La douleur, un combat quotidien

La douleur, un combat quotidien - Gaz meopa

La prise en compte de la douleur, qu’elle soit chronique ou aiguë, est partie intégrante des soins au CHU. Aidés dans leur combat quotidien par le comité de lutte contre la douleur ou par le centre d’étude et de traitement de la douleur, les services disposent de moyens et de stratégies larges pour apporter une réponse la plus efficace possible qui va du simple antalgique jusqu’à la neurochirurgie en passant par des techniques alternatives de type hypnose ou acupuncture.

« La douleur ne doit pas être une fatalité », tel était le mot d’ordre de Bernard Kouchner alors secrétaire d’État à la Santé lors du lancement en 1998 du premier plan antidouleur. Depuis un long chemin a été parcouru via les réformes successives du code de santé publique et du code de déontologie médicale, la loi du 4 mars 2002, relative au droit des malades et à la qualité du système de santé, et les trois plans de lutte contre la douleur. Aujourd’hui, la prise en charge de la douleur est partie intégrante des soins. Le praticien doit s’efforcer de mettre en oeuvre tous les moyens dont il dispose pour soulager au mieux les patients. Et le code de santé publique est clair sur ce point : « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. » (article L1110-5) « Toutefois, nous n’avons pas attendu une loi pour prendre en charge la douleur des patients, souligne le Dr Hervé Lanquetot, coprésident du comité de lutte contre la douleur (CLUD), mais il est toujours intéressant que soit mis en exergue la priorité des patients. »

Le CHU de Poitiers a très tôt pris conscience de l’importance de cette prise en compte de la douleur. En 1998, il a été un des premiers centres en France à avoir créé un centre d’étude et de traitement de la douleur. Chaque année, ce centre accueille près de 6 000 patients de toute la région et de ses environs.

La douleur, les mécanismes générateurs
En matière médicale et scientifique, la douleur se définit de la façon suivante : « C’est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage », précise le docteur Bakari Diallo, responsable du centre d’étude et de traitement de la douleur.

De cette définition découlent les différents mécanismes générateurs de la douleur. La douleur peut être nociceptive, c’est un signal d’alarme en réponse à une agression contre l’organisme comme par exemple une brûlure. Un message est envoyé au cerveau pour l’alerter de cette agression. Elle peut être neuropathique : il s’agit d’une douleur consécutive à une lésion nerveuse. Cette lésion provoque un dysfonctionnement du système nerveux périphérique ou central. Et elle peut être aussi psychogène, il s’agit alors de douleurs psychologiques.

Elle se caractérise également par deux états : aiguë ou chronique. Dans le premier cas, elle est vive, immédiate et souvent brève et est d’origine traumatique ou postopératoire ou peut être provoquée par certains soins. Dans le second cas, c’est une douleur qui s’avère rebelle aux traitements usuels pendant plus de trois à six mois. En fonction, la prise en charge ne sera pas la même.

Les services peuvent s’appuyer pour combattre la douleur sur un arsenal thérapeutique large : antalgiques modérés à sévères, ce qui va du paracétamol et anti-inflammatoires (pallier 1) à la morphine ou aux dérivés morphiniques (pallier 3) en passant par les antalgiques opiacés faibles (pallier 2). Les administrations peuvent être diverses : orales, intraveineuses, contrôlées par le patient (PCA). Dans des cas spécifiques, des techniques d’anesthésies comme les péridurales antalgiques ou les infiltrations rhumatologiques peuvent être appliquées. Dans d’autres situations, les praticiens ont recours à des gestes plus invasifs de neurochirurgie menés au sein de l’unité rachis. A cela s’ajoutent des techniques de médecine alternative comme l’hypnose, l’homéopathie, l’acupuncture ou encore la sophrologie.

Le CLUD, une aide stratégique à l’amélioration de la prise en charge de la douleur
S’il existe des standards reconnus de traitements (protocoles, recommandations, outils d’évaluations…), il n’y a pas de système unique de prise en charge de la douleur applicable à l’ensemble de l’établissement. Le traitement de la douleur incombe à chaque service. Toutefois, ils sont accompagnés dans leur démarche par le comité de lutte contre la douleur. Son rôle : mettre en place une stratégie cohérente et adaptée d’aide à l’amélioration de la prise en charge de la douleur aiguë ou chronique.

