Regard médical : Camille Evrard, oncologue

Camille Evrard

Originaire de Reims, Camille Evrard a intégré le CHU de Poitiers en 2012. Elle a été nommée maître de conférences universitaire – praticien hospitalier en septembre 2023.

Quel a été votre parcours ?

Je suis arrivée en 2012 au CHU de Poitiers pour faire mon internat. Durant les cinq années de parcours classique, je suis passée dans différentes spécialités : oncologie, radiothérapie, hématologie. J’ai effectué des stages dans les hôpitaux périphériques de Thouars (79) et de Saintes (17). C’était intense, mais très intéressant. En 2017, j’ai soutenu ma thèse de médecine qui portait déjà sur les cancers du pancréas. Le travail de recherche autour de ma thèse m’ayant énormément plu, j’ai poursuivi mes recherches dans cette thématique durant mes deux années de clinicat sous la coordination de mes directeurs de thèse : le Pr Lucie Karayan, chef du service de cancérologie biologique, et le Pr David Tougeron, gastroentérologue spécialisé dans les cancers digestifs. Puis, j’ai poursuivi avec un master 2 de recherche. J’ai obtenu un poste de praticien hospitalier contractuel en 2019. J’ai choisi de m’orienter vers une carrière universitaire dans le cadre de laquelle j’ai réalisé une thèse de sciences soutenue en décembre 2022. J’ai été nommée maître de conférences des universités en septembre 2023.

Vous avez choisi le CHU de Poitiers pour faire votre internat. Pourquoi ?

Je voulais à tout prix faire de l’oncologie, mais mon classement à l’Examen classant national était tout juste… J’avais postulé en oncologie auprès des hôpitaux des départements d’outre-mer. Finalement, j’ai pu accéder au poste au CHU de Poitiers au dernier moment. Je ne regrette pas, bien au contraire. Je pense que l’internat dépend en partie de ce que l’on en fait. À partir du moment où l’on est très motivé, il se passe de belles choses.

Pourquoi avez-vous choisi l’oncologie ?

Je trouve que l’oncologie est une spécialité très complète avec tout un côté empathie, social, famille et bonne connaissance des malades, et de l’autre côté, des traitements très innovants, et pointus et des technologies avancées. C’est également une discipline sans cesse en mouvement où il se passe toujours de nouvelles choses.

Sur quoi portent vos recherches ?

Je me suis spécialisée dans le cancer du pancréas avec ce qui s’appelle l’ADN circulant tumoral. Pour expliquer cela simplement, les tumeurs larguent des petits morceaux d’ADN dans le sang des patients. En procédant à des prélèvements sanguins, qui sont des actes simples et peu invasifs, nous essayons d’attraper cet ADN afin de le caractériser et de le quantifier. Nous pouvons analyser sa quantité sous l’effet d’un traitement ou voir comment il évolue après une chirurgie. Cela ouvre des perspectives, mais ce n’est pas encore une procédure que nous utilisons en routine même s’il y a beaucoup d’études en cours sur ce sujet. Nous recherchons également comment utiliser l’ADN circulant tumoral pour détecter un cancer de façon précoce.

Pourquoi avez-vous voulu faire de la recherche ?

Je dis souvent que c’est parce que je suis tombée sur les bonnes personnes au bon moment. Là, en l’occurrence, il s’agit du Pr Lucie Karayan et du Pr David Tougeron. Ce dernier est mon mentor maintenant depuis dix ans. Il m’aide localement pour la recherche, mais aussi pour me permettre d’intégrer des groupes de spécialistes nationaux et internationaux afin de me faire connaitre dans les groupes de discussion. Il est un encadrant plutôt exigeant, mais il s’agit d’une qualité essentielle dans la recherche.

Ce qui me plaît dans la recherche dite translationnelle, c’est de prendre le sujet du début à la fin. Dans le cadre de ma thèse de médecine par exemple, j’étais présente durant tout le processus. Je voyais les patients en consultation pour leur expliquer l’étude et obtenir leur consentement. J’étais présente durant leur chimiothérapie, auprès de l’infirmière qui procédait au prélèvement sanguin. J’amenais moi-même les tubes au laboratoire et les traitais avec les ingénieurs et les techniciens du laboratoire de cancérologie biologique. Je ne me contente pas juste d’avoir les résultats ; je connais les malades prélevés.

Actuellement, j’ai un emploi du temps très varié, avec des activités médicales, de recherche et d’enseignement. C’est ce qui, pour moi, fait l’attractivité d’une carrière universitaire. Je n’aurais pas apprécié de ne faire que de la recherche. J’aime aussi voir les patients, travailler en équipe avec les infirmiers et les aides-soignants et encadrer les étudiants.

