Nous oublions encore trop souvent que le sommeil fait partie des fonctions vitales de l’organisme au même titre que la respiration ou l’alimentation. Des chercheurs du centre d’investigation clinique (CIC 1402) étudient justement la qualité du sommeil et ses conséquences en réanimation. Le Dr Christophe Rault, pneumologue au sein du centre d’explorations fonctionnelles, physiologie respiratoire et de l’exercice et médecin délégué à la recherche au CIC, en présente les grandes lignes.
Le sommeil constitue l’unique moyen de récupérer nos capacités physiques, psychiques et intellectuelles. Lorsque nous dormons, la température du corps et les dépenses énergétiques baissent pour permettre à l’organisme de récupérer des forces. Notre métabolisme profite de ce moment pour assurer le renouvellement des cellules. On dit bien que le sommeil est réparateur. Depuis plusieurs années, les conséquences de l’altération du sommeil sur l’état des patients hospitalisés en réanimation médicale sont étudiées au CHU de Poitiers sous la coordination du Pr Xavier Drouot, neurophysiologiste spécialiste du sommeil, et du Pr Arnaud Thille, réanimateur, tous deux chercheurs au sein de l’axe de recherche du CIC intitulée Is-Alive – Investigation of Sleep, Acute Lung Injury and VEntilation*.
En réanimation médicale, lorsque les autres techniques d’oxygénation ne suffisent plus à aider un patient hospitalisé pour insuffisance respiratoire aiguë, celui-ci peut être intubé puis placé sous ventilation mécanique. Cependant, cette ventilation s’accompagne de nombreux effets indésirables et doit être retirée dès que possible. Il est donc important que les patients soient rapidement extubés et sevrés. Dans 2 cas sur 10, le sevrage de cette ventilation est difficile et se prolonge. Parmi les nombreux facteurs pouvant expliquer ces difficultés, le sommeil est rarement cité. Pourtant les pr Xavier Drouot et Arnaud Thille ont montré que le sommeil des patients en réanimation était fréquemment altéré. Dans le cadre de son travail de thèse, le Dr Christophe Rault, pneumologue et chercheur de l’axe Is-Alive, a cherché à savoir si ce mauvais sommeil participait aux difficultés de sevrage de la ventilation mécanique. Afin de connaitre l’impact d’une privation aiguë de sommeil sur les capacités respiratoires humaines, une première étude a été menée sur un panel de 20 hommes sains. Les candidats se sont vus imposer une épreuve d’endurance respiratoire en situation de sommeil normal et en situation de privation du sommeil. « Cette étude nous a permis de démontrer que la privation du sommeil altère de façon majeure l’endurance musculaire respiratoire qui chute alors de 50 %. En analysant la boucle de commande respiratoire, nous constatons que le muscle respiratoire principal, le diaphragme, fonctionne normalement mais que le cerveau est défaillant pour commander ce muscle. D’autre part, l’effort respiratoire va être ressenti comme une soif d’air, sensation douloureuse, intensément désagréable. Il a déjà été prouvé que la privation de sommeil modifie les sensations douloureuses. La douleur est plus intense et certaines choses qui ne sont pas douloureuses en temps normal peuvent le devenir », précise le Dr Christophe Rault. Une seconde étude a permis de montrer que ce phénomène ne concernait pas que les muscles respiratoires mais tous les autres muscles volontairement commandés par le cerveau. En imposant un effort de contractions répétées du pouce à 20 jeunes hommes sains en situation de sommeil normal et en situation de privation de sommeil, « nous avons obtenu des résultats équivalents avec, en situation de manque de sommeil, une endurance qui chutait cette fois de 11 % et sensation d’effort plus intense et désagréable ».
Pour un sevrage ventilatoire réussi
Au vu des résultats obtenus par le biais des deux études décrites ci-dessus, les chercheurs ont analysé le comportement cérébral lors de la phase de sevrage de patients de réanimation grâce à des électroencéphalogrammes. Le sevrage consiste à arrêter la ventilation mécanique pendant une heure et, si le patient peut soutenir cet effort, il est extubé. Dans le cas contraire, la ventilation mécanique est poursuivie. Parmi les 70 patients enregistrés, près d’une vingtaine ont échoué leur test de sevrage. Il a été constaté que chez les patients en échec, une mise en route de la commande respiratoire corticale, qui correspond à une respiration de secours ayant pour but d’aider le patient à lutter lors d’une situation inconfortable, était nécessaire. Au contraire, les patients qui réussissaient avait une respiration automatique confortable sans mise en jeu du cortex moteur. Cette différence de fonctionnement a permis aux chercheurs de mettre en évidence un seuil basé sur l’amplitude du signal à l’électroencéphalogramme qui pourrait aider à identifier plus rapidement les patients pouvant être sevrés.
Un dispositif pour améliorer le sommeil en réanimation
Le sommeil des patients de réanimation est très altéré. Il se fait par petits fragments et s’étale sur 24h et non plus seulement sur les heures de nuit. Les patients perdent les phases de sommeil les plus importantes comme le sommeil profond et le sommeil paradoxal. Une autre forme de sommeil apparait : le sommeil atypique. Ces altérations sont associées à une moins bonne évolution des patients en réanimation et une augmentation du risque de décès. Il est donc essentiel d’améliorer la qualité du sommeil. De nombreux éléments participent à altérer le sommeil des patients : la position allongée, la lumière artificielle, les bruits, les douleurs, les infections, etc. Toutes les études menées jusqu’à présent pour améliorer le sommeil n’ont pas abouti parce qu’il est justement difficile de bien déterminer si le patient dort ou ne dort pas et de protéger son sommeil au bon moment. « La dernière partie de ma thèse de science concernait la mise en place d’un algorithme obtenu par le biais de l’intelligence artificielle qui permet d’estimer en temps réel et de façon automatique l’état de veille d’un patient de réanimation. Nous l’avons fait tourner sur 35 polysomnographies enregistrées en réanimation. Nous avons obtenu des résultats très encourageants », précise le Dr Rault. A partir de cet algorithme, le Pr Xavier Drouot a mis au point un dispositif léger capable de mesurer l’activité électroencéphalographique en temps réel et de spécifier si le patient dort ou pas. Il a donné lieu à la création, en 2021, d’une start-up, Somno Engineering, qui en a produit un prototype. L’appareil va être déployé cette année dans plusieurs réanimations dans le cadre d’un projet de recherche visant à protéger le sommeil des patients en n’effectuant les soins non urgents que lorsqu’ils sont éveillés. Cette recherche vise à montrer que la préservation du sommeil des patients permet l’amélioration de leur état, une extubation plus rapide et une hospitalisation plus courte. « C’est quelque chose qui pourrait s’intégrer dans tous les services de réanimation. Nous souhaiterions faire de la surveillance du sommeil une routine, qu’elle soit intégrée aux scopes comme le sont les autres paramètres vitaux ».
*Dans le cadre de ses travaux de recherche sur le sommeil en réanimation, le Pr Xavier Drouot a bénéficié du soutien financier du fonds Aliénor à hauteur de 56 000 euros.