« Il s’agit d’un centre de réflexion et de propositions, précise Hervé Lanquetot, co-président du CLUD. Son objectif est de recueillir l’ensemble des problématiques de terrain et d’essayer d’y répondre par la mise en place de nouveaux protocoles. » Pour ce faire, il s’appuie sur un réseau de représentants du corps médical et paramédical par pôle. Chaque membre a suivi au minimum la formation institutionnelle douleur de trois jours ou est détenteur du DU douleur. Le CLUD du CHU de Poitiers a deux particularités. La première : la présidence est bicéphale avec une représentation à la fois médicale et paramédicale. C’est Catherine Boisseau, cadre de santé en soins palliatifs, qui assure pour la partie paramédicale la co-présidence. « Cette double vision est importante car nos problématiques peuvent être parfois différentes », souligne celle-ci. La deuxième particularité, les deux présidents ont souhaité créer en plus de l’instance plénière, qui se réunit quatre fois par an, un bureau élargi, avec là encore des représentants médicaux et paramédicaux. C’est une structure intermédiaire, plus souple, qui facilite, par des réunions récurrentes, un travail plus efficace.

Et ses actions sont concrètes. « Pour mettre en place un plan d’actions efficace, il nous semblait important d’évaluer le niveau de connaissance et de pratiques de chaque service concernant la prise en charge de la douleur de façon à objectiver les manques, poursuit Catherine Boisseau. Nous avons donc effectué une enquête en 2014. » Plusieurs critères ont été pris en compte : les échelles d’évaluation, les traitements, les médicaments… « Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait de vrais manques par rapport à l’utilisation de la morphine et du MEOPA (mélange gazeux d’oxygène et de protoxyde d’azote ) », note Hervé Lanquetot.

Concernant la morphine, ce retard constaté, qui est aussi national, est lié à une méconnaissance de son utilisation et une crainte de ses effets secondaires « alors qu’il est le médicament de base du traitement de la douleur aiguë. Il n’y avait pas, hormis des unités spécialisées comme la salle de réveil, de protocole de titration de la morphine. » Le CLUD s’est donc attaché, en lien avec la pharmacie, à mettre en place un protocole pour faciliter son utilisation. « Nous avons encore un gros travail de pédagogie et de formation à mener pour qu’il soit plus largement utilisé par les médecins et les soignants. Notre souhait serait que chaque nouvelle recrue de l’hôpital puisse être formée à son utilisation. »

Pour le MEOPA, même constat : un manque de connaissance et un protocole de dispensation très compliqué et décourageant. « Alors que ce procédé, qui est à la fois analgésique et anxiolytique, s’inscrit dans une utilisation extensive notamment pour une meilleure prise en charge des soins douloureux ou pour la mobilisation des patients douloureux. Les soins sont alors facilités pour l’équipe médicale et il y a une diminution de la mémorisation de l’événement douloureux pour le patient. » Là encore le protocole a été entièrement revu. Les services ont aujourd’hui de plus en plus recours à ce procédé suite à un plan de formation initié par le CLUD. « La dynamique est lancée. »

A l’heure actuelle, 26 protocoles sont en cours d’application. Outre ces derniers, on peut citer notamment le protocole d’auto-analgésie contrôlé par péridurale, le protocole de cathéter péri-nerveux à domicile pour des douleurs d’artérites ou encore le protocole d’analgésie intrathécale chez les patients cancéreux (voir explications dans la suite du dossier). « Charge à nous de les développer auprès des services. Notre rôle est aussi de vérifier que les protocoles sont bien mis en oeuvre », poursuit Hervé Lanquetot.

Les services face à la douleur aiguë
Symptomatique d’une lésion ou d’une maladie, la douleur aiguë joue le rôle de signal d’alarme. Passée cette alerte, il est nécessaire et c’est le devoir de l’hôpital d’y apporter une réponse rapide.

Au service d’urgences, qui est souvent aux avant-postes de la prise en charge de la douleur, son traitement constitue une priorité. « Elle est très souvent un motif d’admission, souligne Jean-Yves Lardeur, chef des urgences adultes. Dès l’accueil, elle est prise en compte par les infirmières. Tout d’abord par une évaluation. Ici, étant donné le débit d’arrivée des patients, nous n’utilisons pas la réglette visuelle (EVA), nous avons opté pour l’échelle verbale numérique. Il sera demandé à la personne de quantifier, comme pour la réglette EVA, sa douleur sur une échelle de 1 à 10. » 1 étant « pas de douleur » et 10 « une douleur insupportable ». Pour les patients déments ou ayant du mal à s’exprimer, le service s’appuie sur l’échelle comportementale Algoplus qui prend en compte certains critères : les signes du visage, les cris, la fréquence cardiaque… « L’évaluation permet de trier les patients entre ceux qui doivent être pris en urgence et ceux qui peuvent attendre. Mais quelle que soit la catégorisation, tous reçoivent dès l’accueil, selon des protocoles, une réponse à leur douleur. Ce qui va du paracétamol ou de la morphine à prendre per os jusqu’à la perfusion ou l’injection de morphine. »