Vous avez obtenu plusieurs financements pour vos recherches ces dernières années ?

Il y a deux ans, j’ai obtenu le financement CORC Nouvelle-Aquitaine. Cette année, la Ligue contre le cancer du département de la Vienne a financé certains de mes travaux de recherche locaux. Et en 2024 encore, l’association Sport et collection a inclus mon projet parmi les projets soutenus par les fonds récoltés lors de la 30e édition des 500 Ferrari contre le cancer. C’est très valorisant puisque cela montre que nos recherches ont de l’intérêt. Sans financement, faire de la recherche serait compliquée, voire impossible.

La recherche en cancers digestifs au CHU de Poitiers fait preuve d’un grand dynamisme. Pourquoi ?

Être dynamique toute seule dans un service, c’est très compliqué sur le long terme. Heureusement, nous sommes plusieurs universitaires à dynamiser la recherche dans le domaine des cancers digestifs. Il y a, tout d’abord, le Pr David Tougeron qui est l’élément moteur, puis le Dr Violaine Randrian, gastroentérologue, et moi-même. Ce dynamisme se retrouve dans le service d’oncologie médicale avec, comme universitaires, le Pr Nicolas Isambert, chef du service, et le Dr Sheik Emambux qui a soutenu sa thèse de sciences en décembre 2023. Le Dr Matthieu Bainaud qui prépare sa thèse de sciences pour l’année 2025, est déjà très actif sur le plan recherche et encadrement.

Avec le Dr Matthieu Bainaud, vous avez développé un temps d’échange sur la recherche pour les internes. Pourquoi ?

Il s’agit de montrer aux internes ce qu’est la recherche. Chaque semestre, ils doivent travailler sur un petit projet de recherche. Le but est de leur apprendre à poser une question pertinente, à faire un recueil de données, à faire des analyses statistiques, à écrire un résumé et à présenter les résultats à l’oral. Pour cela, nous avons mis en œuvre, avec le Dr Matthieu Bainaud, les « soirées de l’Aprédo », du nom de l’association du Pr Nicolas Isambert. Les internes y présentent leurs recherches devant le personnel du service : des médecins, des infirmières, des aides-soignantes, des secrétaires, mais aussi le personnel des autres services avec lesquels nous collaborons régulièrement (gériatre, radiothérapeute, soins palliatifs, etc). Cela permet à l’ensemble des professionnels du service de connaitre les recherches menées et de créer de la cohésion entre les équipes. La première édition a connu un vrai succès. Elle a même créé une certaine émulation entre les internes autour de leur « projet semestriel ». La prochaine édition aura lieu en octobre 2024. Nous essayons de faire grossir cet évènement en invitant des professionnels d’autres établissements, notamment pour la 2ème édition, le Pr Elise Deluche, oncologue du CHU de Limoges et son équipe.

Qu’en est-il de vos enseignements ?

J’ai commencé à enseigner en 2017, durant mon clinicat. J’apprécie la diversité des publics auxquels j’enseigne. Des étudiants de médecine et de pharmacie, externes et internes, tout d’abord. Des enseignements dispensés aussi bien à la faculté qu’au sein du service. J’enseigne également aux étudiants de l’institut de formation en soins infirmiers ainsi qu’aux étudiants de sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS).

Vous partez bientôt en mobilité. Où allez-vous ?

Je pars en Suède fin octobre 2024 au Karolinska Institutet pour une durée d’un an. Il s’agit d’un laboratoire basé à Stockolm qui travaille essentiellement sur les cancers du pancréas. Je suis très enthousiaste pour ce projet. À nouveau, les choses se sont faites sur un de coup de chance. J’ai croisé la bonne personne au bon moment. Il s’agissait de l’un des rapporteurs de ma thèse qui m’a parlé du Karolinska Institutet et qui m’a mis en contact avec eux.

Comment est-ce de travailler dans un établissement comme le CHU de Poitiers ?

J’aime travailler au CHU de Poitiers parce que nous pratiquons au sein d’une structure digne de ce nom qui va s’agrandir avec l’extension du pôle régional de cancérologie. Nous bénéficions de moyens, d’équipements innovants et d’un plateau de biologie moléculaire indispensable pour les travaux de recherche. Nous pouvons avoir accès à des techniques intéressantes pour nos patients comme la stéréotaxie en radiothérapie. De plus, Poitiers est une ville qui me convient parce que je n’aime pas les grandes villes. La qualité de vie y est bonne. J’habite à douze minutes du CHU de Poitiers, à la campagne et au calme !