Si les soignants sont en première ligne dans la lutte contre le covid-19, l’équipe biomédicale se mobilise pour leur fournir les équipements nécessaires à la prise en charge des patients. Geneviève Gaschard, directrice du service biomédical, revient sur l’engagement de ses équipes et sur l’esprit de solidarité qu’elle a rencontré.
En tant que responsable de la direction biomédicale, quel est votre rôle dans la gestion de cette crise sanitaire ?
La direction biomédicale, assurant des missions de service support, a dû rapidement identifier les actions à mettre en place pour mettre à disposition du personnel médical et soignant les dispositifs médicaux permettant de prendre en charge les patients atteints du covid-19 (équipements de ventilation, de monitorage, de perfusion, de laboratoire…) tout en conservant un plateau technique fiable pour les patients des secteurs non-covid maintenus en activité tels que la dialyse, les blocs d’urgence, l’oncologie, les unités de soins intensifs, etc. Elle a dû également adapter son organisation interne en ce sens, tout en répondant aux consignes transmises pour lutter contre le covid-19 dans le cadre professionnel. Cela se traduit par une organisation adaptée aux trois catégories professionnelles présentes au sein de la direction : les missions confiées à l’équipe administrative étant assurées en majorité via l’outil informatique, 80% du personnel est ainsi en télétravail et 20% en présentiel ; les techniciens biomédicaux ayant quant à eux des missions de terrain sont présents à tour de rôle, à l’exception d’une personne maintenue à domicile pour des raisons de santé ; enfin, l’équipe d’ingénieurs ayant des activités mixtes alterne le présentiel et le télétravail.
Quels étaient pour vous les plus grands enjeux dans la gestion de cette crise ?
Accompagner la mise en place de nouvelles structures de soins dédiés covid, comme les secteurs d’hospitalisations ou encore l’augmentation des capacités en lits de réanimation, a été un objectif majeur. L’exercice n’était pas simple car nous devions équiper ces nouveaux secteurs avec un parc constant de matériel. Pour cela, nous avons fait appel à l’ensemble des services hospitaliers et notamment ceux mis à l’arrêt pendant la crise afin de recenser tout le matériel disponible dans l’établissement. La direction générale, la direction des soins et le président de la commission médicale d’établissement nous ont aidés à les sensibiliser à cette urgence. L’implication de tous nous a permis d’être réactifs et d’armer rapidement les secteurs dédiés au covid-19. Il s’agissait également de prendre en compte les politiques de santé à différents échelons et les recommandations des sociétés savantes. En effet, en cette période de crise sanitaire, nous avons dû tenir compte sur le terrain de la politique nationale (par exemple, la prise en main par la direction générale de la santé de la distribution de matériel comme les respirateurs). Il nous a fallu aussi coopérer avec l’Agence régionale de santé de la Nouvelle-Aquitaine, pour le recensement des équipements disponibles au CHU ou encore l’achat de respirateurs adaptés pour la région Nouvelle-Aquitaine. Et puis, il a fallu assurer notre fonction support en tant qu’établissement référent du groupe hospitalier de territoire (GHT).
Par ailleurs, afin d’adapter au mieux les techniques aux pratiques médicales et soignantes, l’équipe d’ingénierie est restée en veille pour prendre connaissance des recommandations émanant des sociétés savantes telles que la Société française d’anesthésie et de réanimation, la Société de réanimation de langue française, l’Agence nationale de sécurité du médicament… L’attribution des différents types de respirateurs adaptés à l’activité de chaque secteur, l’achat de filtres HEPA pour protéger les machines ou encore de vidéo-laryngoscopes pour éloigner les praticiens des patients lors des intubations illustrent parmi d’autres ce propos. Nous tentons d’avoir une vision éclairée sur les nombreuses propositions qui nous sont présentées, accueillons volontiers les évolutions approuvées, tel que le traitement d’accessoires de respirateurs à usage unique, et suivons par ailleurs de près les propositions comme l’adaptation de masques de plongée pour réaliser de la ventilation non invasive sur les patients atteints de covid-19 tout en préservant le personnel (rapport à l’aérosolisation), l’impression 3D de de valves … Même si certaines initiatives sont nobles, nous devons rester prudents.
Être créatif et inventer des outils adaptés à la situation, c’est essentiel ! En effet, en cette période atypique, la logistique des industriels (de la production à l’approvisionnement) est fortement perturbée. Avoir une cartographie des consommables et accessoires les plus critiques en tension sur le terrain est vite devenu indispensable. Nous avons de fait, en partenariat avec la direction du système d’information, développé un outil de monitoring en ligne, mis à disposition des services critiques afin de nous permettre d’être alertés en cas de problème d’approvisionnement et d’enclencher une action rapide (répartition interservices, approvisionnement par les centres hospitaliers voisins, réflexion sur une évolution des pratiques en coordination avec l’équipe opérationnelle d’hygiène…).