Pour l’urgentiste, cette prise en compte immédiate de la douleur, au-delà du confort du malade, est essentielle pour la suite des soins. « Le patient va moins nous solliciter et sera plus coopératif. » Ensuite, il y a des pathologies qui vont nécessiter des actes douloureux, là aussi le but est de limiter au maximum la douleur. « On peut être amené à utiliser le MEOPA ou à réaliser une anesthésie de courte durée quand il s’agit par exemple de réduire une luxation ou encore dans des cas très particuliers demander aux anesthésistes de faire des blocs nerveux. » Et le service d’urgence s’efforce, par des prescriptions, de faire que la prise en charge de la douleur soit continue dans le service et à la sortie des urgences.

urgences pédiatriques

Au service des urgences pédiatriques, la prise en charge de la douleur prend une dimension encore plus grande : « Il est inacceptable de laisser souffrir un enfant, plaide le Dr Amélie Boureau- Voultoury, chef des urgences pédiatriques. Le but est ici de chercher à apaiser autant la douleur que l’anxiété. Car celle-ci ne fait qu’accroître la sensation douloureuse. » Comme aux urgences adultes, la douleur est prise en charge dès l’accueil après évaluation. Le personnel dispose d’un panel d’échelles en fonction de l’âge des malades. L’EVA pour les plus grands et l’Evendol pour les nourrissons. Ce dernier porte sur des indicateurs comportementaux, ou l’échelle des visages (visages souriants à grimaçants). A partir de là, les infirmières sont à même d’apporter un premier traitement. « Si besoin, elles peuvent administrer des médicaments de palier 2 après accord médical. Le but est vraiment de traiter rapidement la douleur pour pouvoir approcher et communiquer avec l’enfant. Il aura ainsi un autre vécu de son passage dans nos murs. » En prévision des soins, elles peuvent mettre en place des patchs anesthésiants cutanés (ELMA). « Ce qui facilite la pose de voies veineuses. Les enfants détestent et craignent les piqûres. L’objectif est que le jeune patient accepte plus facilement le soin. » C’est dans cette même logique que le personnel des urgences a régulièrement recours au MEOPA pour effectuer les soins susceptibles d’être douloureux. L’hypnose est aussi couramment employée sous toutes ses formes, narratives (voir encadré ci-dessous), de distraction, par le chant… «  et ça fonctionne très bien. Le gros avantage est qu’il n’y a pas d’effets secondaires et ça améliore la tolérance pour certains actes. »

Hypnose : les enfants particulièrement réceptifs

Trois questions à… Béatrice Geaugeais, puéricultrice aux urgences pédiatriques et hypnopraticienne formée à l’Institut français d’hypnose à Paris. Elle est également référente douleur pour la pédiatrie.

Comment êtes-vous venue à pratiquer l’hypnose ?
Puéricultrice depuis 35 ans au CHU de Poitiers, la prise en charge de la douleur reste pour moi une priorité quel que soit le motif d’hospitalisation. J’ai obtenu un diplôme universitaire sur la douleur en 2000 et ai accepté à l’issue de ce DU les missions de co-présidente du comité de lutte contre la douleur (CLUD) du CHU avec le Pr. Jean-Philippe Neau durant cinq années.
J’ai découvert l’hypno-analgésie au cours d’un congrès pédiatrique sur la douleur de l’enfant. J’ai été formée de 2006 à 2008 à l’IFH (Institut français d’hypnose) avec deux collègues du secteur adulte. Nous sommes actuellement deux (infirmière et puéricultrice) à être hypnopraticiennes certifiées au CHU. J’ai pratiqué rapidement en pédiatrie générale et hématologique notamment dans le cadre des soins douloureux ou de traumatismes et maladies générant de la douleur.

