Témoignage d’interne : un an en pédiatrie

masque pédiatrie

Noémie Brunellière, interne au CHU de Poitiers, nous raconte sa première année en pédiatrie. Un témoignage intense qui retrace avec émotions le vécu de nos internes, indispensables au sein de nos équipes. Merci à elle de nous livrer ce récit.

« J’ai commencé mon internat de pédiatrie il y a un peu plus d’un an.
Je me suis dis que c’était le bon moment pour faire le point, un peu.
On avait une vague idée de comment ça allait se passer. Les difficultés, la fatigue, les heures. Ca paraissait être l’Everest à franchir, on attendait le premier jour avec appréhension, anxiété, excitation aussi.
Alors c’est vrai que c’est dur. Mais ce n’est pas que ça. C’est plein de choses à la fois, et c’est difficile à mettre en mots. Il y a des centaines de reportages, d’articles, d’interviews sur la condition des internes et de l’hôpital de manière générale. Je n’ai pas envie de parler de ça aujourd’hui, il y aura d’autres moments, d’autres gens pour le faire.
Aujourd’hui j’ai envie de parler de cette première année, de ces premières fois intenses que je n’aurais jamais cru vivre, de cette sensation d’être à ma place, entièrement et résolument.
Le premier accouchement auquel j’ai assisté, à 4 mains, ce premier cri dont je me souviendrais toujours.
La première salle de naissance, les mains tremblantes devant ce petit bout qui ne respire pas et à ne pas savoir le ventiler ; et puis la première fois qu’on la fait seule, le voir rosir et se mettre à crier, le redonner à maman pour faire son premier peau à peau.
La première garde de 24h aussi, y aller avec la boule au ventre, ne pas réussir à dormir en gardant le téléphone crispé dans la main de peur qu’il sonne, voir le jour arriver, enfin, sur les rotules, en se disant qu’on a été bien nulle et inutile. Ne pas réussir à répondre aux questions des infirmières, mélanger les patients, appeler son chef au moindre questionnement, faire des transmissions très bancales et la voix tremblotante. Et puis y retourner, les enchainer, grandir et apprendre, réussir à bien dormir sur les quelques heures de répit, rire dans la nuit avec les puer aussi fatiguées que toi, déguster leurs gâteaux entre deux entrées. Ne plus avoir peur du téléphone de garde, réussir à faire de belles transmissions, enfin, rentrer chez soi heureuse de ce qu’on a réussi à faire.
Accueillir ton premier enfant aux urgences, puis tous les autres, un rhume, une pyélonéphrite, une crise d’asthme, une bronchio, une grippe, un trauma crânien, une crise convulsive, une tentative de suicide, une éruption cutanée, un AVP haute cinétique. Les amener au scanner, leur apprendre à faire une DRP, leur dire de revenir demain.
Vivre sa première réanimation, un 27 SA sans vie. Regarder tes chefs rester calme, compter les doses d’adrénaline, prendre son minuscule corps dans ses mains pour aider à le masser, le ventiler mais ne pas voir son thorax se soulever. Arrêter au bout de 20 minutes, la ligne plate sur le scope, le silence qui s’abat. Rester avec l’infirmier pour l’habiller, lui mettre une couche et un bonnet. Se dire que la pièce est bien froide. Et puis vivre les autres, toutes ces autres réanimations où le cœur repart et bat, vite et fort, à 160 par minutes, pour faire grandir ce petit bout d’humain courageux qui n’a jamais demandé à sortir trop tôt. Les voir avancer, semaine après semaine, les voir changer, se réchauffer seuls, respirer seuls, prendre leur premier biberon et rentrer chez eux, enfin, après des mois de ce long combat qu’est la prématurité. Recevoir ce premier sourire des parents, accueillir leur merci, les voir passer la porte pour leur nouvelle vie.
Faire des simulations pour apprendre à gérer des urgences, s’entrainer à intuber, et puis le réussir en vrai pour la première fois. Faire un malaise vagal sur la pose de son premier cathéter veineux ombilical, et puis le faire machinalement à 4h du matin. Apprendre à drainer un épanchement pleural chez un grand de 6 ans, réussir sa première ponction lombaire chez un nouveau-né de 6 jours.
