Témoignage de renfort covid : « Pratiquer notre métier dans d’autres conditions est une expérience tellement enrichissante »

Alexa Phelippeau a voulu devenir infirmière pour travailler dans l’humanitaire. Mais après vingt-trois ans de carrière au sein du CHU de Poitiers avec, à mi-parcours, une spécialisation en tant qu’infirmière anesthésiste diplômée d’État (IADE), le temps lui a manqué. Aussi, c’est sans hésitation aucune, qu’en un an, elle s’est engagée dans trois missions de renfort.

Au cœur d’une mission Chardon

Alors qu’elle était en renfort dans l’unité de soins continus (USC) transformée en unité de réanimation covid, Alexa Phelippeau[1] s’est portée volontaire pour participer à la mission Chardon 10 en avril 2020, mission de transferts de patients en TGV médicalisé. Il s’agissait de transférer une cinquantaine de patients covid des hôpitaux d’Ile-de-France vers des établissements du Grand Ouest. Pendant le voyage vers Paris, les équipes soignantes ont installé les équipements nécessaires à la constitution de véritables unités de réanimation. Le lendemain matin, chaque équipe était chargée d’aller récupérer un patient directement dans l’hôpital où il était pris en charge. « Quand je suis revenue à la gare avec mon patient, j’avais l’impression d’être dans un film de science-fiction : partout la même image de patient avec les mêmes complications, branchés de la même façon, tout le personnel habillé en tenue identique » se rappelle Alexa Phelippeau. C’est à ce moment précis que celle-ci a pris conscience de l’ampleur de la crise épidémique, le département de la Vienne ayant été peu impacté. Le voyage de retour vers Poitiers n’a pas été des plus faciles. Il a fallu s’adapter à l’environnement pour faire de la réanimation dans un train qui n’est pas du tout approprié pour cela. Prendre en charge le patient dans un espace exigu sans climatisation et habillée des tenues de protection alors qu’il fait une chaleur étouffante relève de l’exploit. « Cela m’a demandé une concentration énorme. Ce n’est pas de la réanimation dans son environnement habituel où tous les branchements se font directement au mur (O2, électricité, vide) et l’on n’a presque plus rien à faire. Là, il fallait s’assurer pendant tout le voyage que tout était bien alimenté à cause des microcoupures dans le train, que l’état du patient ne se détériorait pas. Il fallait changer régulièrement l’obus à oxygène. Cela a nécessité une attention constante du matériel, de l’environnement, du patient. L’espace était étroit, il fallait se faufiler, il faisait chaud. J’ai puisé dans mes réserves, j’ai senti que je suis allée au bout de ce que je pouvais donner. J’en suis ressortie épuisée. C’était une expérience inédite et totalement extraordinaire qui n’arrive qu’une seule fois dans une carrière » précise Alexa Phelippeau. En plus de cette vision apocalyptique, l’infirmière anesthésiste n’oubliera pas non plus le manque de matériel et d’équipements de protection du personnel de l’hôpital parisien où elle est allée chercher le patient. « En plus de vingt ans de carrière, je n’avais jamais vu cela ».

En renfort à Dijon

Le caractère extrême de la mission Chardon n’a pas empêché Alexa Phelippeau de se porter à nouveau volontaire pour des missions de renfort. Et en janvier 2021, elle a accepté de partir, à tour de rôle avec trois de ses collègues, pour apporter son aide à l’hôpital de Dijon où la situation épidémique n’a connu que très peu d’accalmie depuis un an. Le personnel de l’hôpital dijonnais a été très accueillant. « Je les ai trouvés extraordinaires parce que bien qu’ils soient sur le front depuis plus d’un an, ils sont toujours motivés ; ils ne sont pas aigris. Ils sont au taquet et prêts à revenir sur leurs jours de repos. Notre aide leur a permis de souffler un peu », souligne Alexa Phelippeau. Elle a été particulièrement touchée par les remerciements du directeur de l’hôpital de Dijon qui a adressé une carte ainsi qu’un présent à chacune des personnes venues en renfort : « Je trouve que c’est un très beau geste qui fait énormément plaisir même si on ne le fait pas pour cela ».