Sur quoi l’hypnose agit-elle ?
Il faut souligner tout d’abord que l’hypno-analgésie que nous pratiquons, dite Ericksonienne, n’a rien à voir avec l’hypnose de spectacle véhiculée par les médias. Son but est de favoriser un climat dissociatif, de laisser-aller, une forme de lâcher-prise avec la réalité environnante. Pour arriver à cet état de «transe», il est important au préalable d’avoir un échange avec le patient pour connaître ses goûts, les endroits où il aime aller. Guidé par la voix, avec un vocabulaire toujours positif et une intonation particulière, l’objectif est de l’emmener dans son imaginaire et ainsi le dissocier de la zone douloureuse à soigner. Les enfants sont particulièrement réceptifs à l’hypnose parce qu’ils ont une imagination extrêmement développée.

Cette technique est-elle bénéfique ?
Oui, elle l’est pour le patient et son entourage car le soin est prodigué dans une ambiance plus calme, perçue comme apaisante et laissant un vécu plus positif pour chacun. Et pour le soignant, c’est un vrai confort de soin. L’hypnose ne remplace pas les médicaments, c’est une technique complémentaire bienveillante. Par ce biais, la prescription de produits chimiques est réduite ainsi que les effets secondaires indésirables.

Durant toute la durée du passage des jeunes patients aux urgences, régulièrement la douleur est réévaluée. « L’objectif est d’éviter que la douleur s’installe. C’est très chronophage, mais l’expérience montre que l’inverse fait perdre encore plus de temps », estime Amélie Boureau-Voultoury.

L’anesthésie, un rempart contre la douleur
Pour une partie des patients qui passent aux urgences mais aussi pour les personnes hospitalisées, quels que soient la raison et le service concerné, la douleur aiguë peut rester persistante tant que la cause n’est pas traitée. Ce qui implique, dans bien des cas, le recours à la chirurgie. Pour faire face aux actes invasifs, qui induisent nécessairement de la douleur, les anesthésistes mettent en place des stratégies pour bloquer la transmission de cette douleur.

« Les chirurgiens ont besoin, pour effectuer leurs actes, de rompre la barrière qui nous sert de filet de sécurité vis-à-vis de l’environnement, explique le docteur Louis Lacoste, anesthésiste. En anesthésie, très tôt nous avons eu à disposition des produits pour inhiber cette douleur. Malheureusement, ces produits ont des effets indésirables, notamment de dépression respiratoire. Il a donc fallu pallier cela. » Différentes stratégies sont utilisées : anesthésie locale, locorégionale (bloc nerveux), anesthésie médullaire (péridurale, rachianesthésie) ou anesthésie générale, en fonction de la localisation, de l’intensité douloureuse engendrée et du rapport bénéfices/ risques pour le patient. Les associations de produits « permettent de diminuer les effets indésirables de chacun d’entre eux. Nous avons recours à des anesthésiques locaux utilisés par infiltration, par cathéter, voies péri-nerveuses ou autour de la moelle épinière, ou encore par voie intraveineuse. En chirurgie usuelle, sous anesthésie générale, nous utilisons surtout des opiacés intraveineux. »

Le choix de la technique d’anesthésie est aussi lié à la connaissance du geste qui va être réalisé par le chirurgien. «  Il y a une connivence avec ce dernier mais aussi une bonne connaissance des maladies traitées dans le service auquel l’anesthésiste est rattaché, poursuit le docteur Louis Lacoste. Si le métier est très transversal, 80 % de l’activité est réalisée au sein d’une spécialité. Après un gros travail sur le dossier du patient celui-ci sera orienté vers les moyens le mieux adaptés à sa situation. »

En chirurgie orthopédique par exemple, les anesthésistes ont fréquemment recours aux anesthésies loco-régionales mais aussi, faisant partie d’une des chirurgies les plus douloureuses, à des techniques spécifiques : « Face à la nécessité de réduire au maximum la douleur dans la zone d’intervention notamment lors de la pose de prothèses du genou ou pour la chirurgie du pied, nous utilisons un cathéter péri-nerveux, explique le docteur Laurent Soubiron, anesthésiste rattaché au service orthopédie. Celui-ci est placé à proximité des nerfs à l’aide d’un échographe. Par ce biais, une pompe va instiller de façon continue du produit d’anesthésie. » Dans la même idée, pour la chirurgie du rachis, les anesthésistes utilisent des cathéters cicatriciels. Le produit anesthésique est directement appliqué dans la cicatrice afin de diminuer la douleur locale. Les intérêts de ces ciblages sont multiples : diminution de la consommation des produits de dérivés morphiniques, réduction de l’incidence et de la sévérité de la douleur, amélioration du degré de confort et possibilité d’une rééducation plus précoce.