La première fois qu’on se prend la tête avec des parents, garder patience malgré la fatigue. Se faire critiquer, se faire menacer d’un procès, se faire entendre dire qu’on fait mal son métier, rentrer exténuée de 70h/semaine et se remettre en question, quand même, les yeux ouverts dans la nuit, parce qu’on veut faire son métier bien, du mieux possible, à chaque heure. Revenir et voir une boîte de chocolats qui nous attend, « merci pour tout », relire les lettres de remerciements accrochées au mur avec des photos de bébés souriants, rentrer dans une chambre et être accueillie en riant, « ça vous va bien ce métier », se dire qu’on doit plutôt bien le faire quand même, finalement.
Et puis l’humain. Avec un grand H. Ces relations humaines intenses qui ponctuent nos journées et nos nuits. Les puéricultrices et auxiliaires de puériculture qui nous apprennent, nous épaulent, nous aident quand il est tard, qu’on est seuls et qu’on ne sait rien faire. Rire avec elles, sortir faire des karaokés, les suivre dans leurs soins pour apprendre à piquer, à tenir un enfant, à les rassurer, à poser une sonde nasogastrique, à bien faire un pansement. Apprendre avec elles les bons conseils à donner aux parents, les bonnes manières de les accompagner dans cette parentalité qui n’est jamais aussi évidente qu’on le pense, chérir la relation unique qu’il y a entre le soignant, l’enfant, le parent.
Vivre ce compagnonnage unique, ces chefs qui nous enseignent tôt le matin et tard le soir, les suivre comme leur ombre puis finalement apprendre à s’en détacher, tout faire pour ne pas les décevoir, éviter ceux qui n’aiment pas les internes ni la vie, chérir ceux qui nous épaulent et nous rassurent. Apprendre avec eux à avoir confiance, « tu en es parfaitement capable », se dire qu’ils avaient raison.
Etre presque 6 jours sur 7 avec ses co-internes, aller manger à 15h parce que la visite prend du temps, rire beaucoup trop fort pour des conneries sans nom, avoir un humour si noir qu’on ne peut pas l’assumer ailleurs, s’offrir des crayons parce qu’on se les vole tous les jours, assumer pour deux quand l’autre est sorti trop tard, aller boire une bière quand la journée a été trop dure et les cas trop difficiles. Lézarder à l’internat quand le soleil est là, ramener des desserts quand d’autres ont du rester dans le service, mettre une playlist quand il y a trop de courriers à finir. Se prendre en photo quand il est 5h en garde et qu’on veut rentrer dormir. Etre fourrés les uns chez les autres, boire des martinis sur des coussins confortables, sortir toujours dans le même bar. Se dire qu’on est bien en retard quand tout le reste des 25 ans commence à avoir des enfants. Rire quand même et s’aimer très fort, s’envoyer des messages quand on sait que les autres ne peuvent pas trop comprendre ce que l’on vit. Etre de garde à Noël, au réveillon, les jours fériés et les dimanches ; partir en vacances trop peu de fois pour en sentir le bénéfice, cacher des œufs de Pâques entre deux dossiers, dresser une grande table pour le réveillon avec les scopes qui sonnent au dessus de nos têtes, se commander des sushis avant qu’une urgence arrive. S’endormir sur le clavier des ordis, embaucher quand il fait noir, débaucher quand il fait noir, fermer les yeux et apprécier le soleil quand on sort enfin sur le parking pour rentrer chez soi. Manger des petits pots pour tenir le reste de la nuit, se ramener des pains au lait pour tenir la matinée, ramener des crêpes, faire des cookies, proposer des cafés. Amener sa valise dans le service pour être sûr d’avoir son train, se faire livrer des fringues à l’hôpital parce qu’on est jamais chez nous pour les réceptionner, mettre ses rendez-vous sur ses repos de garde parce qu’on est jamais dispos aux heures ouvrables.
Aimer revenir quand même. Tellement aimer revenir.
Tenir ces petits bébés dans ses bras, les sentir agripper nos doigts, caresser leurs petits crânes sans cheveux. Les entendre rire aux éclats, jouer aux dominos avec eux quand ils ne peuvent pas sortir de leur chambre, leur faire coucou quand on les voit.
Se dire qu’ils ont la vie devant eux.
Se dire que je ne changerais ça pour rien au monde, que je ne regrette rien. Que mon rêve de gosse a été réalisé, au centuple.
Bref. J’ai commencé mon internat de pédiatrie il y a un peu plus d’un an.« 

Noémie Brunellière, interne