La crise sanitaire du covid-19 a été soudaine, précipitée et inédite. Ce sont les mots qui reviennent dans chacun des témoignages recueillis auprès de ceux que l’on dit « en première ligne ». Cette période particulière au sein du CHU de Poitiers a évidemment bousculé les pratiques et les organisations au sein des services. Elle a demandé un travail considérable dans la gestion et la prise en charge des patients, mais tous retiendront, et souvent avec émotion, l’esprit de solidarité, d’entraide et de bienveillance, qui s’est installé pendant plusieurs semaines au sein des équipes mobilisées pour faire face au virus.
Mettre en place un service d’hospitalisation de vingt lits en une semaine, ou une unité de réanimation en trois jours, relevait de l’infaisable, et c’est pourtant ce qu’ont dû réaliser les cadres de santé et le personnel soignant des unités covid.
Tous ont fait un travail acharné, dans des espaces parfois sans mobiliers, équipements ou dispositifs médicaux, ni matériel informatique. « Pour l’ouverture de l’unité covid gériatrique, installée au 9e étage de Jean-Bernard, il n’y avait absolument rien. Il a fallu tout organiser rapidement, et nous rapprocher de tous les services supports, dans la mise en place d’une telle organisation : le biomédical, l’équipe déménagement, la pharmacie et le service informatique, pour que tout puisse être en place, installé et alimenté, en vue d’accueillir les patients au plus vite, et dans les meilleures conditions. Nous avons eu très peu de temps et chaque heure était importante » raconte Emmanuelle Luneau, cadre supérieur de santé du pôle cœur-poumons-vasculaire.
L’ouverture de cette nouvelle unité d’hospitalisation de 20 lits dédiée covid gériatrique a été possible grâce une collaboration efficace entre directions : direction des soins, direction campus-santé, direction du biomédical…. Dans cette mission, elle fut rapidement rejointe par Véronique Bescond, cadre de santé à l’IFSI, volontaire pour apporter sa contribution dans cette crise. Emmanuelle Luneau et Véronique Bescond expliquent qu’« une grande majorité de l’équipe a été recrutée sur la base du volontariat. Le personnel venait de services totalement différents et ne se connaissait pas. Nous avons fait un travail d’accompagnement important mais nécessaire pour que chacun puisse trouver sa place au sein de l’équipe. De plus, les protocoles étant nouveaux, en termes de sécurité et d’hygiène, chacun a été particulièrement bienveillant et attentionné envers ses collègues, pour acquérir les bonnes pratiques, les bons gestes barrières et les techniques de protection et d’habillage ». Les deux cadres de santé ne cachent pas les premières appréhensions qu’elles ont pu avoir au début. « Nous avons eu la chance d’avoir un effectif confortable pour cette unité, mais nous savions aussi que les patients de gériatrie demandent une attention particulière dans les soins bien sûr, mais aussi dans les gestes courants. Certains ne peuvent pas manger seuls, faire leur toilette, ou se déplacer sans aide. Et les familles ne pouvant être présentes, les soignants ont eu de nombreux temps d’échange avec les patients, pour faciliter et améliorer leur séjour, malgré le contexte et les contraintes imposées. ». Véronique Bescond souligne également qu’il ne faut pas négliger les difficultés pour les équipes de soins, dans la prise en charge de patients âgés, parfois en fin de vie, et le caractère particulier des protocoles covid à appliquer dans le cas d’un décès.
Emmanuelle Luneau et Véronique Bescond s’accordent à dire que malgré le contexte, cette expérience a été très enrichissante pour elles, professionnellement et humainement. « Nous avons été particulièrement émues par la solidarité et l’esprit de cohésion qui ont pu se créer entre les professionnels qui ne se connaissaient pas et qui se sont si vite adaptés. Nous sommes fières d’eux et nous espérons avoir construit tous ensemble, quelque chose de bien, en cette période difficile. »
Christelle Plumereau, cadre de santé de réanimation chirurgicale, partage cet avis. Elle a été en charge pendant ces deux derniers mois de l’unité covid 3, l’unité de réanimation mise en place pour accueillir les patients des régions du Grand Est et d’Ile-de-France qui ont été transférés au CHU de Poitiers. Cette unité a été installée au sein du service de soins continus, ce qui a demandé des équipements complémentaires pour la prise en charge en réanimation. « Nous avons dû mettre aux normes l’ensemble des 12 box pour permettre une vraie prise en charge en réanimation. Nous avons également renforcé l’équipe soignante, car la surveillance en réanimation et dans un cadre infectieux est très chronophage. Il a donc fallu armer l’ensemble de l’unité pour faire face au coronavirus » précise Christelle Plumereau.