En outre, sur certaines opérations particulièrement douloureuses telles que celle de l’épaule, les anesthésistes emploient, en plus de l’anesthésie générale, des anesthésiques loco-régionaux de longue durée. « Le but est de prévenir les douleurs sur les premières heures post-opératoires. Plus on s’éloigne de l’opération, moins la douleur est vive, ce qui permet là aussi de dispenser une moindre quantité de traitements morphiniques. »

Des enjeux médico-économiques
D’une manière générale, à chaque intervention chirurgicale, l’anesthésiste anticipe le réveil du patient. Des associations d’analgésiques vont être administrées de manière concomitante avec des agents qui évitent certains effets secondaires, tels que les vomissements. L’objectif est qu’à la phase du réveil, il n’y ait plus qu’à adapter l’analgésie.

Cette opération est gérée par la salle de réveil, qui est aussi un maillon essentiel dans la prise en charge de la douleur. « L’absence de douleur fait partie des critères principaux de sortie de la salle de réveil, précise le docteur Jean-Mathias Charrière, anesthésiste-réanimateur en salle de réveil. Tant que la douleur est supérieure à 3 sur l’échelle de 10, les patients restent ici. »

Dès le réveil du patient, une évaluation de la douleur est réalisée. En fonction de son ressenti et de l’intervention réalisée, le protocole de prise en charge de la douleur est adapté de façon à ce que le patient n’ait plus mal. Le service dispose d’un arsenal complet qui va des antalgiques de palier 1 (paracétamol) jusqu’aux antalgiques de palier 3 (morphiniques) en passant par les anti-inflammatoires, les antihyperpalgésiques type kétamine et les techniques d’analgésie locorégionale comme les péridurales analgésiques et les blocs tronculaires. « Si nécessaire, on fait une escalade de traitement. Et quand une douleur est inattendue, nous devons en rechercher la cause qui peut parfois être la survenue d’une complication précoce. »

Lorsque les patients quittent la salle de réveil, une prescription d’un traitement analgésique est effectuée. Quand c’est nécessaire une PCA est utilisée. « Et, il arrive parfois que des patients recommencent à avoir mal, avec des douleurs non contrôlées. Ils reviennent alors en salle de réveil pour que nous adaptions le traitement antalgique », souligne le docteur Jean-Mathias Charrière.

Derrière cette prise en charge de la douleur aiguë, les enjeux sont à la fois médicaux et économiques. Un traitement de la douleur efficace permet une meilleure rééducation, une remise sur pied plus rapide et une diminution des complications. « Si l’on devait mettre en parallèle le coût des produits utilisés contre la douleur, qui ne sont d’ailleurs pas excessifs, à ceux qui seraient engendrés si le traitement n’était pas fait de manière efficace, on se rendrait compte qu’il y a un vrai gain pour la société », précise le docteur Louis Lacoste.

Les recherches menées en anesthésie vont dans ce sens. « Des associations nouvelles ou des modalités plus ciblées favorisent l’efficacité et une meilleure récupération des patients avec moins d’effets secondaires, poursuit celui-ci. Par exemple, actuellement, nous testons en chirurgie viscérale un anesthésique local à l’intérieur du péritoine dont la diffusion se fait par aérosol plutôt qu’au goutte-à-goutte. Ce qui permet une meilleure administration. » En outre, les techniques chirurgicales, avec notamment le développement de la coelioscopie, sont moins invasives donc moins douloureuses, induisant moins forts et à plus faible dose.

Cette prise en charge de la douleur a aussi une position stratégique : « La prise en compte de la douleur s’inscrit dans une logique d’accréditation, de nombreux contrôles sont basés sur cet élément, note le Dr Jean-Yves Lardeur. Si les résultats sont bons, cela souligne que le service n’est pas si mal organisé. » Par rapport à cette notion d’accréditation, qui induit ensuite des classements nationaux des établissements hospitaliers, Hervé Lanquetot apporte toutefois un bémol : « L’évaluation se fait sur des marqueurs assez grossiers, comme la surveillance de la douleur. Ce n’est pas parce que cette douleur est tracée et relevée qu’elle est correctement prise en compte. Ce n’est qu’une traçabilité quantitative. »