Vous avez également eu un rôle important dans le déroulement des missions Chardon, missions de transfert de patient en TGV médicalisé. Quel était-il ?
Nous avons dû répondre aux besoins en équipements nécessaires pour ces missions Chardon[1]. La difficulté lors de ces opérations provient de la constitution de véritables unités de réanimation avec du matériel sophistiqué (respirateurs, pousses-seringues, défibrillateurs, moniteurs, etc) en un temps très court. Cela représente une logistique importante : à l’aller, nous chargions les équipements dans les trains. Ces derniers étaient récupérés au retour, en prenant bien soin de trier le matériel contaminé ou non. Nous nous sommes occupés du matériel afin que le personnel soignant soit focalisé sur la prise en charge du patient. Cela a été un travail d’équipe qui a demandé un engagement important et pour lequel les techniciens se sont complètement investis avec un sentiment d’utilité dans le dispositif de soins.
Qu’est-ce qui a bien fonctionné et qu’est-ce qui a mal fonctionné ?
L’organisation de la première mission de transfert de patients d’une autre a été d’autant plus compliquée que nous en avons pris connaissance la veille au soir pour une mise en œuvre le lendemain matin. Nous n’avons pas pu tester tout le matériel, notamment les batteries d’un type de dispositif, ce qui a conduit à la mise en défaut de ce dernier. Fort heureusement, ce ne fût pas préjudiciable pour la prise en charge des patients. Cette première expérience nous a permis de tirer les leçons et d’optimiser les missions suivantes.
A ce jour, la mobilisation de toute l’équipe biomédicale a été un gage de réussite pour mener à bien les missions qui lui ont été confiées. Il a fallu repenser rapidement nos organisations et méthodes de travail. Nous avons dû modifier nos communications compliquées par l’éloignement physique. Cela nous a demandé de grandes capacités d’adaptation. Nous avons instauré un briefing tous les matins qui me permet de restituer aux équipes les informations et les directives de la direction générale, mais également d’échanger sur les difficultés rencontrées, les actions en cours ou à mener…
Je souhaite souligner que les échanges avec les différents services impliqués mais également avec les collègues des autres directions nous permettent d’être très vite opérationnels et très réactifs. Tout se déroule globalement en bonne intelligence et permet d’obtenir de bons résultats.
Comment vos équipes vivent-elles cette situation ?
D’un seul coup, nous avons réalisé l’engagement de toute l’équipe biomédicale ! Il y a une très belle implication des équipes de terrain que nous avons alertées sur le fait qu’elles allaient être potentiellement exposées au virus. Tous ceux qui sont en présentiel ont pris le temps d’intégrer et de s’approprier les gestes barrières. Avant de rentrer chez eux, ils doivent se doucher et changer de tenues pour ne pas exposer leur famille. L’investissement de l’équipe en télétravail n’est pas en reste et a également permis d’assurer la gestion des approvisionnements sur les secteurs en tension que ce soit au niveau des équipements, des consommables non stériles mais aussi au niveau de la maintenance… L’équipe dans sa globalité fait preuve d’un véritable engagement avec un grand esprit d’équipe, chacun faisant fi des petits problèmes quotidiens. Nous sommes les hommes et les femmes de l’ombre à l’hôpital, néanmoins maillon essentiel dans la chaîne de prise en charge des patients de plus en plus technique.
Quelles leçons tirez-vous déjà de cette situation exceptionnelle ?
Face à la crise, l’esprit de solidarité qui existait déjà au sein des réseaux des professionnels s’est renforcé. Nous avons apporté notre soutien aux hôpitaux du Grand-Est en leur prêtant deux respirateurs, envoyé des consommables aux collègues du CHU de Limoges, en avons reçu du centre hospitalier de la Rochelle. Nous avons également été soutenus par des structures extérieures au milieu hospitalier avec notamment du prêt de matériel de l’Université de Poitiers, et nous avons pu ouvrir des pistes de réflexion via des échanges avec le milieu vétérinaire et industriel. Nous avons également une communauté biomédicale très soudée qui communique énormément à l’échelle régionale et nationale, ce qui permet d’échanger chaque semaine sur les problématiques de chacun et de bénéficier des retours d’expériences des collègues de zones les plus touchées comme Strasbourg, Paris, Nancy ou Lille…
La direction biomédicale s’adapte depuis deux mois pour accompagner au mieux les soignants avec le peu de lisibilité que la pandémie nous offre. L’enjeu fin avril est de préparer le plateau technique à la reprise d’activité progressive dans le cadre du déconfinement, tout en assurant la possibilité de prendre de nouveau en charge des patients en cas de nouvelles vagues de contamination. Comme l’a écrit William Shakespeare en 1600, « Tout ce qui est à venir est encore incertain ».
[1] Le CHU de Poitiers a participé à trois missions Chardons et a ainsi accueilli trente patients des hôpitaux du Grand-Est et de l’Ile-de-France. Retrouvez des photos de ces missions sur le site du CHU de Poitiers.