Même si notre département a été moins touché par l’épidémie, le service de réanimation médicale du CHU de Poitiers s’est mobilisé pour faire face au virus. Le professeur Arnaud Thille, chef de médecine intensive réanimation, fait le point sur la réorganisation du service, sur la prise en charge particulière des patients atteints de covid-19 et surtout sur le lien maintenu avec les familles.
Comment le service de réanimation s’est-il organisé pour faire face à l’épidémie ?
Nous avons eu la chance de pouvoir nous préparer, contrairement aux hôpitaux du Grand-Est et de l’Ile-de-France. Nous avons dû, en premier lieu, dédier des unités exclusivement aux patients atteints de covid-19 afin de ne pas exposer les autres patients à une possible contamination. De plus, nous avons mis en place l’air en pression négative dans les chambres. En activité normale, les services de réanimation sont en pression positive, l’air sort de la pièce sans aucun risque de contamination pour le reste du service. Mais étant donné que le covid est très contagieux, il ne faut pas qu’il circule pour éviter par l’air la propagation du virus dans le service. En pression négative, l’air est aspiré ce qui nous permet de limiter la circulation du virus par l’air. Les patients de réanimation non covid sont pris en charge dans d’autres services de réanimation de l’hôpital.
Nous avons également augmenté notre capacité d’accueil en ouvrant et en équipant deux autres unités situées à l’étage en-dessous du service de réanimation. Donc, en plus des 15 lits de la réanimation médicale, ces deux unités de soins continus ont porté à 37 le nombre de patients pouvant être pris en charge en réanimation. Nous avons eu au maximum 32 patients dans nos unités.
La prise en charge des patients atteints de covid-19 étant bien plus lourde qu’une prise en charge habituelle, nous avons dû aussi renforcer le personnel du service. Les directives présidentielles qui ont conduit à déprogrammer toutes les opérations ont permis de redistribuer du personnel (infirmiers et aides-soignants) dans les unités covid. Cela était intéressant parce que ces infirmières venaient de partout : du centre d’explorations et thérapeutiques interventionnelles, de Châtellerault, de l’école d’infirmières.
Le personnel venu en renfort a-t-il dû suivre une formation particulière?
L’ensemble du personnel du service a été formé par l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) aux bons gestes notamment pour l’habillage et le déshabillage. L’EOH a fait un énorme travail qu’il faut mettre en avant. Elle a expliqué l’ensemble des mesures pour éviter la contamination. Elle a dû réexpliquer lorsque les mesures changeaient. Elle a été extrêmement présente.
Le personnel redéployé a, pour sa part, bénéficié d’une formation rapide pour se remettre à niveau en ce qui concerne la réanimation. Ensuite, le personnel s’est entraidé. Il était assez intéressant d’ailleurs de voir les infirmières plus expérimentées expliquer un certain nombre de choses à celles qui étaient moins aguerries.
Le service de réanimation du CHU est-il suffisamment équipé ?
Notre région a été épargnée ; nous n’avons eu que très peu de cas. Cela nous a permis de recevoir, par TGV médicalisé ou par avion, des patients des hôpitaux les plus touchés. Si nous avons pu les recevoir c’est parce que nous avions les moyens techniques et humains de les mettre dans des conditions de réanimation habituelle. La réanimation, c’est avant tout d’avoir une chambre bien équipée, un ventilateur haut de gamme, un médecin aguerri et des infirmières expérimentées. Dans les hôpitaux du Grand-Est et d’Ile-de-France, le personnel soignant n’était plus dans les conditions habituelles de réanimation.
Les transferts de patients par TGV ou avion sont des opérations très lourdes mais elles ont permis de remettre les patients dans des conditions de réanimations. Nous avons pu compter sur des locaux et des équipements adaptés ainsi que sur du personnel soignant en grand nombre. Mais, nous n’aurions pas pu prendre beaucoup plus de patients puisque nos stocks ne sont pas très importants.
Le personnel s’est-il proposé spontanément ?
Il y a eu quelques craintes et le personnel à risque a été écarté. Mais, à partir du moment où nous avons commencé à prendre en charge des patients atteints de covid-19, nous avons vu se mettre en place une solidarité très importante entre les équipes, les aides-soignants, les infirmières. Tout le monde ne se connaissait pas forcément.
Même si la région a été moins touchée par l’épidémie, comment avez-vous vécu l’arrivée des malades ?
Nous avons pu préparer leur arrivée. Nous les avons reçus par vagues assez importantes, jusqu’à neuf d’un coup. Tout le monde était mobilisé, les infirmières, les médecins. Nous avons pu nous mettre dans des conditions de pratiques habituelles de réanimation performante. Nous n’avons pas eu de difficultés particulières à prendre en charge ces patients.
La prise en charge des patients covid est-elle différente de la prise en charge d’autres pathologies ?
Chaque soin, chaque réglage, chaque examen, chaque geste nécessite une lourdeur très importante en termes de protection. Avant d’entrer dans les chambres, nous devons nous habiller avec la tenue de protection et l’enlever lorsque nous en sortons en prenant des mesures particulières. De plus, les patients sont en détresse respiratoire. Il est nécessaire pour une grande proportion d’entre eux d’être mis sur le ventre. Il s’agit là d’une technique qui améliore l’oxygénation et qui doit se pratiquer tous les jours chez les patients plus graves. Ce changement de position nécessite cinq personnes en même temps. C’est une prise en charge très lourde.