Douleur chronique : le défi de la pluridisciplinarité
Parfois la douleur s’installe dans la durée, elle devient alors chronique. Ses origines sont diverses : migraine, lombalgie, douleurs rhumatologiques, neurologiques ou liées à certaines maladies notamment le cancer. Les raisons de cette chronicité sont aussi multiples : un traitement non adapté au mécanisme de la douleur, un traitement grevé d’effets secondaires qui en limitent l’utilisation et l’augmentation des doses, une douleur réfractaire non accessible à un traitement chirurgical… Pour y répondre, le CHU dispose, depuis 1989, d’un Centre d’étude et de traitement de la douleur qui répond à une labellisation nationale. « En 26 ans, nous avons acquis une très bonne expertise dans ce domaine, souligne le docteur Bakari Diallo, responsable du centre. En offrant une approche diversifiée et complémentaire, le centre s’efforce de soulager la douleur des patients et d’améliorer leur qualité de vie. »

L’approche multidisciplinaire est primordiale car doivent être prises en compte certes la pathologie organique mais aussi les difficultés liées aux problèmes psychologiques et comportementaux du patient et à l’altération de ses relations avec son environnement. « Une douleur chronique peut entraîner par son évolution une dépression. Toute la difficulté est de savoir si la dépression majore la douleur ou si c’est la douleur qui est à l’origine de l’état dépressif. » Ce qui passe par une écoute attentive car chaque cas est particulier. Cette écoute permet de définir la prise en charge la mieux adaptée. Le centre dispose pour ce faire d’un arsenal très large. Il y a tout d’abord les antalgiques simples, les protocoles kétamine ou encore les perfusions de tricycliques. Si la douleur est de nature neurogène, les médecins du centre ont recours aux antidépresseurs ou au antiépileptiques. Le centre peut aussi proposer, lorsqu’il s’agit de douleurs liées à une fibromyalgie ou à une migraine, une technique que peu de CHU en France proposent : la stimulation magnétique transcranienne (voir encadré ci-contre). Lorsque ces différents traitements n’apportent pas une réponse suffisante, les médecins peuvent envisager des gestes spécifiques qui font appel à des techniques d’anesthésie : péridurale antalgique, infiltration rhumatologique, bloc stellaire ou recours à la neurochirurgie de la douleur.

La stimulation magnétique transcrânienne : le CHU de Poitiers à la pointe

Les « tacs » puissants et réguliers du stimulateur percent le silence de la salle de consultation au niveau – 2 de la tour Jean-Bernard du CHU. Sur le fauteuil inclinable de la machine, Sophie V. qui souffre de fibromyalgie depuis plusieurs années. Après avoir essayé plusieurs traitements pour la soulager sans succès, le centre régional d’étude et de traitement de la douleur lui a préconisé des séances de stimulation magnétique trans-crânienne.

Poitiers, qui propose ce recours depuis 2012, est le seul établissement de la grande région Ouest à mettre en oeuvre cette technique. « Le plus proche est à Nantes, précise le Dr Lorraine Misbert du centre antidouleur. A l’origine, cet appareil était utilisé par la neurologie et la psychiatrie pour le traitement des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) ou encore la dépression, ou certains troubles psychotiques, mais des études ont montré qu’appliqué sur des zones spécifiques, il pouvait avoir de très bons résultats pour le traitement des douleurs chroniques des fibromyalgies, des migraines et de certaines douleurs neuropathiques. »

Stimulation magnétique  trans-crânienne.
Stimulation magnétique trans-crânienne.

Son principe : le SMT consiste à appliquer, par le biais d’une bobine aimantée positionnée sur le cuir chevelu, une série d’impulsions magnétiques afin d’activer les circuits neuronaux et diminuer les symptômes de la maladie. Les impulsions, non douloureuses pour le patient, qui ne durent que quelques secondes, sont répétées de façon régulière durant la séance qui s’étale sur vingt minutes. Au préalable, le docteur Misbert a repéré la zone où positionner la bobine. « On sait que pour la fibromyalgie, la partie du cerveau qui doit être stimulée se trouve au niveau de la zone frontale gauche du cortex moteur. Pour m’assurer que je suis bien sur l’aire motrice, j’applique une stimulation un peu plus forte qui doit faire réagir la main. »

Ce traitement peut être préconisé lorsque les techniques classiques n’apportent pas de résultats satisfaisants au traitement de la douleur ou lorsque les patients ne supportent plus les effets secondaires des médicaments.

