Covid-19 : les missions Chardon vues de l’intérieur

Pour soulager les hôpitaux les plus touchés par l’épidémie, le CHU de Poitiers a pris en charge une trentaine de patients atteints de covid-19 du Grand-Est et d’Ile-de-France. Si certains d’entre eux sont arrivés par avion, la majeure partie a été transférée dans un TGV médicalisé. Le CHU a ainsi participé à trois de ces opérations de transfert, appelées missions Chardon. Ces missions sont un modèle de coordination entre différents corps de métiers et différents services hospitaliers. Sylvie Chestier et Céline Pitault, toutes deux infirmières, et Sylvain Auriault, ambulancier, se sont portés volontaires pour y participer. Leurs témoignages montrent le caractère hors-normes de celles-ci.

Une prise en charge hors-normes

Des équipes médico-soignantes du CHU de Poitiers sont allées chercher les patients jusque dans les hôpitaux où ils étaient pris en charge. Lors de ces missions, ils ont emporté avec eux leur propre matériel de réanimation qu’ils ont mis en place pendant le voyage de l’aller afin de constituer une unité de réanimation à l’intérieur de chaque voiture. Le train étant sur deux étages, la partie basse était réservée à la prise en charge des patients tandis que dans les salles hautes se trouvait tout le matériel nécessaire aux patients tels que des bouteilles d’oxygène, aiguilles, seringues, produits anesthésiants. Une fois les patients récupérés, ils ont été installés les uns après les autres dans un ordre prédéfini en fonction de leur destination, chacun d’entre eux ayant une équipe médico-soignante dédiée. Chaque voiture accueillait quatre patients qui se trouvaient sous la surveillance d’un médecin urgentiste, un interne en anesthésie réanimation, trois infirmiers et un infirmier anesthésiste. La prise en charge des patients s’est faite dans un espace exigu. A l’étroitesse de l’espace, s’est ajoutée la chaleur à laquelle ont été soumises les équipes sous leur sur-tenue. Dans la partie haute, des ambulanciers ou logisticiens se tenaient prêts pour répondre aux besoins en matériel des équipes médico-soignantes, évitant que ces derniers n’aient à se déshabiller pour monter dans la zone dite « propre ». Il était très important de ne pas contaminer le reste du matériel. Sylvain Auriault a fait en sorte de soulager ses collègues par exemple, en leur descendant, au plus près, le matériel. Il les aidait à se déshabiller et se rhabiller avant qu’ils ne remontent en zone propre, lors des temps de pauses imposés à chacun à tour de rôle.

Une expérience incroyable

Nos trois témoins sont tous unanimes : une cohésion incroyable s’est mise en place entre toutes les personnes participantes. « Nous étions tous écoutés de la même façon que l’on soit infirmier, médecin ou ambulancier parce que nous savions que nous étions dans le même bateau » souligne Céline Pitault. « Tout le monde avait son importance pour la réussite de ces missions. » ajoute Sylvain Auriault. Pour Sylvie Chestier, ces missions lui ont permis de travailler avec des collègues avec lesquels elle ne travaille jamais. « Nous avons partagé des moments incroyables. Cela a été très enrichissant. »

Et malgré la prise en charge difficile des patients, la fatigue psychologique et physique qu’entrainent de telles missions, ils n’ont pas hésité à participer à plusieurs d’entre elles. « C’est une aventure humaine hors du commun qui confirme un réel engagement de soutien et de cohésion» reconnait Céline Pitault. « Je n’aurais jamais pensé vivre une telle expérience. C’est une expérience unique que je n’oublierai jamais » conclut Sylvie Chestier.

Témoignages

 

Céline Pitault, infirmière diplômée d’état 

« C’est à ce moment-là que l’on se rend compte, (…) que l’on a choisi ce métier. »

