Regard médical : Jean-Pierre Frat, praticien hospitalier en réanimation médicale

Jean-Pierre Frat est arrivé au CHU de Poitiers en 1999 en tant que chef de clinique. Praticien hospitalier en réanimation médicale depuis 2001,  il a dirigé plusieurs recherches cliniques parmi lesquelles celles portant sur l’oxygénothérapie à haut débit, méthode largement utilisée au CHU et notamment dans la prise en charge des patients covid.

Vous avez mené des recherches cliniques sur l’oxygénothérapie à haut débit. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

La première, Florali 1 (high-flow oxygen therapy for the resuscitation of acute lung injury) a débuté en 2008. Nous avons analysé trois méthodes d’oxygénation pouvant éviter l’intubation. Nos recherches, menées sur un panel de 310 patients, ont démontré une baisse de mortalité et de complication grâce à l’oxygénothérapie à haut débit nasale. En 2015, j’ai déposé une nouvelle candidature pour le programme hospitalier de recherche clinique qui m’a permis de financer la seconde étude, Florali 2. Ce projet a consisté à comparer deux stratégies de  pré-oxygénation avant l’intubation des patients de réanimation en insuffisance respiratoire aigüe parmi lesquels près de 25% présentent des complications pendant la procédure d’intubation : la pré-oxygénation par ventilation non invasive et l’oxygénothérapie à haut débit. Il s’agissait de déterminer la meilleure méthode pour optimiser la procédure d’intubation. Il s’est avéré que dans cette situation très particulière la ventilation non-invasive était supérieure.

Qu’est-ce que l’oxygénothérapie à haut débit ? Et quelle utilisation en faites-vous au CHU ?

L’oxygénothérapie à haut débit est une méthode d’oxygénation non invasive développée en Nouvelle-Zélande au début des années 2000. Elle consiste à délivrer 70 litres par minute d’oxygène humidifié et réchauffé via des canules nasales, au lieu de 15 litres d’oxygène par minute via un masque. Nous avons été dans les premiers en France à l’utiliser mais à un niveau de 50 litres par minute notamment dans le traitement de la grippe. Le dispositif est très simple à mettre en place et a été rapidement accepté par l’équipe.

Vos recherches ont démontré l’intérêt de cette méthode. Quelle place a-t-elle eu dans la prise en charge des patients covid ?

Lors de la première vague, il y a eu, dans le monde, beaucoup de réticences à utiliser l’oxygénothérapie à haut débit pour la réanimation des patients covid en raison du risque de dispersion des particules virales. Une publication qui reprenait toutes les recommandations internationales a montré que trois pays seulement la conseillaient, et la France n’en faisait pas partie. Les choses ont évolué sur la deuxième vague parce qu’il a été démontré que le risque de dispersion virale n’était pas plus élevé qu’avec les autres dispositifs d’oxygénation. En associant les mesures barrières à l’utilisation de ce dispositif, il est possible de contenir le risque de diffusion du virus. Il y a d’ailleurs eu très peu de contamination du personnel soignant dans les services de réanimation. Nous l’avons toujours recommandée et nous avons continué à l’utiliser sur les deux vagues. Sur la première, nous l’avons peu appliquée car  les patients étaient en majeure partie transférés depuis d’autres hôpitaux et déjà intubés. Il nous est donc difficile de dire si c’était efficace ou pas. Sur la deuxième vague, son utilisation sur une centaine de patients a permis d’éviter l’intubation sur près d’une cinquantaine d’entre eux. Le bénéficie de l’oxygénothérapie à haut débit dans la prise en charge des patients covid a été suggéré dans des  études observationnelles.

Quels sont les inconvénients de l’intubation ?

A l’échelle individuelle, l’oxygénothérapie à haut débit nasal permet d’éviter l’intubation et les complications associées à la ventilation mécanique invasive telles que les risques d’infections et les risque de surmortalité associée. De plus, cette méthode d’oxygénation apporte un meilleur confort pour le patient. Plus largement, elle permet une hospitalisation en réanimation moins longue qui s’avère essentielle en cette période de pandémie.

Le choix d’intuber ou pas est une grande responsabilité. Pour cette raison, il faut arriver à déterminer des critères simple et facile à appliquer pour tout le monde. Avec Arnaud Thille, chef du service de réanimation médicale, nous partageons l’idée qu’il faut offrir des stratégies qui soient simples, généralisables et efficaces pour tous les services de réanimation. L’oxygénothérapie à haut-débit répond à ces critères.

Quels impacts a eu la crise sanitaire sur le service de réanimation médicale ?

La crise sanitaire n’a rien changé aux pratiques de notre service. Nous avons travaillé comme d’habitude et utilisé les  mêmes méthodes d’oxygénation. L’expérience et les recherches menées lors de la première vague nous ont cependant servi en ce qui concerne les traitements médicamenteux adjuvants. Nous utilisons davantage les corticoïdes que lors de la première vague. Nous avons toujours traités les patients avec des médicaments qui avaient fait leurs preuves. Contrairement à la première vague, nous avons dû prendre en charge les patients habituellement admis en réanimation en plus des patients covid plus nombreux. L’absence des visites des familles a été difficile pour nous notamment dans la communication et  dans le soutien. Nous avons beaucoup communiqué par téléphone mais certaines nouvelles ne sont faciles à transmettre de cette façon.  Un des effets de la crise  est d’avoir permis à tout le monde de connaître le milieu de la réanimation alors qu’il était jusqu’alors peu connue.