Pour arriver aux résultats escomptés, le protocole s’inscrit dans la durée et de façon répétée. Dans la majorité des cas, lorsque la sélection des candidats est bien faîte, les résultats sont très satisfaisants. « Nombreux patients, que je suis depuis le début, ont retrouvé une très bonne qualité de vie en ayant diminué voire arrêté leurs traitements. » Depuis 2012, 140 patients ont eu recours à une SMT.

« A chaque fois, il faut essayer de proposer aux malades le traitement qui entraînera le moins d’effets secondaires. » Dans cette optique, le centre propose également des thérapies alternatives complémentaires : l’homéopathie, l’acunpuncture (voir encadré ci-dessous), la sophrologie ou encore l’hypnose. « Elles sont une bonne réponse pour des patients qui sont réfractaires à toute prise de médicaments ou pour ceux qui sont intolérants à certains traitements. »

Acupuncture, une alternative complémentaire

acupuncture
Acupuncture

En 2011, la médecine chinoise a fait son entrée au CHU. Il est un des rares centres du traitement de la douleur en France à proposer cette alternative au traitement de la douleur. Elle est appliquée pour les fibromyalgies, les migraines, les maux de dos ou encore les sciatiques. Deux médecins pratiquent cette technique, le Dr Marie-Alyette Costa Fournel et le Dr Jean Bouchet.

Deux sortes d’acupuncture sont mises en oeuvre, celle traditionnelle et celle scientifique. La première consiste à harmoniser l’énergie qui circule dans les douze méridiens du corps. «Lorsqu’il y a une pathologie, il y a un blocage de l’énergie dans l’organisme, explique le Dr Jean Bouchet. L’acupuncture peut réellement apporter une réponse à la douleur car elle est à la fois antidouleur et anti-inflammatoire. » La seconde, plus facilement acceptée par le corps médical, car elle a fait la preuve scientifique de son efficacité, d’où son nom, «consiste à stimuler des neuro-transmeteurs qui libèrent une catégorie d’endorphine ayant pour effet de court-circuiter les messages de douleurs issus des structures blessées ou enflammées ». En fonction des patients et de l’indication, les deux techniques peuvent être associées. Le docteur Bouchet peut également compléter le traitement par de l’homéopathie. «L’acupuncture, qui n’a aucune contre-indication, constitue un vrai recours pour les patients qui ne supportent plus la médication.»

Tous les quinze jours, une réunion pluridisciplinaire est organisée avec tous les spécialistes du centre pour discuter des dossiers les plus difficiles. « Nous décidons du meilleur choix du traitement en fonction de ce que l’on croit le mieux pour le patient, mais aussi en tenant compte de sa demande et de sa sensibilité. »

Le recours à la neurochirurgie
Et quand la douleur chronique ne répond à aucun des traitements proposés par le centre d’étude et de traitement de la douleur et que le patient est réfractaire à tout, en dernier recours, la réponse peut alors venir de la mise en oeuvre de techniques invasives neurochirurgicales réalisées par l’unité rachis-neurostimulation en collaboration avec le centre anti-douleur. « Dans le cadre de consultations pluridisciplinaires régionales (deux sont proposées par mois au CHU, une à Niort, une à La Rochelle et depuis peu, une à Angoulême) où sont réunis au moins un neurochirurgien, un algologue du centre antidouleur, un psychiatre, nous étudions chaque cas et décidons de la meilleure technique à appliquer en fonction des douleurs », précise le professeur Philippe Rigoard, neurochirurgien co-responsable de l’unité rachis. Elles sont au nombre de quatre.

La première est la stimulation médullaire. Elle s’adresse dans 85 % des cas aux patients qui ont été multi-opérés du dos. « Des électrodes sont déposées dans le canal rachidien au-dessus de l’endroit où le patient a subi ses opérations de la colonne. Le but est de court-circuiter le message de la douleur. » Le CHU de Poitiers en est d’ailleurs leader en France.