Je me suis proposée pour participer à la mission Chardon 2 qui était la première mission du CHU de Poitiers. Nous devions aller récupérer des patients à Mulhouse. L’organisation a été assez compliquée parce que l’hôpital n’avait appris sa participation à l’opération que la veille. Il a fallu préparer le matériel pour prendre en charge huit patients ventilés et intubés, matériel nécessaire pour constituer une mini-réanimation dans le train.
Nous avons pris un TGV qui nous a emmenés jusqu’à la gare Montparnasse. D’autres équipes médico-soignantes, notamment de Paris et de Bordeaux, faisaient également partie du voyage. Pour aller à Mulhouse, il nous fallait prendre un train à la gare de l’Est. Nous avons dû descendre tout le matériel, le charger dans un camion qui l’a transporté jusqu’à la gare de l’Est. Nous avons fait le trajet en bus. A la gare de l’Est, nous avons dû recharger le matériel dans le train.
Le lendemain, nous avions rendez-vous à l’accueil de l’hôtel à 4h30. Toutes les équipes mobilisées se sont rejointes sur le quai de la gare. Chaque équipe a pris une ambulance bien définie, une ambulance par patient. Certaines ont été les chercher à l’hôpital de Mulhouse. Mon équipe a récupéré son patient dans l’hôpital militaire de Mulhouse. Des équipes sont allées jusqu’à Colmar. Puis ensuite, dans un ordre prédéfini, nous avons monté les patients, un par un. L’organisation de l’opération était chapeautée par une « smuriste » de Paris, bien plus expérimentée. C’était très bien organisé. Les équipes de Paris nous ont été d’une grande aide au niveau organisationnel. Il a été compliqué pour nous de savoir quel était le matériel nécessaire. Nous nous sommes rendus compte qu’il fallait absolument débriefer au retour pour une meilleure organisation des prochaines missions.
Sur les premiers trajets, les trains n’avaient pas été préparés de la même façon. Les brancards des patients devaient être fixés avec des sangles sur les sièges passagers. Cela veut dire que nous n’avions pas une grande visibilité sur le patient. Il fallait organiser un mini box de réanimation à l’intérieur des rames de TGV. Il fallait faire attention à ce que le respirateur ne se débranche pas. Nous avons surveillé les patients sur un trajet qui a duré 5h40.
Ma principale crainte était de maintenir le patient stable. Je redoutais que l’un des patients ne fasse un arrêt cardio-respiratoire parce que nous n’avions pas les moyens humains ou en tout cas pratique, à cause des brancards trop élevés, pour procéder à un message cardiaque. C’est quelque chose qui m’a traversé l’esprit et tout le long du trajet.
Ce que je retiendrais de cette mission, c’est que quand il y a un évènement sanitaire d’une telle ampleur, nous nous rendons compte que toutes les équipes, peu importe d’où elles viennent, peu importe leur niveau, sont hyper soudées. J’ai trouvé qu’il y avait une super cohésion au sein des équipes : nous étions tous écoutés de la même façon. Nous étions tous à la même enseigne parce que l’on savait que nous étions tous dans le même bateau. Une grande solidarité. C’est une aventure humaine hors du commun qui confirme un réel engagement de soutien et de cohésion.

Sylvie Chestier, infirmière diplômée d’état

« Nous avons partagé des choses dont on n’a pas l’habitude. Cela a été très enrichissant. »

J’ai participé aux missions Chardon 2 sur Mulhouse et Chardon 6 sur Strasbourg. Si la prise en charge était la même sur les deux missions, l’organisation était différente.
Lors de la mission Chardon 2, première mission de Poitiers, parce que nous avons appris notre participation au dernier moment, nous avons dû préparer le matériel en urgence. Nous étions avec des équipes d’autres hôpitaux. A Paris, nous avons dû descendre tout le matériel qu’il a fallu recharger dans un camion. Celui-ci l’a transporté jusqu’à la gare de l’Est où nous nous sommes rendus en bus. A la gare de l’Est, nous avons vidé le camion et replacé le matériel dans le train. Entre la gare de l’Est et la gare de Mulhouse, nous avons installé le matériel durant tout le trajet. Il fallait que tout soit prêt à notre arrivée à Mulhouse. Le SAMU de Paris nous a été d’une grande aide. Nous avons pu travailler dans de bonnes conditions parce qu’il nous encadrait. A Mulhouse, nous avons été chaleureusement accueillis par le sous-préfet. Nous avons passé la nuit dans un hôtel. Nous avions rendez-vous le lendemain matin à 4h30. Je suis partie en ambulance à l’hôpital de Colmar pour récupérer un patient. Quarante minutes aller, quarante minutes retour. Dans le train, les brancards étaient mis sur des dossiers au niveau des appui-têtes. Les patients étaient installés en hauteur. Nous avons travaillé à bout de bras. La patiente que j’avais en charge, devait être en position demi-assise. Elle était intubée et ventilée mais il fallait la relever. Sa tête touchait le haut de la voiture. De plus, dans cet espace exigu, aucune perfusion ne passait puisqu’elles étaient à la même hauteur que le patient. Il a fallu que l’on fasse passer toutes nos perfusions à la seringue. La prise en charge était particulière et les personnes très instables. Mais tout s’est bien passé.
Nous portions des tenues qui tenaient chaud. On fait avec ; on ne se pose pas de questions. Lors des formations à l’habillage-déshabillage, nous nous disions que cela allait être compliqué. Mais une fois dedans, nous n’avons pas le choix.
Nous avons dû porter une attention toute particulière aux appareils parce que lors des voyages en train, il y a énormément de coupures de courant. Les appareils ont continué à fonctionner grâce aux batteries mais ils se mettent tous en alarme. Avec tout cela, je n’ai pas vu le temps passer.
Lors de la deuxième mission, le matériel était prêt. Le train que nous avons pris à la gare du Futuroscope était celui qui allait ramener les patients. Ce train était à destination de Strasbourg. Nous avons eu le temps d’installer le matériel. Les dossiers des fauteuils avaient été enlevés. L’organisation était différente de la précédente mission. Nous travaillions avec les SAMU de Bordeaux et de Nancy. Le patient que j’avais en charge a été amené au train par le SMUR de Colmar. Je l’ai pris en charge sur le quai de la gare. Ce patient allait jusqu’à Bordeaux. A Poitiers, une équipe est venue me remplacer auprès du patient et moi je suis allée prendre en charge un patient dans une ambulance. Les deux opérations étaient différentes mais il faut s’adapter.
Mon but était que le patient arrive à destination avec de bonnes constantes ; que son état ne s’aggrave pas. Depuis, je sais que les patients que j’ai accompagnés sont sortis de l’hôpital et qu’ils vont bien.
Lors des missions, il y avait quatre patients par voiture, trois infirmiers, un infirmier anesthésiste, un médecin urgentiste et un interne en anesthésie. C’était bien que l’on travaille tous ensemble, chacun avec des compétences différentes. Nous nous entraidions. Par exemple, lors des pauses que l’on devait prendre puisque le voyage durait près de cinq heures. Il ne fallait pas que l‘on fasse des malaises à cause notamment de la chaleur. Il fallait se déshabiller et se rhabiller. Il y avait à manger et à boire en haut. Lorsqu’un infirmier faisait une pause, ce sont les autres qui prenaient le relais auprès de son patient.
Ces missions constituent une expérience unique. Je n’avais jamais imaginé vivre une telle expérience, expérience que je n’oublierai jamais. Nous avons travaillé avec nos collègues infirmiers avec lesquels nous ne travaillons jamais. Nous avons partagé des moments dont on n’a pas l’habitude. Cela a été très enrichissant.

