Thérapies orales : un suivi renforcé du patient pour une meilleure efficacité du traitement

Aurélie Ferru

Pour prévenir les problèmes de mauvaise observance chez les patients, le pôle régional de cancérologie du CHU de Poitiers a mis en place un dispositif de prise en charge des thérapies orales. Entretien puis suivi téléphonique du patient par des infirmières, information renforcée aux acteurs de santé extrahospitaliers – médecin traitant, pharmacien, infirmier libéral : le dispositif a pour objectif la bonne observance du traitement à domicile, par un accompagnement rendant le patient acteur et autonome. Il vise également à renforcer les relations "ville – hôpital". Les retours d’expérience, après un an d’activité, s’avèrent très positifs.

Aujourd’hui, la moitié des patients pris en charge pour un cancer reçoivent, au cours de leur parcours de soins, une thérapeutique orale. L’augmentation des chimiothérapies orales et le développement des biothérapies induisent un nombre croissant d’indications. Depuis dix ans, une meilleure compréhension des mécanismes de cancérogénèse a permis le développement des thérapies ciblées. Ces molécules, ciblant les anomalies moléculaires, existent en perfusion et en comprimé. En 2003, 10 % des patients recevaient des traitements oraux. En 2013, 40 % des patients étaient concernés.

Contrairement aux traitements intraveineux, le traitement par thérapie orale est continu. Le patient suit donc son traitement à domicile. « L’une des problématiques des thérapies orales est la non-observance du traitement. Les biothérapies ont des toxicités très différentes de la chimiothérapie, avec des effets secondaires inhabituels, rappelle le Dr Aurélie Ferru (photo), oncologue médicale au pôle régional de cancérologie (PRC). Les études à notre disposition montrent que, en fonction des molécules, 25 % à 50 % des patients sont inobservants, qu’il s’agisse d’oublis fréquents ou d’adaptations de doses. » L’enjeu du dispositif mis en place depuis mars 2014 au CHU est d’améliorer la prise du traitement oral pour en limiter les toxicités et favoriser son efficacité. « En réduisant les toxicités, on maintient une certaine qualité de vie pour le patient à domicile, garante d’une meilleure observance et donc d’une plus grande efficacité du traitement. L’alliance thérapeutique avec l’adhésion du patient est primordiale : il faut qu’il comprenne, et accepte ce type de traitement. »

Suivi infirmier
A partir de 2010, un groupe de travail commun, initié par le Pr Jean-Marc Tourani, chef du pôle cancérologie du CHU de Poitiers, a réuni médecins oncologues et hématologues, infirmières, cadres de santé et pharmaciens. Ce projet a été inscrit dans les contrats internes d’objectifs et de moyens 2011-2012 et 2013-2014 du pôle régional de cancérologie (PRC).

Le pôle régional de cancérologie a mis en place un dispositif pour rester en lien avec le patient mais aussi l’infirmier, la pharmacie et le médecin traitant.
Le pôle régional de cancérologie a mis en place un dispositif pour rester en lien avec le patient mais aussi l’infirmier, la pharmacie et le médecin traitant.

Le dispositif est effectif depuis mars 2014. Désormais, à l’issue de la consultation médicale d’annonce avec le médecin référent, une consultation avec une infirmière de thérapies orales est systématiquement proposée au patient. « L’infirmière complète l’explication de la thérapeutique anti-cancéreuse, de ses effets secondaires et évalue les connaissances et la compréhension du patient », expliquent Catherine Petonnet et Corinne Grousseau- Royer, respectivement cadre supérieur de santé et cadre de santé au PRC. « C’est une relation privilégiée, un temps d’échange parfois chargé d’émotion, qui requiert expérience de la discipline et qualité d’écoute », illustrent Véronique Debare et Karine Geffard, infirmières en charge de ce suivi. A l’issue de cet entretien, le patient reçoit un classeur où sont compilés conseils, fiches d’informations sur la thérapeutique et coordonnées des personnes ressources en cas de problème.

Cet entretien infirmier s’accompagne d’un suivi téléphonique. Son rythme est défini par le médecin référent, en fonction du traitement prescrit et de l’autonomie du malade. Les appels téléphoniques sont à l’initiative du patient afin de le rendre « pleinement acteur ». « Le but est de mettre en place un accompagnement qui rende les patients autonomes », pointe Corinne Grousseau-Royer. En cas de difficulté et en dehors de ces rendez-vous préétablis, le patient peut également contacter une permanence téléphonique dédiée.
Autre point d’importance : la traçabilité. Chaque entretien est systématiquement saisi dans le dossier informatisé du patient. L’ensemble des équipes ont ainsi accès, à tout moment, au suivi du patient. « Le CHU de Poitiers fait partie des centres très en avance en terme d’organisation », signale le Dr Ferru.

Le médecin traitant, acteur de la prise en charge
Ce dispositif permet de renforcer le lien « ville – hôpital », en organisant le suivi et en assurant une cohérence et une complémentarité entre les différents acteurs. Tous les professionnels extrahospitaliers sont systématiquement informés par l’infirmière : médecin traitant, pharmacien ainsi que l’infirmière libérale, en fonction de la surveillance prescrite.

Un important travail d’information et de rédaction sur les différentes molécules a été réalisé par les équipes médicales et pharmaceutiques du CHU. Interactions médicamenteuses, effets secondaires, posologie, biodisponibilité : pour chaque molécule, une fiche détaillée est remise au médecin traitant et au pharmacien par le patient. Si besoin, les professionnels libéraux peuvent joindre la permanence téléphonique dédiée aux thérapies orales. « L’objectif est que le médecin traitant soit acteur de cette prise en charge. Il s’agit de l’épauler en lui donnant les outils pour répondre au mieux au suivi. Cette communication avec la ville est la clé. Pour une bonne observance du traitement, le patient doit recevoir un discours homogène », développe le Dr Ferru.

Depuis la mise en place du dispositif, plus de 400 patients ont été pris en charge. Il y a actuellement une file active permanente de 200 patients. Plus de 500 appels téléphoniques sont gérés chaque mois. Du côté des médecins libéraux, les retours sont, à ce jour, très positifs.

Education thérapeutique
Un programme d’éducation thérapeutique, agréé par l’Agence régionale de santé (ARS), vient compléter ce suivi. Des ateliers thématiques, sous forme d’échanges, sont mis en place depuis le mois d’avril 2015. Animés par le pharmacien, le médecin, la psychologue et la diététicienne du centre hospitalier, à destination du patient et de son aidant, ces ateliers visent à battre en brèche les représentations erronées de la maladie, et abordent le traitement, la nutrition, la fatigue comme le vécu du cancer.

En projet, en conformité avec le troisième plan cancer, une collaboration renforcée avec les infirmières libérales formées à l’éducation thérapeutique, qui pourraient intervenir au domicile du patient. Enfin, la création d’un classeur virtuel en ligne, en collaboration avec le réseau Onco-Poitou-Charentes, impulse une dynamique de région.