Arrivée le 1er septembre 2022, le Pr Nathalie Nasr a intégré le service de neurologie du CHU Poitiers. Cette neurologue vasculaire qui arrive du CHU de Toulouse explique pourquoi elle a choisi d’intégrer le CHU de Poitiers.
Que faisiez-vous au CHU de Toulouse ?
Je dirigeais la clinique des accidents ischémiques transitoires et des AVC mineurs et le laboratoire d’hémodynamique cérébrale et de neurosonologie (exploration cérébrale par les ultrasons), à côté d’une activité de neurologie vasculaire et de neurologie générale plus classique. Nous y avons mis en place, pour les patients ayant des accidents ischémiques transitoires, un circuit court de quelques heures (contre 4.5 jours de durée moyenne en France). En réduisant le temps de prise en charge, cela permet de réduire considérablement le risque d’AVC, d’économiser des moyens et de préserver des lits pour des patients plus lourds. Nous avons le projet de le mettre en place au CHU de Poitiers. Je dirigeais également le laboratoire d’hémodynamique cérébrale et de neurosonologie qui accueille des patients pour les soins usuels, et où je menais des travaux de recherche sur la circulation cérébrale. Je continue par ailleurs mon activité de recherche avec mes collègues à Toulouse portant sur la circulation cérébrale dans les conditions de vol spatial en lien avec la Clinique spatiale (MEDES), structure à but non lucratif. Ces études, qui sont d’envergure internationale, sont extrêmement importantes parce que les informations qu’elles vont nous fournir vont pouvoir être appliquées, pour nombre d’entre elles, à nos patients dans un deuxième temps. Beaucoup de technologies médicales ont trouvé leur origine dans les recherches visant à comprendre ce qui se passe dans l’espace, en utilisant notamment les modélisations de la circulation cérébrale à partir du recueil par les ultrasons. Ma thèse de sciences que j’ai réalisée en collaboration avec l’Université de Cambridge en Grande-Bretagne (BrainPhysics Lab), portait sur la régulation de la circulation cérébrale dans les situations à risque cérébrovasculaire. J’ai continué ces recherches en essayant d’avoir une approche plus systémique : ne pas considérer le cerveau comme une île mais intégrer la régulation cérébrovasculaire dans le contexte systémique de la régulation cardiovasculaire par le système nerveux autonome cardiovasculaire et le rôle de la régulation cardiovasculaire dans le pronostic. Ces travaux s’intègrent dans l’axe cœur-cerveau vu autrement que par le seul prisme du cardio-embolisme.
Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer le CHU de Poitiers ?
Ce qui m’a plu en premier lieu, c’est l’aspect taille humaine du CHU et de la faculté de médecine, adossées à des structures de recherche de proximité (les unités Inserm et le CIC) ainsi que l’aspect taille humaine de la ville où on se sent dans une ville universitaire dès l’arrivée. Avant de candidater à ce poste, je suis venue à plusieurs reprises pour visiter le site et découvrir l’environnement de vie. Ma première impression, qui s’est confirmée par la suite, est que le CHU de Poitiers est tourné vers la modernité notamment en termes d’équipements et d’investissements. C’est un point déterminant pour un hôpital universitaire car cela conditionne la manière de se projeter dans l’avenir. Un autre point important est la forte interconnexion entre le CHU et les structures de recherche Inserm-université. Celle-ci ne se limite pas aux personnels médicaux bi-appartenants mais également à d’autres personnels, comme des ingénieurs de recherche recrutés par le CHU, qui peuvent contribuer notamment à la recherche translationnelle. Cela m’a marquée très positivement dès ma première visite. J’intègre le service de neurologie du Pr Jean-Philippe Neau, service qui occupe une place nationale importante au niveau de la neurologie en général et de la neurologie vasculaire en particulier. Le professeur Neau a d’ailleurs été président de la Société française de neurologie vasculaire. Le service de neurologie ne se résume cependant pas à la neurologie vasculaire. Toutes les surspécialités y sont représentées par des praticiens de grande qualité avec qui j’ai du plaisir à travailler au quotidien
Sur quoi vont porter vos recherches ?
