Regard médical : Dr Justine Dautremer, docteur en médecine interne

Dr Justine Dautremer

Responsable du centre de compétences de la drépanocytose du CHU de Poitiers, le Dr Justine Dautremer présente les spécificités de cette maladie rare et de sa prise en charge au CHU de Poitiers.

Qui êtes-vous ?

J’ai fait mon internat et le début de mon cursus professionnel en Ile-de-France et notamment au CHU Henri Mondor à Créteil où j’ai exercé pendant quatre ans, au centre national de référence des maladies génétiques du globule rouge. J’y ai acquis une expertise sur ces maladies et notamment la drépanocytose, que j’entretiens depuis huit ans au sein du service de médecine interne du CHU de Poitiers.

Qu’est-ce que la drépanocytose ?

La drépanocytose est une maladie génétique du sang et la « maladie rare » la plus fréquente en France. Elle est provoquée par la présence d’une hémoglobine anormale qui entraine la déformation des globules rouges essentiels au transport de l’oxygène vers l’ensemble des organes du corps. Appelée également anémie falciforme, la drépanocytose provoque dès la naissance des douleurs osseuses, une anémie chronique et des complications d’organes qui altèrent leur fonctionnement. Elle touche surtout des populations d’origine africaine ou des DOM-TOM.

Comment la maladie est-elle diagnostiquée ?

Par une électrophorèse d’hémoglobine, test sanguin simple. En France, la majorité des diagnostics sont réalisés à la naissance grâce au test de Guthrie. Le dépistage néonatal était jusqu’alors réservé aux enfants nés de couples dits « à risques » de par leurs origines, mais la Haute Autorité de santé a récemment préconisé que le dépistage soit réalisé sur tous les nouveau-nés, préconisation qui doit normalement être mise en œuvre en 2024.

Quels sont les traitements ?

Il y a d’abord les traitements curatifs des complications aigües, notamment les crises douloureuses osseuses, qui sont la manifestation la plus fréquente et la plus pénible de la drépanocytose, et qui peuvent être dangereuses. Ces traitements sont à base d’antalgiques et de différentes mesures générales (hydratation, oxygénothérapie, etc). Puis il y a les traitements préventifs de ces crises et des autres complications d’organe, dont le principal est l’hydroxycarbamide (Siklos) qui est le premier à avoir montré son efficacité sur la prévention des crises douloureuses. Il s’agit de comprimés à prendre tous les jours qui donnent de très bons résultats, mais qui ont comme effet secondaire, chez les hommes, une diminution de la fertilité. D’autres traitements préventifs sont associés : vaccination, éducation thérapeutique du patient, néphrotection  etc. Enfin, il y a les traitements curatifs de la maladie. Le premier est l’allogreffe de moelle osseuse intrafamiliale, qui concernera seulement une minorité de patients malheureusement, par manque de donneurs compatibles, et qui, pour le moment, nécessite d’adresser nos patients candidats en Ile-de-France. Face à l’augmentation constante de notre cohorte de patients, nous aimerions pouvoir proposer les greffes de moelle au CHU de Poitiers dans les années à venir, en tous cas pour les patients adultes. L’autre traitement curatif est la thérapie génique, traitement dont le premier cas a été publié par des Français en 2017, et pour laquelle la recherche progresse extrêmement vite. L’autorisation en décembre 2023 par l’Agence européenne du médicament et la Food and Drug Administration américaine d’un vecteur issu de la technologie Cripsr-Cas9 est porteuse de beaucoup d’espoirs.

Quel type de prise en charge proposez-vous ?

Les enfants sont suivis dans le service de pédiatrie par le Dr Tackwa Khalifeh, médecin pédiatre, qui reçoit tous les résultats de diagnostics néonataux positifs de la région. Elle reçoit  alors les familles afin de mettre en place, dès les premiers mois de l’enfant, la prise en charge préventive et curative. En médecine interne, avec le Dr Alain Ramassamy, nous prenons en charge les patients adultes, soit en relais de la pédiatrie, soit directement des patients adultes venant d’arriver en France. Nous faisons l’état des lieux de leur maladie, et beaucoup présentent déjà des complications chroniques. Nous leur faisons passer différents examens pour évaluer leur état rénal, neurologique, ophtalmologique, cardiologique, orthopédique hépatologique, etc. Lorsque le bilan est établi, nous définissons les priorités du traitement. Nous voyons nos patients en consultation en moyenne tous les trois mois et une fois par an en hôpital de jour. Nous sommes là pour soigner nos patients, mais aussi pour les accompagner dans les conséquences de de la maladie sur leur vie quotidienne. La drépanocytose impacte le moral, la vie familiale et sociale, la vie étudiante et professionnelle, et une détresse psychologique peut aggraver la maladie. A cela s’ajoute souvent pour les patients migrants arrivés récemment, des problématiques d’ordre social. Nous devons donc leur proposer un accompagnement global, à la fois médical, psychologique et social. Nous travaillons en relation avec les médecins scolaires et les médecins du travail, avec les assistantes sociales et la maison départementale des personnes handicapées. Notre prise en charge va bien au-delà des murs de l’hôpital.

Avec quels services travaillez-vous ?

Du fait que ce soit une maladie multi-systémique, nous travaillons avec la majorité des spécialités de l’hôpital, mais les urgences, la réanimation adulte et pédiatrique et l’établissement français du sang sont en première ligne. Nous essayons d’avoir au moins un référent dans chaque spécialité. Informer nos collègues sur la drépanocytose fait également partie de nos missions en tant que centre de compétences. C’est un éternel recommencement parce que les médecins et les personnels paramédicaux changent souvent en CHU. Nous essayons de sensibiliser les internes, les jeunes médecins, les infirmiers et les aides-soignants en assurant des cours réguliers, mais il reste encore beaucoup de progrès à faire parce que c’est une pathologie méconnue et qui peut faire peur. Nous devons communiquer dessus auprès du plus grand nombre et former des professionnels pour qu’ils puissent prendre en charge les patients qui sont de plus en plus nombreux.