Sylvain Auriault, ambulancier

« Il y a eu une reconnaissance de notre travail ce qui était très flatteur. »

Je devais partir à l’étranger mais avec le confinement cela n’a pas pu se faire. J’ai donc prévenu ma cadre que, bien que je sois en vacances, je pouvais revenir s’il fallait faire revenir du personnel. Lorsque l’on m’a demandé si je voulais participer aux missions, j’ai dit oui tout de suite.
J’ai participé aux missions Chardon 6 vers Strasbourg et Chardon 10 vers Paris. Comme je travaillais lors de la première mission de Poitiers, j’ai pu voir comment cela se préparait. Lors de cette première mission, aucun ambulancier ne faisait partie du dispositif. Au retour, les médecins et les infirmiers ont fait remarquer la nécessité d’inclure des ambulanciers dans ces missions. Les équipes des autres hôpitaux présentes sur la mission comptaient des ambulanciers ou des logisticiens.
Pendant les trajets, je me trouvais dans la partie haute du train dite « zone propre ». Je faisais le lien entre la zone « sale » du bas où se faisait la prise en charge des patients et la zone propre. Cela évitait aux médecins et infirmiers d’avoir à se déshabiller lorsqu’ils avaient besoin de matériel se trouvant dans la zone propre.
Avant de partir, ma principale crainte était de ne rien oublier en matériel. A chaque mission, nous emportons davantage de matériel pour ne pas être pris à dépourvu. Pendant le trajet, la crainte est de pas contaminer le matériel stocké dans la partie haute après être descendu dans la partie basse. Il ne fallait surtout pas remonter le virus là-haut avec le matériel et les affaires personnelles des équipes médico-soignantes.
J’ai fait en sorte que le personnel médico-soignant monté dans la partie haute n’ait rien à faire. Je leur amenais à manger. Je les aidais à s’habiller. J’étais là pour les soulager : leur apporter de l’eau s’ils avaient soif. Nous avons aidé au mieux le personnel soignant pour les soulager le plus possible. Tout le monde avait son importance pour la réussite de ces missions.
Arrivés en gare, avec mon collègue, nous devions descendre tout ce qu’il y avait dans la partie haute et nettoyer matériel et affaires personnelles. Nous attendions que les patients soient descendus et nous descendions tous le matériel, soit trois grosses caisses. Il fallait que nous rendions la voiture nickel. Une fois le matériel déchargé, je repassais dans la partie basse du train pour m’assurer que rien n’était oublié.
Les deux missions étaient à peu près semblables. Je trouve qu’il y a eu une grande cohésion entre l’équipe médico-soignante et les ambulanciers. Ils ont vu qu’ils avaient besoin de nous. Nous avons été remercier par les médecins. Il y a une reconnaissance de notre travail ce qui était très flatteur.