Quel lien les patients avaient-il avec leur famille ?
Dans le cadre de cette épidémie, les familles ne sont peu ou pas autorisées à rentrer dans les unités dédiées covid, ce qui va à l’encontre de notre politique de service habituel. En effet, en temps normal, nous permettons la visite des proches 24h/24. Nous nous sommes astreints à appeler tous les jours les familles, celles des patients transférés comme celles des patients de la Vienne, alors que ce sont elles qui appellent habituellement. Nous les appelions pour leur donner des nouvelles, les rassurer quand il le fallait. Nous avons constaté que les proches attendaient notre coup de fil avec beaucoup d’impatience. C’était assez touchant. Ils étaient vraiment reconnaissants. Les familles pouvaient, de leur côté, téléphoner à n’importe quelle heure. Il n’y a eu aucune difficulté particulière à ce niveau-là. Ce maintien des liens était très important.
Quel type de patients avez-vous accueilli ?
L’âge moyen de la réanimation national, c’est plutôt 65 ans. Nous avons eu des patients de 40 à 70 ans. Le plus grand nombre autour de 60 ans, très peu de patients au-dessus de 70 ans. Les patients étaient plutôt jeunes et ils avaient peu de facteurs de comorbidité.
En quoi consiste la prise en charge des patients covid au sein du service de réanimation ?
Nous ne donnons pas de traitement spécifique contre le virus parce qu’à l’heure actuelle, aucun n’a démontré son efficacité. Les patients atteints de covid-19 qui ont été pris en charge dans le service de réanimation souffrent du syndrome de détresse respiratoire aigüe. Il est important alors de protéger le poumon. Pour cela, plusieurs stratégies ont permis de diminuer le taux de mortalité parmi ces patients : des modalités de ventilation pour éviter d’avoir des pressions trop élevées ; le retournement des patients sur le ventre, etc. Ce sont les manœuvres symptomatiques les plus efficaces. Si au niveau étiologique, il n’y a pas de traitement spécifique contre le virus, nous pouvons par contre traiter un certain nombre de surinfections pulmonaires ou embolies pulmonaires dues à des complications de la maladie.
Le sortie du confinement est prévu pour à partir du 12 mai. Le craignez-vous ? Comment voyez-vous l’avenir ?
Je ne peux pas prédire ce qu’il va se passer. Il faut l’envisager. De toute façon, notre service se réorganise pour poursuivre son activité avec un certain nombre de patients covid. Ce nombre sera peut-être un peu plus important. La décision a été prise de déconfiner après le 11 mai, charge à nous de nous organiser de façon à prendre plus de patients covid si cela s’avérait nécessaire. Il ne faut pas oublier que maintenant, les Français connaissent les mesures barrières, la distanciation sociale, le port du masque. En ce qui concerne la réanimation, nous continuerons de faire ce l’on sait faire. Nous nous mettrons dans des conditions pour pouvoir recevoir régulièrement des suspicions ou des malades avérés du covid-19. Le plus difficile est de se préparer sans connaitre les proportions de patients covid qui imposent une organisation spéciale de notre service. Ce sera un peu délicat parce que jusqu’à présent nous avons pu l’anticiper.
Comment va le personnel du service de réanimation ?
Nous n’avons pas été dépassés par les évènements ; nous avons pu nous organiser. Tout a été bien préparé. Je pense que le personnel du CHU de Poitiers qui a travaillé dans le cadre de cette épidémie a été valorisé : ils se sont sentis utiles. Il s’agissait d’une charge de travail importante mais nouvelle. Je pense que malgré certaines craintes, le personnel est plutôt valorisé et épanoui dans ce qu’il fait. Je crois que c’est le sentiment général. Nous avons bien pris en charge nos patients. Nous avions les conditions pour faire de la réanimation performante et avec des gens qui ont travaillé tous ensemble. Nous ne sommes pas le reflet des zones qui ont été sévèrement touchées et donc je pense que le personnel a plutôt un sentiment positif.
La reconnaissance des français vis-vis du personnel soignant est-il un booster pour vous ?
Nous ne voyons pas beaucoup le public dans les rues mais nous recevons régulièrement des marques de reconnaissance des entreprises locales au travers de livraisons de repas, gâteaux et autres douceurs. Mais cette reconnaissance a mis notre spécialité en lumière. La réanimation, qui fait encore trop l’objet d’une méconnaissance, a été au centre des médias.
Qu’est-ce qui a bien fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné au sein du service de réanimation ?
Tout a bien fonctionné jusque-là. Nous avons eu le temps de tout préparer, d’anticiper. Ce qui se passera dans les mois qui viennent, je ne sais pas du tout. Nous serons mieux préparés mais, avec la réouverture des autres secteurs hospitaliers, aurons-nous assez de matériel et de personnel ?
Quelles leçons tirez-vous déjà de cette crise exceptionnelle ?
Nous n’étions pas préparés à une telle pandémie ni au niveau national ni dans un hôpital. Manque de matériel, manque d’équipements, etc. Nous avons une belle offre de réanimation à Poitiers ce qui nous permet de faire face à la situation actuelle. La leçon que nous devons en tirer c’est qu’il faut mieux nous préparer en prévision d’une prochaine épidémie parce forcément cela arrivera à nouveau. Il faut avoir des stocks et des gens formés.