Après un parcours académique suivi en grande partie à Poitiers, Estelle Perraud-Cateau est, depuis le 1er mars 2021, chef du service de parasitologie-mycologie et, depuis le 1er septembre dernier, professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) . Elle parle avec passion de sa spécialité.
Quel a été votre parcours professionnel ?
Je me suis engagée dans des études de pharmacie à l’université de Poitiers, avec des perspectives plutôt tournées vers la recherche. J’ai découvert la parasitologie durant ma troisième année d’études et je n’ai finalement plus quitté cette discipline qui m’a dès lors passionnée. J’ai rencontré le Pr Marie-Hélène Rodier, alors chef du service de parasitologie-mycologie, au détour des enseignements de master 1. Elle a joué un rôle clé dans mon parcours. Je suis ensuite arrivée dans son laboratoire en 2003 sur un poste de faisant fonction d’interne. J’ai ainsi pu m’essayer à la parasitologie pendant six mois avant même de commencer mon internat, au cours duquel j’ai réalisé mon Master 2 recherche et initié mes travaux de doctorat d’université. A la fin de mon internat en 2007, il m’a été proposé un poste d’assistante hospitalo-universitaire (AHU). J’ai soutenu mon doctorat d’université en 2009, puis après trois années d’AHU j’ai été nommée maître de conférences des universités-praticien hospitalier (MCU-PH) en parasitologie-mycologie. Je ne pensais pas que ma carrière se déroulerait à Poitiers initialement, mais les portes se sont toujours ouvertes au moment opportun. J’ai effectué une mobilité hospitalo-universitaire à Tours, au sein de l’équipe INSERM CEPR (Centre d’études des pathologies respiratoires), répartie entre les années 2018 et 2020, au cours de laquelle, sur la base du concept One Health, nous nous sommes intéressés à l’aspergillose aviaire dans la colonie de manchots de Humbolt du ZooParc de Beauval. A mon retour, fin 2020, j’ai soutenu mon habilitation à diriger des recherches, me permettant d’accéder au grade de PU-PH cette année. Notre discipline est attractive puisque nous accueillons deux à trois internes et encadrons plusieurs thèses et mémoires de DES, chaque semestre. Ce n’est pas le cas dans tous les CHU. Au-delà du savoir que nous leur transmettons, je pense pouvoir dire que l’accueil qui leur est réservé est aussi notre marque de fabrique. Comme je l’ai souligné, notre équipe est petite mais j’ai la chance, grâce aux qualités de mes collaborateurs, à notre complémentarité mais aussi à nos valeurs communes, qu’elle fonctionne parfaitement. C’est une grande satisfaction.
Qu’est-ce qui vous plaît dans la parasitologie-mycologie ?
J’ai toujours été passionnée par la parasitologie-mycologie, c’est une discipline très vaste qui s’étend du paludisme pour la parasitose tropicale la plus connue, aux mycoses exotiques comme l’histoplasmose ou les chromomycoses, en passant bien entendu par des pathologies plus « autochtones » comme la toxoplasmose, les pédiculoses, la gale ou encore les candidoses et l’aspergillose. La parasitologie s’intéresse à des micro-organismes dont la morphologie est très variée et qui sont suffisamment développés pour s’adapter et échapper au système immunitaire de leur hôte. Les mouvements de population et les évolutions climatiques nous permettent de croiser, même à Poitiers, les parasites les plus « exotiques ». C’est une spécialité très visuelle. Pour la mycologie également, certaines pathologies impliquent des champignons exotiques. Bien entendu, la mycologie médicale a pris depuis quelques dizaines d’années, une plus large place dans notre activité diagnostique, du fait des facteurs d’immunodépression auxquels sont soumis les patients. La diversité entre ces deux spécialités nous oblige à maintenir nos compétences et notre expertise dans les deux domaines. Au sein de la microbiologie, nous avons récemment fait de gros efforts pour mutualiser nos moyens, mais la parasitologie repose toujours sur des techniques très manuelles, chronophages et imposant beaucoup de microscopie. Néanmoins, il est important pour un centre hospitalier universitaire de maintenir les spécificités propres à chaque discipline afin de maintenir l’expertise dans notre domaine. Au-delà du CHU, nous mettons notre expertise, notamment en mycologie mais aussi concernant la toxoplasmose ou certaines parasitoses plus rares, au service de nos collègues biologistes des centres hospitaliers de la région, nous positionnant comme référents locaux dans la discipline.
Sur quoi portent vos recherches ?
Je suis rattachée au laboratoire Écologie et biologie des interactions (UMR CNRS 7267) de l’université de Poitiers dirigé par le Pr Jean-Marc Berjeaud et plus particulièrement à l’équipe MHE (Micro-organismes – Hôtes – Environnements). Mes travaux de recherches sont plutôt orientés vers la mycologie. Mon doctorat d’université portait sur la maîtrise des biofilms de Candida albicans, notamment ceux se développant sur les dispositifs médicaux implantés tels que les cathéters, sous la direction du Pr Christine Imbert. Puis guidée par le Pr Marie-Hélène Rodier, je me suis intéressée aux interactions entre les amibes libres et les champignons retrouvés tous deux en milieu aqueux.
L’Homme est régulièrement exposé à certaines molécules reconnues comme perturbateurs endocriniens dont les parabènes, utilisées comme conservateurs dans les produits d’hygiène et cosmétiques. Depuis deux ans, je me suis tournée vers l’étude in vitro de l’impact que les parabènes peuvent avoir sur des levures commensales de la peau (mycobiote cutané). En effet, nous avons mis en évidence une inhibition sélective sur certaines levures de ce mycobiote, qui pourrait être à l’origine d’un déséquilibre de la flore cutanée, aussi appelée dysbiose, dorénavant reconnue comme associée à certaines pathologies dermatologiques. Enfin, pendant ma mobilité hospitalo-universitaire, j’ai contribué à des travaux de recherche plus appliqués principalement axés sur les infections pulmonaires. Consécutivement à l’observation de cas groupés de pneumocystoses, infections fongiques pulmonaires, dans un service clinique du CHRU de Tours, j’ai procédé à l’identification des génotypes en cause par séquençage MLST (MultiLocus Sequencing Typing), pour définir l’origine nosocomiale ou non de la contamination.
Par ailleurs, je me suis intéressée à une seconde infection fongique : l’aspergillose pulmonaire qui n’est pas une pathologie strictement humaine, et touche avec une incidence élevée les oiseaux vivant en captivité et en contact très étroit. Ainsi, en collaboration avec les vétérinaires du ZooParc de Beauval, nous avons investigué d’une part la contamination fongique environnementale des nids et d’autre part, les souches cliniques impliquées dans l’aspergillose pulmonaire qui touche leur colonie de manchots de Humboldt, tant sur le versant de l’identification moléculaire des souches que sur l’étude de leur sensibilité aux antifongiques azolés. Cette étude s’inscrit dans le concept « One Health » qui vise à faire le lien entre la médecine humaine et vétérinaire et l’écologie. Elle vient de faire l’objet d’une publication dans une revue reconnue en mycologie, Medical Mycology.