Biologie : la plateforme de séquençage à haut débit est arrivée

23 000 gènes humains séquencés en 3 jours, c’est la petite révolution que propose le séquenceur.

Le CHU de Poitiers s’est doté cet automne d’une plateforme de séquençage à haut débit. Grâce à ce matériel d’une très haute technologie, il est désormais possible de séquencer l’ensemble des gènes du génome humain. A court terme, cette équipement va permettre, en routine, de nouvelles pratiques en génétique, cancérologie et microbiologie.

Le professeur Christophe Burucoa, chef du service de bactériologie et hygiène, ne cache pas son excitation alors que la « petite boîte » vient d’être livrée une semaine plus tôt dans son service. Guère plus volumineux qu’une imprimante, l’appareil n’est pas impressionnant à première vue. Il renferme pourtant un système d’analyse très complexe dont il faut stocker, traiter, analyser les données à l’aide d’un réseau informatique très puissant, doté de millions de gigas. Aux commandes, des ingénieurs bio-informaticiens hautement spécialisés, capables de faire fonctionner ces logiciels « bout à bout » qu’on appelle des « pipelines « , dont ils extraient des résultats qui seront ensuite utilisés par les biologistes. « On est loin du Human Genome Project lancé en 1990 qui a duré près de quinze ans avec l’aide d’une centaine d’équipes et de séquenceurs dans le monde ! Avec l’appareil précédent, il nous fallait une semaine pour séquencer 180 gènes. Avec un séquenceur comme celui-là, on séquence les 23 000 gènes humains en trois jours », se réjouit le Pr Burucoa.

Il s’agit de l’aboutissement d’un projet mené depuis plusieurs années par le CHU et coordonné par le Pr Burucoa. Un budget d’un million d’euros a pu être dégagé, dont près de la moitié concerne l’informatique, le reste provenant de crédits innovation du CHU et de la participation de l’association locale Sport et collection qui finance la recherche contre le cancer.

Des progrès révolutionnaires pour dépister la trisomie 21
Une fois les équipes formées, les applications seront immédiates. En génétique par exemple, il sera possible de rechercher la trisomie 21 sur un foetus à partir d’un simple prélèvement de sang au pli du coude de la mère. « Avec la séquence de l’ADN de la maman, on parvient à identifier la séquence du foetus et voir si il y a une trisomie, sans devoir pratiquer une amniocentèse qui a l’inconvénient de présenter 2% de risques d’avortement. C’est un progrès extraordinaire ! » Le nombre possible de dépistages annuels pourrait se chiffrer à 4 000 selon les prévisions actuelles de l’hôpital, à ajuster toutefois en fonction d’une législation possible posant d’éventuelles conditions – âge, dosage sanguin… – pour bénéficier d’une telle avancée. Autres applications utiles, les cas de maladies génétiques qu’on parvient difficilement à expliquer : « Dans le cas d’un enfant qui présente une anomalie que l’on retrouve chez d’autres membres de la famille, l’analyse de l’ensemble de cette famille permettra de rechercher quel gène peut être touché, quelle mutation s’est produite, et ainsi d’essayer d’éviter que de futurs enfants de la famille ne contractent cette même maladie », poursuit le Pr Burucoa.
Pour les cancérologues du CHU de Poitiers, il s’agit d’une avancée importante en matière de théranostique (association du diagnostic et de la thérapie) puisqu’il sera désormais possible de séquencer non plus 300 gènes comme actuellement mais l’ensemble des 23 000 gènes du génome humain, pour étudier le comportement d’une tumeur et choisir la chimiothérapie la mieux adaptée à chaque malade.

L’espoir par l’étude du microbiote
En microbiologie cette fois, le séquenceur servira à analyser le microbiote intestinal, cet ensemble de bactéries qui agissent sur notre santé, comme l’a révélé au grand public la gastroentérologue Giulia Enders dans son best-seller1. Les progrès actuels montrent que certaines pathologies non ou peu expliquées sont dues à des déséquilibres de ces bactéries qui peuplent notre intestin. « De nombreuses pathologies seraient liées au microbiote, on parle de l’autisme, de la schizophrénie, de l’obésité, du diabète. La seule façon d’étudier sérieusement ces milliards de bactéries, c’est de séquencer l’ensemble des gènes et de déterminer quelles sont les proportions des différentes bactéries que renferme l’intestin », explique le Pr Burucoa. On peut notamment avoir recours à des transplantations de selles dans le tube digestif (appelées TMF, transplantations de microbiote fécal). « Des personnes dont le microbiote a été détruit par les antibiotiques peuvent être guéries en deux jours après une transplantation de selles. Dans le cas de l’obésité, on constate par exemple qu’en transplantant des selles d’une souris obèse dans une souris maigre, cette dernière devient obèse. Les études vont actuellement très vite dans ce domaine, les résultats devraient arriver au premier trimestre 2018. »

L’hôpital de Poitiers a fait le choix d’un investissement d’envergure pour devenir l’une des premières plateformes de routine sur le séquençage à haut débit, mais la plateforme est également ouverte aux équipes locales de recherche qui se montrent très intéressées. Le Pr Burucoa monte actuellement un projet de financement avec l’IRTOMIT2, unité mixte de recherche Inserm/Université de Poitiers située sur le site du CHU, sur le sujet de la greffe et du rejet de la greffe. « Il s’agit de savoir si le microbiote de sujets qui ont un rejet de greffe est différent de celui des gens qui n’ont pas de rejet, et ainsi déterminer si, et en quoi, le microbiote joue un rôle sur l’immunité. »

Si l’ouverture à la routine du séquenceur à haut débit constitue un réel avantage pour le patient, il est important de prendre en compte la dimension éthique, dans le cas où l’étude génétique révèle des informations non recherchées. Chacun se souvient de l’exemple de l’actrice Angelina Jolie chez qui on a détecté et révélé un risque de cancer à venir, provoquant sa décision d’une ablation des seins et des ovaires. « Dans pareil cas, il faut agir avec précaution car c’est loin d’être sans conséquence. Le patrimoine génétique des gens, c’est personnel », conclut le Pr Burucoa.

1 Le Charme discret de l’intestin : tout sur un organe mal aimé, éd. Actes Sud
2 Ischémie reperfusion en transplantation d’organes mécanismes et innovations thérapeutiques