Violences conjugales : « briser le secret médical en cas de danger immédiat »

Initié fin 2019, le Grenelle contre les violences conjugales a permis, comme l’a clairement énoncé Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, « une vraie prise de conscience et une mobilisation de toute la société face aux violences conjugales ». Plusieurs mesures visant à mieux protéger les victimes ont été mises en place parmi lesquelles, deux concernent directement les professionnels de santé. Laurette Blommaert, directrice des affaires juridiques du CHU de Poitiers, présente les grands changements du texte de loi voté en juillet 2020.

Pouvez-vous nous expliquer les nouveautés de la loi concernant les violences conjugales ?

La proposition de loi destinée à protéger davantage les victimes de violences conjugales a été définitivement adoptée par le sénat le 21 juillet 2020. Elle rappelle qu’en France, il y a chaque année entre 120 et 150 féminicides. Il est bien évident que dans le code pénal des dispositions existaient déjà pour protéger les victimes de violences et les enfants. Mais elles étaient diffuses et ne concernaient pas spécifiquement les violences conjugales. Il était important de modifier la loi. Ainsi la loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 s’adresse, de façon explicite, aux victimes de violences au sein du couple qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes.

La loi, qui impacte le secteur de la santé sur deux points, concerne bien d’autres aspects de la vie des victimes de violences conjugales : la protection de la victime, le logement, le droit de visite, l’obligation alimentaire, etc. Certaines infractions telles que le traçage numérique ou l’atteinte à la vie privée sont maintenant punies plus sévèrement s’ils sont commis au sein du couple.

Une attention particulière a été accordée au harcèlement moral au sein du couple lorsque celui-ci conduit à un suicide ou tentative de suicide. L’auteur de cette infraction se voit maintenant condamner à 10 ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende. Soulignons également que la loi présente clairement les enfants comme des victimes collatérales des situations de violences conjugales.

Quels sont les impacts de la loi pour l’hôpital ?

La grande nouveauté de la loi pour un établissement de santé est l’insertion d’une nouvelle exception au secret médical.

Il faut rappeler que tout professionnel de santé est soumis au secret médical. La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et 15 000€ d’amende.

Cependant, des exceptions existent à savoir :

  • Lorsque le professionnel de santé a connaissance de privations ou de sévices infligés à un mineur ou toute personne vulnérable.
  • Lorsque le professionnel de santé a connaissance de privations ou de sévices infligés à un majeur non vulnérable, avec son consentement.
  • Lorsque le professionnel de santé a connaissance du caractère dangereux d’une personne pour elle-même ou pour autrui et lorsqu’il sait que cette personne détient une arme ou qu’elle a manifesté le souhait d’en acquérir une.
  • Lorsque le professionnel de santé a connaissance d’un crime ou d’un délit.

 

La nouvelle loi insère une nouvelle exception ; et là tous les mots sont importants : « lorsque le professionnel de santé a une information relative à des violences exercés au sein du couple, qu’il estime en confiance que ces violences mettent la vie de la majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultante de l’emprise et exercée par l’auteur des violences ». Le texte précise, toutefois que « Le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure. Et qu’en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer qu’il fera ce signalement ».

L’autre nouveauté de la loi est que les victimes de violences conjugales peuvent demander un certificat d’examen médical lorsque celui-ci a été demandé par un officier de police judiciaire ou un magistrat. Je suis certaine que cela se faisait déjà, les victimes pouvant ainsi s’en servir par la suite si elle décidait de porter plainte plus tard. Il y a souvent un processus long avant que la victime décide de porter plainte contre son agresseur. La prise de conscience est parfois un peu longue.

Comment les professionnels du CHU ont-ils accueilli la nouveauté concernant la levée du secret médical ?

Du point de vue des citoyens et du législateur, la loi est vraiment symbolique. C’est une grande avancée dans la lutte contre les violences conjugales car malgré toutes les actions mises en place ces dernières années, on déplore encore beaucoup trop de violences au sein de la famille. Si l’on se place du point de vue du professionnel de santé, nous constatons que la loi impose tout de même beaucoup de conditions qu’il va devoir respecter. Et pour avoir échangé avec un praticien du CHU, il sera très difficile d’essayer de coller le plus possible à l’esprit de la loi. De plus, le respect de la loi peut entrainer une perte de confiance de la part du patient qui n’aura pas donné son consentement au signalement effectué par le professionnel. Ce dernier pourra également craindre que les victimes ne viennent plus aussi spontanément se faire soigner.

Je suis certaine qu’avant la loi de juillet, nos professionnels de santé créaient un échange avec leurs patients victimes de violences, de sorte à les encourager à entamer des démarches judiciaires.

Les professionnels de santé sont-ils sensibilisés à ces questions de violences conjugales ?

Les victimes arrivent à l’hôpital le plus souvent par les urgences gynécologiques ou générales. Les urgences gynécologiques obéissent à une procédure travaillée avec la médecine légale qui est régulièrement actualisée. Sur les urgences générales, nous avons un référent médical violences conjugales qui est censé rappeler les bonnes pratiques aux autres médecins. Ce sont des situations que ces professionnels rencontrent régulièrement. Ils sont tous bien formés à la prise en charge de victimes de violences conjugales.

Que retenez-vous de cette loi ?

Cette loi est un symbole fort et est une grande avancée dans la lutte contre les violences conjugales.

Il ne faut pas oublier que la majorité des violences sont exercées dans la sphère personnelle et intime. Les avancées de ces dernières années ont permis une meilleure prise en compte des problématiques familiales et conjugales.

Lorsque nous repensons à la reconnaissance du viol au sein du couple qui ne remonte qu’à 1990, on se dit qu’en 30 ans les progrès sont faramineux !

Prise en charge des personnes victimes de violences conjugales

Il existe deux cas de figures. Le premier cas est celui de la personne victime qui a besoin de soins et qui vient directement au CHU par les urgences. Après les soins, le médecin lui posera toujours la question de savoir si elle veut porter plainte. Avant la loi du 30 juillet 2020, la femme qui ne souhaitait pas porter plainte, repartait après les soins. Le médecin lui faisait alors un certificat qu’elle pouvait utiliser par la suite. Certaines victimes, après discussion avec le professionnel de santé, décident d’aller porter plainte. Dans ce cas-là, immédiatement ou le lendemain, elle va porter plainte au commissariat. Les forces de l’ordre prennent le dépôt de plainte. Elle aura par la suite un rendez-vous à l’unité médico-judiciaire du CHU, unité du service de médecine légale, pour faire un constat médico-légal qui servira à la justice. L’autre parcours possible est celui où la femme n’a pas besoin de soins immédiats. Elle décide de porter plainte directement au commissariat qui après le dépôt de plainte l’enverra vers l’UMJ pour une consultation avec un médecin légiste.