Le Dr Maxime Jonchier, responsable médical des urgences du CHU de Poitiers, présente la situation au service des urgences, ainsi que les dispositifs mis en place pour garantir la sécurité des patients et du personnel.
Quelle est l’activité aux urgences actuellement ?
Pendant la crise sanitaire, les hôpitaux les plus touchés par l’épidémie avaient le même taux d’activité que nous, soit 45% seulement. Toutefois, ils ont pris la première vague de plein fouet alors que nous avons eu la chance d’avoir quinze jours pour anticiper l’arrivée des premiers cas sur notre territoire. Je pense que c’est ce qui a fait la force de la gestion de la crise par le CHU de Poitiers. L’anticipation fait partie du métier des urgences.
Finalement, nous avons été très peu impacté par l’épidémie ; beaucoup de suspicions mais peu de cas avérés. Ce nombre élevé de cas suspects est dû au fait que les indications pour les PCR étaient très larges. Il a fallu prélever les personnes âgées, les personnes fiévreuses, les personnes ressentant des gênes respiratoires, et d’autres encore, ce qui n’a pas été sans impact sur notre fonctionnement quotidien. Finalement les cas graves que nous avons pris en charge, sont les patients que nous sommes allés chercher dans les hôpitaux du Grand-Est et de l’Ile-de-France.
Nous avons connu après le confinement une période de calme mais aujourd’hui, notre niveau d’activité est le même qu’avant la crise sanitaire. Les patients qui ne sont pas venus pendant le confinement, reviennent. Mais on sent que certains ont peur d’être infectés par le virus à l’hôpital et encore plus aux urgences où il y a des temps d’attente. Même s’ils sont inquiets, cela ne les empêche absolument pas de venir. Ils peuvent être rassurés parce nous avons mis en place toutes les mesures de précautions recommandées.
Nous ne savons pas quel a été l’impact réel sur les gens pendant la première crise. Après le 11 mai, nous avons reçu un nombre important de patients qui auraient dû consulter plus tôt mais fort heureusement sans conséquence dramatique.
Et qu’en est-il de l’activité liée à la covid ?
Depuis la mi-août, nous avons l’impression que les chiffres repartent à la hausse. De plus en plus de cas suspects arrivent aux urgences. Nous constatons une augmentation des cas positifs – sans doute à cause de l’augmentation de personnes testées, le taux de positivité étant passé de 0,5 à 5%. Mais il y a très peu de cas graves.
Beaucoup de personnes qui viennent ne nécessitent pas de passer par notre service et relèvent plutôt de la médecine générale. Des patients inquiets se présentent spontanément aux urgences alors qu’ils n’ont aucun critère de gravité. Ceux-ci peuvent se faire dépister au drive du CHU ou bien dans un laboratoire et attendre les résultats chez eux. Il y a également de plus en plus de patients qui nous sont adressés par des médecins généralistes pour une expertise hospitalière. Nous sommes les premiers recours de la médecine de ville. Si les patients présentent des facteurs de gravité, cela est pertinent mais nous avons de plus en plus de cas où il ne s’agit que d’avoir une évaluation médicale de notre part. Cette situation est compliquée pour nous parce que nous ne refusons personne. Mais une telle prise en charge nous impose de placer le patient en isolement, de nous protéger avec les tenues adéquates, de désinfecter les locaux après. Cela se répercute sur notre fonctionnement en augmentant les temps d’attente.
Les urgences sont-elles organisées comme lors de la première vague ?
Lors de la première vague, nous avons mis en place une organisation particulière. Il y avait tout d’abord une filière ultra courte pour les patients qui ne nécessitaient pas d’être hospitalisés. Ils y étaient examinés et prélevés rapidement pour être ensuite renvoyés chez eux dans l’attente des résultats. Quatre box ont été dédiés à la prise en charge de patients suspects covid devant être hospitalisés. Cela nous permettait de les isoler en attendant les résultats et de les orienter par la suite vers le service adapté à leur pathologie. Cette organisation a permis que les services des maladies infectieuses et de gériatrie, en première ligne dans la lutte contre l’épidémie, ne soient pas surchargés et fonctionnent de façon optimale. Elle a également permis que le virus ne se propage dans les autres services. A la sortie du confinement, nous n’avons eu que trop de cas, nous sommes revenus progressivement à une organisation normale en conservant toutefois deux box pour accueillir les patients covid.
