Enregistrement des saccades oculaires : un marqueur du fonctionnement cérébral

Le Dr Solène Ansquer, neurologue au CHU de Poitiers, récupère et analyse les données fournies par le casque, repère des anomalies, ce qui permettra d’établir ou de consolider le diagnostic.

Le CHU de Poitiers vient de se doter d’un nouvel équipement d’analyse des saccades oculaires, l’Eye Brain T2 (Suricog). Révolutionnaire dans le domaine de la neurophysiologie clinique, c’est en effet un outil d’exploration du fonctionnement cérébral indispensable en neurologie pour l’aide au diagnostic étiologique des syndromes parkinsoniens, des ataxies cérébelleuses, des troubles cognitifs ou encore pour préciser les troubles oculomoteurs et cognitifs de la sclérose en plaques. Egalement développé pour l’évaluation de la lecture chez l’enfant, il apparaît comme une aide précieuse à la rééducation orthophonique et orthoptique dans la dyslexie.

En se dotant, en septembre dernier, de l’Eye Brain T2 (Suricog), appareil d’enregistrement des saccades oculaires, le service neurophysiologie du CHU de Poitiers peut dorénavant apporter une aide au diagnostic des pathologies neurologiques et des troubles de l’apprentissage. En raison d’une bonne corrélation anatomo-clinique, il est possible de préciser les régions cérébrales qui dysfonctionnent à partir des anomalies observées lors du bilan oculomoteur (épreuves de saccades verticales et horizontales, épreuve d’anti-saccades, poursuite oculaire lente verticale et horizontale).

Un outil diagnostic des pathologies neurologiques
L’enregistrement des saccades oculaires constitue un complément d’exploration dans le bilan étiologique des syndromes parkinsoniens et des troubles cognitifs. « Dans le cadre du centre expert Parkinson de Poitiers, nous sommes fréquemment sollicités par les neurologues libéraux ou des centres hospitaliers régionaux pour avis diagnostic dans le cadre de syndromes parkinsoniens dits atypiques qui, à la différence de la maladie de Parkinson idiopathique, ne répondent pas favorablement aux traitements dopaminergiques. Établir le diagnostic de ces pathologies neurodégénératives permet d’aider le patient et son entourage à mieux appréhender la maladie, de faciliter la prise en charge et le suivi des patients », explique le docteur Solène Ansquer, neurologue. Cet outil d’aide au diagnostic doit ainsi permettre d’améliorer l’homogénéité des groupes de patients et de monitorer l’effet de diverses stratégies thérapeutiques.

Parmi les autres applications de l’Eye Brain T2 en neurologie, le dépistage de syndromes cérébelleux a minima et l’orientation étiologique des syndromes cérébelleux d’origine génétique. « En fonction du type d’ataxie spinocérébelleuse, les anomalies des saccades oculaires peuvent différer. Cet examen peut ainsi permettre d’orienter la recherche génétique : par exemple, les saccades sont hypermétriques chez les patients atteints d’ataxie spinocérébelleuse de type 1 (chromosome 6) et hypométriques (réduites en amplitude) chez les patients atteints d’ataxie spinocérébelleuse de type 3 et 6 (chromosomes 14 et 19). Dans SCA 3, les anomalies de la fixation sont au premier plan et sont associées à un nystagmus positionnel alors que la principale caractéristique de SCA 6 est l’existence d’un nystagmus vertical battant vers le bas. » Dans la sclérose en plaques, l’enregistrement des saccades oculaires peut permettre de préciser les troubles oculomoteurs fréquemment rencontrés dans cette affection, tels que l’ophtalmoplégie internucléaire, mais aussi de suivre précisément et quantitativement la progression de la maladie. « Le bilan oculomoteur chez les patients atteints de sclérose en plaques peut permettre de suivre l’évolution de la maladie sous traitement de fond. Sur le plan cognitif, le pourcentage d’erreurs lors de l’épreuve des anti-saccades, index de défaut de contrôle inhibiteur, est corrélé aux scores obtenus dans les tests neuropsychologiques classiquement utilisés dans la SEP. »

Un outil d’évaluation des troubles de l’apprentissage
Dans les troubles de l’apprentissage, le bilan oculomoteur obtenu à partir d’une tâche de lecture de texte et de recherche de lettre, permet de quantifier le niveau de lecture de l’enfant, son exploration du texte ainsi que le comportement visuel et en particulier la coordination binoculaire.

Le praticien analyse le nombre de saccades progressives et régressives, l’amplitude de ces saccades et la durée moyenne de fixation pendant une tâche de lecture de texte et lors d’une tâche de recherche visuelle. Ces paramètres permettent d’évaluer le niveau d’automatisation de la lecture. L’analyse de la coordination des deux yeux lors des saccades oculaires et des épreuves de poursuite permet de dépister une dysconjugaison binoculaire, observée notamment dans la dyslexie.

Ce bilan oculomoteur en situation dynamique de lecture et recherche visuelle doit permettre d’orienter la rééducation de ces troubles spécifiques de l’apprentissage.

Recherche clinique sur l’impulsivité motrice
Le docteur Solène Ansquer consacre ses travaux de recherche à l’impulsivité, un trait qui détermine la sévérité de nombreuses pathologies neuro-psychiatriques. Ses premiers travaux de recherche, menés chez le petit animal, ont permis de démontrer que le défaut de contrôle inhibiteur est associé à une plus grande vulnérabilité à développer des comportements compulsifs. De plus, la modulation du système noradrénergique par l’Atomoxetine permet une réduction de l’état impulsif et prévient le développement de ces comportements mal adaptés. Chez les patients, l’enregistrement du pourcentage d’erreurs lors de l’épreuve des antisaccades constitue un marqueur objectif du défaut d’inhibition, un des aspects de l’impulsivité. « En complément des tests neuropsychologiques, cet outil d’exploration neurophysiologique sera utile à nos travaux de recherche clinique sur le syndrome de Gilles de la Tourette, pour tester l’efficacité de certains traitements sur l’impulsivité motrice. »

Grâce à une application recherche mise à disposition par Suricog, il est aussi possible de créer de nouvelles tâches d’évaluation de l’impulsivité et de la sensibilité à la récompense, ouvrant de nouvelles perspectives de recherches cliniques dans les troubles du contrôle des impulsions sous agonistes dopaminergiques, dans la maladie de Parkinson, ou le syndrome des jambes sans repos.

Un examen simple, rapide (20 minutes) et non invasif

L’Eye Brain T2 comprend un casque muni d’une caméra de 300 hertz qui détecte les mouvements de la tête et des yeux lorsque le patient suit du regard une cible lumineuse apparaissant sur un écran placé à 60 cm. « Le patient doit pouvoir tenir assis vingt minutes, être coopérant, vigilant, apte à comprendre les différentes consignes et avoir une acuité visuelle suffisante. » Sans bouger la tête, il est demandé au patient de fixer la cible lumineuse qui apparaît à droite à gauche pour les saccades horizontales et en haut en bas pour les saccades verticales. Lors d’une épreuve d’anti-saccades, il est demandé au patient d’inhiber une saccade reflexe et de regarder dans le sens opposé de la cible.

Le praticien analyse les données enregistrées sur un second écran : la latence d’initiation des saccades oculaires, leur vitesse d’exécution, leur amplitude par rapport à celle de la cible, les anomalies de la fixation oculaire (ondes carrées, nystagmus) ou encore le pourcentage d’erreurs lors de l’épreuve des anti-saccades (score frontal).