Je rejoins le laboratoire de neurosciences expérimentales et cliniques-LNEC-U1084-Inserm dirigé par le professeur Mohamed Jaber. J’intègre plus particulièrement l’équipe de Afsaneh Gaillard qui travaille sur les greffes de neurones corticaux. Mon projet de recherche intègre le rôle du système nerveux autonome dans la régulation de l’inflammation cérébrale dont le niveau conditionne la vascularisation et le succès de la greffe des cellules souches. Nous allons combiner l’approche cœur/cerveau développée à Toulouse à celle de l’équipe de A. Gaillard qui est reconnue au niveau international pour ses travaux sur la greffe de cellules souches au niveau cérébral.
Avez-vous d’autres projets de recherches ?
Oui. Nous avons le projet avec Pr Pierre-Jean Saulnier au CIC (axe DECLAN) et Pr Rémy Guillevin (équipe DACTIM-MIS) d’évaluer l’impact du système nerveux autonome cardio-vasculaire sur le vieillissement cérébrovasculaire prématuré à l’IRM 7T. Cette recherche se situe dans l’axe cœur-cerveau, dans une continuité thématique. Cette recherche est prévue également en lien avec le plateau d’exploration fonctionnelles physiologiques de Pr Xavier Drouot.
Au sein du LNEC- U1084-Inserm, nous travaillons en priorité sur l’accident vasculaire à la phase aigüe. Nous recherchons les déterminants biologiques, hémodynamiques et radiologiques de prédiction de la réaction œdémateuse et de la transformation hémorragique après un AVC ischémique aigu de la circulation antérieure dû à une occlusion proximale et recanalisé par thrombectomie. Il faut savoir que les recanalisations efficaces concernent 80 % de ces AVC et qu’un bon pronostic n’est observé que dans 50% des cas. La réaction oedémateuse et la transformation hémorragique font partie des facteurs qui expliquent un mauvais pronostic chez des patients recanalisés. L’objectif de ce protocole qui sera réalisé en lien avec l’équipe DACTIM est de mieux en comprendre les déterminants. Il s’agit d’une recherche translationnelle qui permet de combiner la recherche clinique et la recherche fondamentale, s’appuyant sur le dosage de nouveaux facteurs biologiques qui conditionnent la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique.
Vous avez une importante responsabilité en enseignement. Quelle est-elle ?
Au niveau national, je suis coordinatrice de télé-enseignement de neurosonologie et la référente pédagogique pour l’enseignement de la neurosonologie comme surspécialité du DIU de pathologie neurovasculaire (prise en charge des AVC). La neurosonologie consiste à évaluer la circulation cérébrale par les ultrasons. L’idée est d’en faire pour les neurologues vasculaires de nouvelle génération un prolongement de l’examen clinique. Au sein du service de neurologie, nous avons une unité dédiée à la neurosonologie. Un décret paru au cours de l’été dernier (2022) indique que les unités de soins critiques de neurologie vasculaire doivent avoir accès à tout heure à ce type d’équipement. C’est dire le rôle de cette technologie dans la prise en charge de nos patients pour une médecine à la fois personnalisée, sobre, sur-mesure et prédictive en temps réel. L’outil de télé-enseignement de la neurosonologie comme principale modalité d’acquisition des connaissances, je l’ai mis en place dans le cadre de mon DU de pédagogie médicale pour la validation duquel il fallait mettre en place une innovation pédagogique. L’enseignement de la neurosonologie comporte un enseignement dense, ainsi que des ressources avec des modalités interactives, et une formation pratique de 400 heures en deux ans sous la responsabilité d’un maître de stage dans des unités de neurosonologie de référence sur le territoire national.
Vous qui êtes spécialiste des AVC, quel message souhaiteriez-vous adresser au grand public ?
En Europe occidentale, il y a un changement épidémiologique des accidents vasculaires cérébraux. Aujourd’hui, 65 % des nouveaux AVC sont, soit des accidents ischémiques transitoires, soit des AVC mineurs. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’AVC lourds. Il y a davantage d’événements mineurs proportionnellement parce que l’ensemble des professionnels de santé les préviennent mieux et donc, quand les accidents cérébrovasculaires surviennent, ils sont en moyenne de moindre sévérité. S’il y a un message à faire passer, c’est que dès qu’un signe d’alerte survient, il ne faut pas attendre, même quand les signes sont régressifs. Les signes peuvent être une faiblesse d’un côté du corps, une asymétrie du visage, ou une difficulté à parler par exemple. Il faut alors tout de suite prévenir le 15. Car une prise en charge rapide permet d’éviter la survenue précoce d’AVC plus lourds.