Les résultats de l’étude menée par le Pr Rémi Coudroy, réanimateur au sein du service de médecine intensive et réanimation du CHU de Poitiers, ont été publiés le 22 mars dernier dans la prestigieuse revue The Lancet Respiratory Medicine. Ils portent sur la prise en charge respiratoire des patients immunodéprimés en réanimation.
Immunodéprimés : des patients fragilisés
Le système immunitaire a pour mission de défendre le corps contre les agressions extérieures. Dans certaines situations, comme les cancers ou sous l’influence de traitements comme les corticoïdes, le système immunitaire est affaibli. Ces situations définissent l’immunodépression et exposent les patients à un risque accru d’infections.
Les patients immunodéprimés représentent 15 à 25% des admissions en réanimation. L’insuffisance respiratoire aiguë est le motif le plus fréquent d’admission en réanimation des patients immunodéprimés. Lorsqu’ils sont intubés, plus de la moitié des patients immunodéprimés meurent en réanimation.
L’étude du Pr Rémi Coudroy a pour objectif de diminuer la mortalité des patients immunodéprimés admis en réanimation pour une insuffisance respiratoire aiguë en réduisant le recours à l’intubation.
Insuffisance respiratoire aiguë : plusieurs traitements
L’insuffisance respiratoire aiguë est caractérisée par une inefficacité du système respiratoire à assurer les échanges gazeux et se manifeste par une augmentation du travail respiratoire.
La prise en charge des patients a alors deux objectifs : corriger les échanges gazeux et diminuer le travail respiratoire des patients. Pour cela, plusieurs traitements sont possibles afin d’éviter l’intubation.
Historiquement, l’oxygénothérapie standard a été le premier traitement mis au point et a été le traitement de référence tout au long du XXe siècle. Toutefois, ses capacités d’oxygénation sont limitées et elle ne permet pas de diminuer le travail respiratoire. Deux autres dispositifs ont alors été développés : la ventilation non invasive (VNI) et l’oxygénothérapie nasale à haut débit (OHD). Le premier est constitué d’un masque qui recouvre de manière hermétique le nez et la bouche et qui délivre une pression positive dans les poumons. Le second est constitué de canules nasales qui délivrent un mélange de gaz (air et oxygène) humidifié et réchauffé à un débit élevé. Ces deux traitements diminuent le travail respiratoire et améliorent les échanges gazeux, en comparaison avec l’oxygénothérapie conventionnelle.
Lorsque ces dispositifs ne suffisent plus, le patient doit être intubé et placé sous ventilation mécanique invasive. Ce dispositif expose le patient à davantage de complications, notamment infectieuses et circulatoires, et est associé à une lourde mortalité. Ces risques sont d’autant plus élevés chez les patients immunodéprimés. Il est donc primordial d’éviter l’intubation à ces patients, en optimisant les autres options de traitement.
Comparaison des traitements pour améliorer la prise en charge
Au début des années 2000, deux études ont rapporté une diminution de la mortalité chez les patients immunodéprimés traités par VNI, en comparaison avec l’oxygénothérapie standard. Depuis, la VNI est recommandée dans cette indication.
En 2015, l’étude FLORALI, menée par le Pr Jean-Pierre Frat du service de médecine intensive et réanimation du CHU de Poitiers, a montré une diminution de la mortalité chez les patients traités par OHD en comparaison à l’oxygénothérapie et à la VNI. Cette étude a permis de mettre en évidence les effets prometteurs de l’OHD, mais a aussi permis de suspecter l’aggravation des lésions pulmonaires induites par la VNI.
En effet, si l’OHD et la VNI permettent de corriger les échanges gazeux et de diminuer le travail respiratoire, la pression positive exercée par la VNI sur les poumons, associées aux efforts respiratoires des patients, pourrait aggraver l’inflammation dans les poumons en étirant de manière excessive les alvéoles pulmonaires. Cet effet délétère pourrait être plus prononcé chez les patients immunodéprimés.
Cependant, les partisans de la VNI ont critiqué les résultats de l’étude FLORALI en raison de la faible durée de VNI réalisée. Le Pr Coudroy a donc mené une étude comparant l’OHD à la VNI réalisée de manière plus intensive, avec un grand nombre de patients immunodéprimés. Son étude prospective randomisée de grande ampleur a été déployée dans 29 centres en France et en Italie, et a inclus 299 patients immunodéprimés admis en réanimation pour une insuffisance respiratoire aiguë traités par OHD ou VNI.
Les résultats de l’étude montrent que le taux de mortalité n’était pas différent entre les 2 groupes de traitement, ce qui confirme donc fait que la VNI présente peu d’intérêt en tant que traitement de première intention chez les patients immunodéprimés présentant une insuffisance respiratoire aiguë, par rapport à l’OHD. « Ces résultats vont très probablement avoir un impact rapide sur les prises en charge respiratoires en réanimation », précise le Pr Coudroy. En effet, même si « tout n’est pas à jeter dans la VNI », elle reste plus inconfortable que l’OHD et moins bien tolérée par les patients. De plus, elle demande davantage de temps médical et de temps soignant et ses réglages sont plus compliqués que ceux de l’OHD, sans compter les potentielles lésions provoquées par l’étirement excessif des alvéoles pulmonaires.
Le Pr Rémi Coudroy ne compte pas s’arrêter là. Grâce aux données recueillies lors de son étude, il souhaite détailler les résultats obtenus, afin d’identifier les facteurs d’échecs et de succès de la prise en charge. « L’objectif, c’est de mieux personnaliser les traitements et de choisir le traitement le plus adapté pour chaque patient », souligne-t-il.
Le Pr Rémi Coudroy est soutenu dans ses recherches par le centre d’investigation clinique du CHU de Poitiers, au sein de l’axe de recherche ALIVE & Sleep (Acute Lung Injury, VEntilatory and Sleep). Cet axe de recherche conduit des études physiologiques et cliniques centrées sur l’insuffisance respiratoire aiguë : depuis les techniques visant à éviter l’intubation, au sevrage de la ventilation mécanique invasive, en passant par l’optimisation des réglages de la ventilation mécanique, ainsi que sur l’impact de la qualité du sommeil sur la fonction respiratoire chez les volontaires sains et chez les patients de réanimation. En savoir plus |