Avec l’arrivée croissante de cas suspects depuis quinze jours, nous avons augmenté le nombre de box à quatre afin de juguler le flux de patients. Mais, les proportions actuelles de cas covid à hospitaliser ne nous imposent pas de remettre en place l’unité tampon. Quant à savoir si nous allons revenir à la même organisation qu’au mois de mars, je pense que cela va dépendre de l’ampleur de la « 2e vague ». Mais s’il faut le faire, nous le ferons. Si nécessaire, nous compléterons le dispositif de prise en charge avec la tente de triage, utilisée en médecine de catastrophe qui permettra de séparer les patients suspects covid des autres patients. Ces derniers continueront, quant à eux, de passer par une filière standard de soins. Mais nous avons encore de la marge avant d’en arriver-là.
Quelles sont actuellement les consignes sanitaires pour les gens qui se présentent aux urgences ?
Le patient qui se présente aux urgences doit se frictionner les mains avec de la solution hydro alcoolique et porter un masque. S’il est accompagné, l’accompagnant peut l’aider à faire l’entrée administrative et prendre quelques informations. Mais pendant toute la prise en charge, nous demandons aux accompagnants de rester dehors ceci pour permettre le respect des gestes barrières. Nous prenons toutes leurs coordonnées pour pouvoir les joindre en permanence. En cas de besoin, nous irons à leur rencontre ou nous leur téléphonerons s’ils sont partis. Nous ne pouvons pas nous retrouver avec des salles d’attente bondées comme c’est le cas habituellement. Notre métier est d’essayer de prendre le moins de risques possible pour nos patients, nos collègues et leurs familles.
Il y a évidemment des exceptions pour les personnes qui ne peuvent pas se présenter seules tels que les mineurs, les patients grabataires et les patients fragiles qui ne peuvent pas communiquer. Il y a également le cas des patients en fin de vie que l’on ne peut humainement pas laisser seul. Leurs familles peuvent les accompagner jusqu’à la fin. Il faut garder cette dimension humaine qui constitue tout de même une force de notre service.
L’arrivée des patients suspects covid en ambulance est soumise à un protocole sanitaire. Elle est organisée en concertation avec le centre 15 de régulation des appels et les ambulanciers qui précisent l’heure d’arrivée du véhicule. Le patient est alors conduit par un parcours réservé covid jusqu’à un box où il sera isolé du reste des usagers. Nous prenons le maximum de précautions pour que le patient croise le moins de personnes possible même s’il est négatif au test covid.
Les usagers acceptent-ils facilement toutes les mesures ?
Les accompagnants n’acceptent pas toujours les consignes sanitaires imposées dans la lutte contre le virus. Nous n’avons eu aucune plainte là-dessus. Nous sommes bienveillants. Nous comprenons tout à fait qu’il est difficile d’emmener un proche aux urgences quand il ne va pas bien. Les familles ont envie d’être auprès de leur proche malade. Mais en règle générale, elles comprennent aussi que ces mesures sont nécessaires pour protéger les patients fragiles et se protéger des patients infectés. Elles restent dehors et viennent prendre des nouvelles lorsque nous n’avons pas le temps d’en donner. Cela complique un peu notre travail. En temps normal, si nous avons besoin d’informations nous les demandons directement aux accompagnants présents dans les blocs. Actuellement, nous devons retrouver les familles à l’extérieur ou bien entrer en contact avec elles par téléphone. Nous faisons de notre mieux et je pense que cela se voit. Ce n’est pas parfait mais c’est une situation exceptionnelle et nous devons nous adapter.
Quel message voulez-vous adresser aux gens ?
Il est très important de rester vigilant. Port du masque, nettoyage des mains et distanciation physique ! Il faut que les gens fassent attention à eux et attention aux autres. Surtout à leurs proches fragiles. Il ne faut pas venir consulter aux urgences lorsque cela n’est pas nécessaire même si cela peut être difficile à déterminer pour certains. Il y a l’urgence vraie et l’urgence ressentie qui peuvent être perçues différemment selon les personnes. Aux urgences, nous accueillons tout le monde. Il est très difficile de leur dire de ne pas consulter pour rien. Quand les personnes sont inquiètes, elles peuvent appeler le centre 15. Au téléphone, ce sont des médecins disponibles 24h/24h. Ils sont formés à la prise d’appel, à la reconnaissance des signes de gravités par téléphone. Ils seront à même de vous dire si vous devez venir aux urgences ou pas. Alors, si vous avez un doute, vous appelez le 15 et on vous répondra.