En renfort à Mayotte

Un mois à peine après Dijon, Alexa Phelippeau a, de nouveau, été sollicitée pour mener une mission de renfort de deux semaines et demie à Mayotte. Tout s’est décidé en peu de temps et elle n’a su qu’elle partait réellement que 24 heures avant. Après un voyage en avion de près 12h, elle a atterri à Mamoudzou, préfecture de Mayotte, où la température avoisinait les 35-37°. Cette région insulaire française est alors confrontée à une forte vague de cas de covid et l’unique hôpital de Mayotte est saturé. Près de 80 réservistes sont arrivés en même temps qu’Alexa Phelippeau, dans un chaos le plus total, certains venant pour renforcer les réanimations ou les unités covid, d’autres pour les évacuations sanitaires vers La Réunion, d’autres encore pour la vaccination. Malgré le cadre idyllique du plus beau lagon de l’océan indien, la mission à Mayotte a été particulièrement difficile pour Alexa Phelippeau. Elle a dû prendre en charge des patients lourdement touchés par le virus. Beaucoup de jeunes, ce qui l’a particulièrement choquée. Les journées de travail de 12 heures non-stop ne lui ont pas permis d’échanger vraiment avec d’autres membres du personnel soignant. « Même si l’on s’engage dans ces missions pour aider, on y va également pour rencontrer des gens, pour créer des liens. Mais la situation catastrophique ne nous en donnait pas le temps », raconte Alexa Phelippeau. Les jours de repos, elle ne pouvait pas sortir de l’île étant soumise à un confinement total. Heureusement, elle partageait une colocation avec deux internes de l’hôpital de Mayotte. Et puis, elle a tout de même pu faire le tour de l’île et même se baigner avec les tortues marines.

L’un des principaux souvenirs qu’elle garde de cette mission, c’est l’image d’une femme d’une trentaine d’année, enceinte, personnel de l’hôpital, touchée par la covid et dont l’état n’a cessé de se dégrader jusqu’à son départ de l’île. Alexa Phelippeau a accueilli cette jeune femme et a pu échanger avec elle avant que son état ne se détériore. Elle s’est beaucoup occupée d’elle mais elle ne sait pas ce qu’elle est devenue. Malheureusement, ce n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Mais elle se souvient également d’une équipe formidable. « Les infirmières sont polyvalentes parce qu’elles exercent dans le seul service de réanimation de l’hôpital. Elles ont des compétences aussi bien en réanimation pédiatrique qu’en réanimation chirurgicale ou bien médicale » précise Alexa Phelippeau avec admiration.

Alexa Phelippeau a repris son travail au CHU de Poitiers. Repartir sur d’autres missions de renfort, elle n’est pas contre : « pratiquer notre métier dans d’autres conditions est une expérience tellement enrichissante. Il faut être opérationnel tout de suite. Il y a une ou deux heures difficiles en général parce qu’il faut s’adapter aux locaux, à l’organisation et aux habitudes du service. Et après, ça roule. J’aime bien. Mais on n’en sort pas complétement indemne. On doit accuser le coup physiquement et psychologiquement ». Elle espère cependant pouvoir faire du renfort sur des compétences d’IADE et non pas seulement sur de la réanimation comme cela a été le cas à Dijon et à Mayotte. « Au-delà de l’aide que je peux apporter, ce que je recherche aussi, c’est sortir de ma zone de confort, travailler dans des situations extrêmes comme cela a été le cas lors de la mission Chardon ».

[1] Diplômée de l’institut de formation en soins infirmiers de Poitiers en 1997, Alexa Phelippeau a intégré le CHU de Poitiers courant 1998. Elle décide de se spécialiser en devenant infirmière anesthésiste après deux ans de formation à l’école des IADE de Poitiers de 2008-2010. Depuis 2010, elle exerce ses missions dans les blocs opératoires du CHU de Poitiers.