Les professionnels recrutés pour renforcer l’équipe de l’unité covid3 étaient tous volontaires pour exercer au sein des réanimations. Les temps d’accueil, d’accompagnement, d’échange et de formation ont été importants dans un contexte aussi inédit qu’anxiogène. « Nous avons mis l’accent sur la cohésion de groupe et le soutien à chacun. Toute l’équipe a su travailler ensemble sans aucun problème et avec une grande solidarité. Nous avons fermé cette unité avec une certaine tristesse de tous se quitter. Et depuis, nous avons reçu des demandes de mutation de certains professionnels qui souhaitent aujourd’hui intégrer le service de réanimation » se satisfait Christelle Plumereau.
Pour David Coindre, cadre de santé au sein du service de maladies infectieuses, le constat est le même. « Tout a été très vite. Les premiers patients atteints de covid 19 sont arrivés au mois de février au CHU. Le plus souvent ces personnes revenaient de Chine, ou quelques semaines plus tard d’Italie. Elles présentaient des symptômes tels que la fièvre, la toux et une grosse fatigue. La plupart d’entre elles ont été testées négatives et ont pu regagner leur domicile. Mais à partir du début du mois de mars, tout s’est accéléré. Nous avons dû réorganiser notre service, adapter nos locaux et réaliser quelques travaux pour pouvoir accueillir davantage de patients jusqu’à une capacité d’accueil maximum de 22 patients. » Au sein de cette unité, qui a accueilli des patients du nourrisson à la personne de moins de 70 ans, aucune visite n’a été autorisée. Sauf pour les enfants qui pouvaient bien sûr avoir un accompagnant. Le service disposait d’une tablette mise à disposition des patients pour des appels en visio avec leurs proches, ce qui représentait des moments précieux. « Les patients de l’Est de la France et de la région parisienne, qui ont été pris en charge en réanimation au CHU de Poitiers, ont rejoint ensuite notre service d’hospitalisation parfois pour plusieurs semaines, avant de pouvoir retourner dans leur région. Donc pouvoir échanger en visio avec leurs proches a représenté pour eux un moment important, nécessaire et rassurant, dans un contexte aussi particulier pour ces patients hospitalisés à des centaines de kilomètres de leur domicile. » David Coindre tient également à remercier toute l’équipe qui a été mise en place dans le cadre de cette crise, pour son ambiance, sa solidarité et le soutien que chacun a su apporter aux autres. « On pourra dire qu’on était là, qu’on a vécu tout cela ensemble ».
David Coindre était également responsable du centre de dépistage, le centre REB pour « risque épidémique et biologique », au moment de sa mise en place, le 5 mars dernier. La responsabilité du centre a par la suite été reprise par Corinne Gibault, également cadre de santé. Elle explique : « Quand l’Agence régionale de santé a demandé au CHU de Poitiers d’ouvrir un centre de dépistage du coronavirus pour les patients qui présentaient des symptômes et qui pouvaient potentiellement être atteints par le virus, les choses ont été très vite mises en place. Le centre a rapidement trouvé sa place sur le site de la Milétrie, dans des locaux proches des laboratoires qui permettaient d’accueillir trois box de consultation et un bureau administratif. Le protocole d’accueil et de circuit du patient ne devaient pas permettre que les personnes dépistées puissent se croiser. En termes d’effectif, nous avons débuté avec deux infirmières, la première à temps plein et la seconde à mi-temps. Le centre était au départ ouvert du lundi au vendredi, pendant les deux premières semaines, mais avec l’évolution du nombre de dépistages à réaliser, nous avons ensuite décidé l’ouverture 7/7j et donc de renforcer l’effectif soignant, également pour la désinfection et le nettoyage des boxes de consultation après chaque dépistage. Le personnel a été formé aux techniques de dépistages et aux gestes barrières d’hygiène et de protection contre le virus, pour éviter tout risque de contamination et de propagation du virus, notamment par la projection de gouttelettes lors du test de dépistage. Il était important que les équipes se sentent en sécurité, car bien que soignants, il existe dans ce cas, une contagiosité qui peut être nouvelle pour certains professionnels. ».
