats-Unis pour y effectuer de brillantes études supérieures : Harvard Medical School,  puis Columbia University, puis Yale, où elle réalisera son cursus de neurochirurgie. Elle aura comme interne l’actuel président de la société américaine de Neurochirurgie. Elle décidera finalement de s’établir aux Etats-Unis pour y exercer son métier au côté de son mari urologue et de leurs quatre enfants. « Puis au bout de trente ans de vie luxueuse, j’ai réalisé qu’il fallait retourner au pays, que j’avais une mission. J’avais un Titanic dans les mains, il me fallait le faire avancer. Je veux être une personne qui fait la différence. C’est aussi pour ça que je suis cette formation. »

« Mes confrères viennent à Poitiers y trouver un savoir-faire chirurgical d’équipe car même si notre unité possède une expérience particulière en matière de technique chirurgicale mini-invasive, ils viennent aussi et surtout apprendre à créer une équipe multidisciplinaire en matière de douleur et de handicap. C’est cette collaboration unique entre les services d’orthopédie et de neurochirurgie qui fait notre force (voir l’encadré sous l’article). L’aspect technique doit rester un détail. La clé réside dans le fait qu’un même patient est suivi par plusieurs interlocuteurs au sein d’une même équipe, tout au long de son parcours de soins », souligne le Pr Rigoard.

Qu’ils viennent du Canada, du Zimbabwé, du Brésil, du Royaume-Uni, du Danemark, de Pologne, de Suisse ou de Finlande, tous les neurochirurgiens présents à ces ateliers redeviennent des étudiants, des apprenants l’espace de quelques heures. « C’est ça le véritable compagnonnage chirurgical. Demain, ce sera moi l’apprenant d’une nouvelle technique inventée par un confrère, loin d’ici et à l’occasion d’une visite chez lui. C’est la chance que notre métier nous donne. Partager pour mieux faire, mieux soigner », précise le Pr Rigoard. Certains des participants proviennent d’universités prestigieuses comme Harvard ou Cambridge et le fait qu’ils viennent apprendre un nouveau savoir-faire à Poitiers est une véritable fierté pour cette équipe. Et que dire des Brésiliens qui vivent une concurrence acharnée dans leur pays où il y a plus de 2 500 neurochirurgiens (par comparaison, il y en a à peu près 250 en France) et qui viennent ici pour acquérir une compétence qui fait la différence. « Il y a une demande en forte croissance pour ce type de formations médicales de pointe et le CHU nous accompagne pour essayer d’y répondre. » La prochaine session aura d’ailleurs lieu dès le mois de novembre.

Pour le Dr Christian Lucas, du CHU de Lille – seul participant français de la manifestation -, cet atelier s’inscrit dans le cadre d’une reconversion professionnelle, lui qui a une formation de neurologue. « Depuis un an, je suis devenu algologue (médecin de la douleur) à 100 % et j’ai pris la responsabilité du Centre d’étude et de traitement de la douleur de Lille. Je connaissais la stimulation médullaire en théorie et je suis venu en savoir plus sur la technique, car c’est un outil très intéressant pour lutter contre les douleurs chroniques. En plus, c’est pour moi l’occasion de faire connaissance avec des collègues. »

Matthew Garnett, neurochirurgien

Matthew Garnett, neurochirurchien, a étudié à Cambridge, Oxford et Bristol et exerce à Cambridge (Royaume-Uni), au Addenbrookes Hospital. Il a conduit un programme de recherche sur les lésions cérébrales traumatiques pendant trois ans. Il est spécialisé en neurochirurgie pédiatrique et s’occupe de patients atteints d’hydrocéphalie, de maladies dégénératives de la colonne vertébrale, de blessure à la tête, de douleur, de spasticité et de tumeurs cérébrales. « Je travaille à Cambridge dans une équipe multidisciplinaire (associant psychologues, physiothérapeutes et neurologues) et je suis venu me renseigner et me former à la chirurgie avec des électrodes. Je ne pratique pas encore sur patients éveillés pendant l’intervention, mais c’est une technique que nous allons développer bientôt. »

Lutter contre les douleurs chroniques, voilà tout l’enjeu de ces ateliers. Car parmi les patients de tous ces médecins se trouvent des personnes qui n’ont plus rien à perdre, parfois même au bout du rouleau, comme ce patient du Pr Rigoard, hospitalisé dans l’unité rachis au même moment et fraîchement opéré, la trentaine, en incapacité de travail depuis plus de deux ans, qui confie : « Avant d’être implanté, j’avais essayé 32 médicaments différents en deux ans pour soulager mes souffrances, sans succès… Il m’arrivait de penser au pire… Maintenant, je vais pouvoir tenter de reprendre une vie normale, de travailler à nouveau et même d’avoir un enfant… »

* Rigoard P, Luong AT, Delmotte A, Raaholt M, Roulaud M, Monlezun O, Triphose A, Guetarni F, Brugière B, Misbert L, Diallo B, Bataille B.Multicolumn spinal cord stimulation lead implantation using an optictransligamentarminimally invasive technique.
Neurosurgery. 2013 Sep;73(3):550-3. doi: 10.1227/PMID: 23756742.

 

Une prise en charge multidisciplinaire efficace

François, un jeune homme de 28 ans accidenté de la route en 2011, est le symbole de cette collaboration entre les services de neurochirurgie, d’orthopédie, de médecine physique et réadaptation et des Centres antidouleur de la région. Paraplégique complet lors de son grave accident de moto, il a été pris en urgence par le service de neurochirurgie du CHU afin de traiter en urgence sa colonne vertébrale (sa moelle épinière a été comprimée dans l’accident), il a ensuite effectué sa rééducation au centre Richelieu, à La Rochelle. Là-bas, il a bénéficié d’une consultation multidisciplinaire du handicap, appelée « réunion mensuelle du handicap » où des professionnels de santé du CHU viennent à la rencontre de leurs patients pour faire le point avec eux. C’est ainsi qu’au bout de six mois, alors qu’il a recommencé à bouger ses jambes mais que ces mouvements s’accompagnent de tremblements et de spasmes, le Pr Rigoard, en collaboration avec ses confrères, décide de lui poser une pompe qui lui diffusera du Baclofène, un relaxant musculaire, directement au contact de la moelle épinière. En 2013, le service rachis, neurostimulation et handicap (une équipe de sept chirurgiens orthopédiques et neurochirurgiens), créé cette même année au CHU de Poitiers, le prend en charge pour une opération des tendons du genou, avant de lui proposer une neurotomie du nerf sciatique, intervention qu’il vient d’avoir en 2015. « C’est génial d’être suivi comme ça, affirme François. En plus, ma prise en charge au CHU a été très humaine. »

 

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