Pour ceux ayant des douleurs lombaires très précises, la stimulation nerveuse périphérique sous-cutanée peut parfois constituer une bonne alternative. Elle consiste à implanter les électrodes directement sous la peau, en regard de la zone la plus douloureuse. « La technique consiste à implanter une électrode de stimulation à la surface de la moelle épinière qui va créer un filtre et ainsi masquer l’intégration et l’expression du message douloureux. »

Autre technique possible mais de diffusion plus limitée : la stimulation corticale. Elle reste réservée à des indications très précises comme l’arrachement du plexus brachial, les douleurs du membre fantôme, celles du trijumeau (douleur de la face) ou encore celles de l’hémicorps après un accident vasculaire cérébral. Son principe : « Après avoir ouvert la boite crânienne, nous implantons des électrodes à la surface du cerveau pour stimuler au plus près le cortex, intégrateur final du message douloureux. »

Et enfin la quatrième technique porte sur la diffusion de molécules antalgiques directement au contact du système nerveux. Il s’agit de la thérapie intrathécale. Elaborée en premier lieu pour les patients souffrant de spasticité (contractions gênantes des muscles chez les hémiplégiques et paraplégiques), elle est aujourd’hui appliquée, avec l’utilisation de la morphine, d’agents anesthésiants ou de molécules spécifiques, aux douleurs chroniques rebelles, en particulier cancéreuses. « Une pompe est implantée sous la peau et permet par le biais d’un cathéter d’administrer un produit antalgique, type morphine, directement dans la zone qui entoure la moelle épinière, l’espace intrathécal. » Pour la mettre en oeuvre au sein du CHU, une réunion de consultation pluridisciplinaire réservée aux indications potentielles de thérapie intrathécale a débuté il y a huit mois. « Cette technique permet d’offrir un soulagement significatif de la douleur avec des doses de médicaments largement inférieures à celles qui seraient nécessaires avec des comprimés, et du même coup de minimiser les effets secondaires. L’objectif est de permettre à ces personnes de retrouver une qualité de vie. »

Remplissage d’une pompe intrathécale.
Remplissage d’une pompe intrathécale.

Et ce principe peut s’appliquer à toute douleur chronique réfractaire, quelle que soit la méthode utilisée. Il faut bien comprendre que la finalité de ces techniques n’est pas de débarrasser ces patients en bout de course de toute douleur mais plutôt de faire en sorte qu’ils retrouvent une vie décente. « Dans 80 % des cas les résultats sont significatifs, un quart des patients peuvent arrêter tout traitement à l’issue de cette prise en charge. Sur les 500 patients évalués chaque année dans le cadre de ces consultations pour des douleurs rebelles, 100 ont pu bénéficier l’an dernier d’une de ces quatre méthodes. »

Deux services du CHU sont aussi particulièrement confrontés à la douleur chronique, les soins palliatifs et l’oncologie médicale. Pour le premier, le traitement de la douleur constitue une préoccupation quotidienne. « Il n’y a pas un patient qui ne soit pas équipé d’une PCA, note Catherine Boisseau, cadre de santé. La douleur est évaluée nuit et jour. Notre objectif vis-à-vis du patient est la qualité de son confort et l’absence de douleur. Ce qui impose beaucoup d’anticipation sur la douleur dans tous les soins qui sont prodigués. Tous les soignants sont formés à l’utilisation du MEOPA et de l’hypnose et nous travaillons beaucoup sur la dimension psychique de la douleur. »

En oncologie, la démarche est sensiblement la même. « D’ailleurs, nous faisons régulièrement appel aux équipes de soins palliatifs pour avoir un avis ou proposer une prise en charge par hypnose pour nos patients », souligne le Dr Laurence Bahuet du service d’oncologie médicale. Ici aussi la dimension psychologique est particulièrement prise en compte : « Nos patients souffrent de douleurs liées à leur cancer, de nature neurogène ou par excès de nociception, mais également liées à une souffrance psychologique. Le traitement porte alors sur une approche globale. Médicamenteuse bien évidemment mais aussi par des soins de support prodigués par des kinésithérapeutes, par l’assistante sociale, la psychologue, la diététicienne ou encore la socio-esthéticienne. L’auto-hypnose est aussi un bon moyen pour certains patients d’avoir une action contre leur maladie. » Le but : éviter la spirale infernale liée à la douleur. « Un patient qui a mal mangera moins. Etant dénutri, on ne pourra pas faire les traitements de chimiothérapie, il aura une altération générale de son état, il va se replier sur lui, il se coupera de ses proches, etc. » L’inverse est aussi vrai. « Nous avons vu des personnes entrer chez nous dans une optique de fin de vie. Le fait d’avoir pris en compte et traité leurs douleurs leur a redonné l’énergie suffisante pour retourner chez elles. »

Au final, quels que soient le service et les moyens employés, la philosophie générale de ce combat quotidien est la même : soulager la douleur du patient pour mieux respecter sa dignité.

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