Après une forte activité, puis un ralentissement, le centre REB s’est organisé en prévision des campagnes de dépistage qui vont être mises en place à la sortie du confinement le 11 mai. « Nous avons mis en place une équipe mobile de dépistage, axés principalement sur les établissements de santé comme les Ehpad ou les centres médico-sociaux de la Vienne. A ce jour, nous avons dépisté une quarantaine d’établissements sur le département, en collaboration avec le laboratoire privé Bio86, mais nous devons organiser les campagnes de dépistages importantes à venir, notamment dans des établissements au sein desquels les personnes peuvent être fragilisées, des personnes âgées ou des personnes présentant un handicap, et dans lesquels il faut dépister l’ensemble des résidents et du personnel.
TÉMOIGNAGES
Christelle Gautereaud, infirmière au centre de dépistage REB (risque épidémique et biologique)
« J’étais en attente d’un poste d’infirmière lorsque j’ai été contactée par la direction pour exercer au centre REB. J’étais très enthousiaste et motivée pour ce poste qui demande un bon relationnel, beaucoup de maîtrise et d’écoute, notamment pour rassurer les patients qui arrivent très angoissés pour l’examen. J’ai aussitôt été formée aux techniques de dépistages et aux pratiques d’hygiène et de protection, l’habillage et le déshabillage. Certains jours, nous avons assuré jusqu’à près d’une quarantaine de tests ce qui est très important au vu de toutes les dispositions à prendre, de l’accueil du patient à l’envoi de son test au laboratoire. Notre équipe a ainsi été renforcée. Nous devons aujourd’hui nous organiser et anticiper également les campagnes de dépistage qu’il faudra assurer à la sortie du confinement. Personnellement, cette expérience m’a été très bénéfique. La mise en place de cette nouvelle activité en période de crise sanitaire, avec des collègues que je ne connaissais pas et avec qui il a fallu apprendre à travailler, m’a permis de regagner la confiance que j’avais perdu ces dernières années. J’ai pu faire preuve d’initiative et d’adaptation en toute circonstance, et ainsi faire face aux appréhensions que je pouvais avoir face au virus en arrivant dans le service. »
Margot Hesser, infirmière, et Anaëlle Boutin, aide-soignante, au sein de l’unité covid de gériatrie
« Nous sommes toutes les deux de services différents. L’une est infirmière au centre d’exploration techniques et interventionnels (CETI), et la seconde est aide-soignante en neurochirurgie. Nous ne nous connaissions pas avant de rejoindre l’unité gériatrique covid-19. Nous nous étions toutes les deux portées volontaires pour apporter notre aide en cas de besoin, mais nous pensions être appelées pour intégrer les services de maladies infectieuses ou de pneumologie, dans lesquels nous avions respectivement une expérience professionnelle. Nous avons finalement été appelées pour prendre nos fonctions au sein de cette nouvelle unité qui a été mise en place dans le cadre de la crise sanitaire, à la fin du mois de mars, pour accueillir les personnes âgées atteinte de covid-19. Nous avions beaucoup de questions en arrivant, notamment sur l’organisation, la prise en charge des patients âgés, et sur les pratiques d’hygiène et de protection contre le virus. Nous avons été formées aux différents protocoles, et malgré les difficultés que nous avons pu rencontrer lors de certaines situations difficiles dans l’accompagnement des patients en fin de vie, nous avons toujours senti que nous étions soutenues. L’encadrement avait mis l’accent, dès l’ouverture de l’unité, sur une vraie cohésion d’équipe, avec des temps d’échanges essentiels entre le personnel médical et soignant, énormément d’entraide et de soutien. Chacun a pris soin des autres, est resté disponible et à l’écoute. Cette expérience professionnelle a été enrichissante pour nous. Nous avons rencontré de nouveaux collègues et appris de nouvelles pratiques. Nous tenons à faire un clin d’œil à notre collègue kiné, qui a également été très présent auprès des tous, auprès des patients et de toute l’équipe. Nous remercions également les familles pour avoir été si compréhensives et avoir respecté les consignes malgré leur angoisse et leur douleur. Et nous remercions également toutes les entreprises, les artisans et les supermarchés, qui ont manifesté leur solidarité et nous ont offert régulièrement des gourmandises pour nous apporter leur soutien. »